Peut-on réellement « conforter les principes républicains » par la loi ?

Dès 2003, Bernard Stasi, président d'une commission chargée par Jacques Chirac de réfléchir et faire des propositions sur l'application du principe de laïcité dans la République, énonçait ce constat : « Les fondements du pacte social sont sapés par un repli communautaire plus subi que voulu au sein de quartiers relégués, par la menace qui pèse sur les libertés individuelles et par le développement de discriminations fondées sur le sexe ou les origines ».
Cette commission avait alors proposé la rédaction d'une loi loi sur la laïcité, qui précisait l'interdiction, à l'école, des signes religieux « ostensibles ». Cette loi a bien été votée dès 2004 et appliquée tant bien que mal depuis.
Mais elle proposait également d'autres mesures telles que l'adoption d'une « charte de la laïcité » (Vincent Peillon l'a introduite dans les établissements d'enseignement en 2013, soit... 10 ans plus tard), et toute une série de propositions visant à mieux prendre en compte les religions minoritaires et à améliorer l'intégration.

Qu'est devenue la charte de la laïcité ? Quel sort a été réservé aux autres propositions de la commission Stasi ? Pour quel résultat ?

Le Président Macron, après deux discours musclés sur le « séparatisme islamique », à Mulhouse le 18 février et aux Mureaux le 2 octobre, s'apprête à proposer à l'Assemblée nationale une loi finalement intitulée « Loi confortant les principes républicains ». Preuve que, depuis 17 ans, la situation s'est encore détériorée.
On ne peut que se réjouir que soit « confortés » les principes républicains.
Mais, d'une part, nous voyons apparaître la solution pour ce faire sans que le problème et ses causes n'aient été clairement explicités.
Et, d'autre part, on peut douter que la loi soit suffisante.

Certaines de ses dispositions semblent de bon sens, telles que celles assurant une stricte neutralité religieuse dans les sociétés chargées d'une délégation de service public, contrôlant l'objet des associations recevant des subventions, préservant la dignité de la personne et, singulièrement, des femmes (certificat de virginité, règles successorales) ou renforçant la protection contre la haine en ligne. D'autant qu'elles s'appliquent à tou(te)s.
Tellement de bon sens qu'on peut se demander pourquoi elles ne sont pas déjà inscrites dans notre législation !
Mais, saurons-nous la faire respecter quand tant de lois restent lettre morte ? Avec quels moyens ?
Cette loi un peu fourre-tout n'embrasse-t-elle pas trop au risque de mal étreindre ?

Une loi est-elle suffisante pour retisser du lien et créer les conditions du vivre ensemble entre des communautés qui s'éloignent les unes des autres chaque jour davantage ? La réponse est très probablement non !

Un groupe de citoyens de bonne volonté travaille depuis plusieurs mois, au sein du Club des Vigilants, sur la question de la difficile intégration des populations issues de l'immigration, ceux qu'on appelle « les 2ème et 3ème générations ». Français de plein droit, mais dont une partie significative va jusqu'à refuser l'« intégration » que leur pays leur propose. C'est particulièrement vrai pour ceux qui sont issus de l'immigration maghrébine (un récent sondage Ifop pour le Comité Laïcité République révèle que 57 % des jeunes musulmans considèrent la charia comme plus importante que la loi française).
Ils pratiquent le « séparatisme islamique » dénoncé par le Président Macron.
Ce groupe, dont je fais partie, fera très prochainement des recommandations.

A titre personnel, j'ai une lecture critique de ce projet de loi.
Je remarque que, concentré sur le maniement du bâton, il oublie totalement la carotte, à savoir des mesures incitatives, des encouragements et des moyens pour faire : mise en valeur d'expériences réussies, création de labels positifs (ex. « entreprises de la diversité »), promotion et renforcement du soutien aux associations qui œuvrent pour que ces populations « séparatistes » s'intègrent mieux, ...
J'observe que le système éducatif n'est pas suffisamment sollicité, alors que c'est en son sein que se forme la conscience citoyenne. Est-ce à dire que tout fonctionne bien de ce côté ? Que les enseignants sont suffisamment formés et aguerris pour faire face aux situations difficiles qu'ils rencontrent dans des zones réputées difficiles ? Le récent cas Paty a montré les limites de ce que l'institution peut ou sait faire.
Je note que les familles et les individus ne ne sont pris en compte qu'au travers des institutions (associations cultuelles ou culturelles) et pas en tant que tel(le)s. Ils/elles ne sont pas sollicité(e)s pour se prendre davantage en charge, s'engager, assumer leur citoyenneté.
Face au problème de l'emploi, rien n'est dit sur les difficultés particulières que rencontrent les jeunes de ces communautés pour acquérir les « codes » et entrer dans les réseaux qui leur permettraient de mieux s'insérer dans le monde économique, alors que les trafics peuvent leur procurer de l'argent facile.

Enfin, sachant que « on combat les idées nuisibles par d'autres idées, on combat le mensonge par la vérité » (William Douglas, magistrat américain de la 1ère moitié du XXe siècle), je m'étonne que l'Etat ne s'implique pas dans le combat d'idées auquel se livre, sans adversaire sur les réseaux sociaux, le radicalisme salafiste et les Frères musulmans.

Soyons réalistes : cette loi, même si elle peut avoir son utilité, ne suffira certainement pas à ramener à la République ses enfants égarés.

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Commentaires

Je suis moins réservé et même franchement positif sur ce projet de loi. En préambule je suggère la lecture de l’exposé des motifs bien sûr, mais surtout de lire ou d’écouter le discours prononcé le 2 octobre aux Mureaux par le Président de la République. Il marque un tournant historique. Pour la première fois un Chef de l’État n’évoque pas seulement les « principes républicains » en termes généraux. Il désigne clairement leur principal adversaire du moment : le « séparatisme islamique ». Mais au lieu de jouer sur la confusion possible entre islamistes radicaux et musulmans avec la complaisance et les clins d’œil appuyés aux électeurs du RN de Nicolas Sarkozy ou de son fils spirituel Gérald  Darmanin, Emmanuel Macron souligne au contraire qu’il faut bien faire la distinction : « J’ai confiance dans les Français de confession musulmane et dans leur capacité à se mobiliser pour contribuer à cette bataille républicaine contre le séparatisme islamiste ».

Notre groupe de travail du Club des Vigilants sur la mauvaise intégration des descendants d’immigrés en France s’inquiète du séparatisme islamique pas seulement parce qu’il génère des risques d’attentat mais surtout parce qu’il fait obstacle à la bonne intégration d’un trop grand nombre de jeunes Français dans la société de leur pays. De ce point de vue il est essentiel que la France donne à tous l’envie de s’intégrer en montrant que c’est possible, que tout le monde a ses chances. Sur ce plan, en revanche, le compte n’y est pas dans le projet du gouvernement. La question est identifiée par le chef de l’Etat : « Faire aimer la République, c’est tenir la promesse d’émancipation qui lui est intrinsèque ». Mais les actes forts en faveur de l’égalité des chances ne suivent pas pour le moment.

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