Avec « la France en Colères », ouvrage instructif fruit d’une décennie de recherche scientifique, Christophe Bourseiller apporte un éclairant témoignage sur les nombreuses formes de radicalité présentes et émergentes. Il fixe l’idée que ces phénomènes et mouvements, non spécifiquement français, ébranlent et disloquent bon nombre de sociétés occidentales. Notons qu’il délivre avec ce dernier opus un nouveau regard et une réponse à un état des lieux antérieur et précurseur remontant à 1989, intitulé « Les ennemis du système ». [i]
Plusieurs points saillants ressortent des grandes lignes de son intervention introductive et des échanges avec les participants.
Une accélération du rythme des mouvements sociaux au XXIe siècle et un changement de nature : le temps des révoltes pensées est désormais remplacé par celui de l’affect
Au XXe siècle les mouvements sociaux s’inscrivaient dans une fréquence moyenne de 10 ans. Depuis le début du XXIe siècle et ce qu’on a appelé « la révolte des banlieues » en 2005,, ils se produisent plutôt tous les 5 ans.
Mais surtout, ceux du XXe siècle étaient fortement médiés par les forces politiques d’extrême gauche, avec des référentiels historiques (Bakounine, Marx, Engels …). Rien de tel par exemple avec le mouvement des Gilets jaunes où l’on relève une absence totale de référence historique, intellectuelle.
Des partis extrémistes de plus en plus puissants qui démontrent qu’il n’est pas nécessaire d’être nombreux pour disposer d’influence
Du côté de l’extrême gauche, les quelques 25000 activistes recensés sont autant de leaders capables de mobiliser, avec « une force de frappe » sans commune mesure avec leur nombre.
Christophe Bourseiller donne l’exemple du tout petit parti, le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) qui réunit quelques 800 membres et, est capable de « vertébrer » tous les mouvements Gaza (« Urgence Palestine »). Il est par son pouvoir d’influence capable de contrôler l’Union syndicale Solidaires (SUD) et de mobiliser ses 80 000 adhérents.
Il cite aussi le POI (Parti ouvrier indépendant, les « »Lambertistes ») qui soutient Mélenchon. Ou Lutte ouvrière avec ses 10 000 adhérents.
Du côté de l’extrême droite, si l’on s’en tient aux purs extrémistes de droite, leur force dénombre 20 000 personnes en France (ce qui est peu) Mais cumulé à la masse des partisans du Rassemblement National, on parvient à près de 100 000 individus.
La caisse de résonnance que constitue internet joue évidemment un rôle aujourd’hui dans la croissance de cette influence des « minoritaires ».
Fin des idéologies, montée de l’inculture politique et crise de l’alternative pour un nouveau projet de société
Aujourd’hui, et Christophe Bourseiller a plusieurs fois insisté sur ce point, de plus en plus de gens militent sans culture politique.
A l’extrême gauche par exemple, « Révolution permanente » issue de la scission du NPA est à 90% numérique tout passe TikTok et Instagram, il n’y a aucune lecture proposée, alors que le « Parti ouvrier indépendant », lui, dispose d’une librairie.
À l’extrême droite c’est la même chose. On peut citer « les Identitaires »s qui font régulièrement le coup de poing avec les antifas. Eux ce sont au départ des nationalistes français royalistes et identitaires issus de la scission moderniste des « Nationalistes révolutionnaires » apparus à la fin du 20e siècle avec Alain de Benoît. Petit à petit, ce sont devenus des hordes de petits blancs qui n’ont peur de rien sauf du monde nouveau.
Il va jusqu’à parler de décadence idéologique
L’existence de tous ces groupuscules provoque une confusion idéologique très grande. Elle est entretenue et aggravé par l’évolution naturelle de la société, son « archipelisation » : chacun se réfère à sa micro identité ; le repli identitaire provoque un flottement idéologique.
Et in fine le grand problème est peut-être celui de la crise de l’alternative pour un nouveau projet de société.
Ce que Christophe Bourseille nomme « une crise de l’alternative révolutionnaire » se manifeste par des difficultés à construire un nouveau projet de société. Ceux qui expriment leur colère veulent en finir avec ceux contre lesquels ils se battent mais derrière cela n’aboutit à rien. Par exemple le mouvement des Gilets jaunes s’est « autodétruit » et n’a pas abouti à la construction d’un parti.
« La crise de la démocratie ça peut se résoudre »
Pour Christophe Bourseiller, on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas d’envie de démocratie en France. Par exemple les Gilets jaunes, avec leur mouvement et leur demande d’instauration d’un « RIC » (Référendum d’initiative citoyenne), souhaitaient avant tout qu’on les entende, qu’on les écoute. Ils exprimaient « un vrai désir de démocratie ».
Aujourd’hui il y a plus de 30 listes aux élections européennes : cela révèle l’intérêt pour la démocratie.
L’abstention s’invite surtout quand les citoyens doutent des formes démocratiques (élections régionales, européennes). Aux élections avec un réel enjeu (municipales, présidentielles ou législatives) l’abstention est bien moins marquée.
Mais on ne peut nier que la démocratie représentative traverse une crise. Et qui peut la résoudre si ce n’est ses acteurs-mêmes ? C’est-à-dire la classe politique, en grande partie pour Christophe Bourseiller responsable de la situation actuelle de crise. Aux yeux de beaucoup, elle « a perdu ses valeurs » au profit de calculs et autres manigances, poussée jusqu’à ces pragmatismes extrêmes et autres accords secrets. C’est cela la crise démocratique ! Le pragmatisme voire le cynisme absolu des politiques est ce que les gens perçoivent. Et c’est une raison de la perte de confiance à leur égard qui envahit de plus en plus les citoyens.
Car dans le même temps, selon Christophe Bourseiller, peut aussi parler d’un retour de la morale aujourd’hui. Pour preuve la jeunesse qui lutte pour la planète : c’est un combat moral. Ou #MeToo qui est aussi un combat moral. Nous vivons sur les restes de la crise de l’autorité liée à 1968 et aujourd’hui une certaine demande de retour à l’autorité se manifeste, de retour aussi à la sécurité, policière et sociale.
Pour lui les gens sont en quête de valeurs morales : « quand vous ne faites plus confiance aux structures de l’Etat, aux hommes politiques, vous vous repliez sur vos valeurs ».
Le Populisme prospère sur ce terreau
A entendre Christophe Bourseiller, on se dit que le populisme, que l’extrême droite a réussi le coup de maître de « lancer sur le marché » à la fin du XXe siècle, a de beau jour devant lui .
La combinaison du triomphe de l’affect, du repli sur « ses » valeurs et de la responsabilité des élites dans la crise démocratique lui permette de se diffuser.
Le populisme, c’est pour lui avant tout un style politique. Outre sa grande plasticité (par exemple les slogan du RN à Valenciennes ne sont pas ceux du RN à Grasse), et le point commun des populistes dans le monde entier d’être des souverainistes anti-immigration (c’est une constante quel que soit le pays), trois choses le caractérisent :
- le peuple contre les élites
- des slogans démagogiques
- un(e) leader charismatique qui l’incarne/dans lequel ou laquelle les gens se reconnaissent.
Le cas Meloni en Italie est assez emblématique d’un populisme en train de réussir car de moins en moins populiste confronté au principe de réalité. Face à l’Europe et aux migrants elle opte pour une gouvernance de droite classique et se révèle surtout tributaire des traités elle fait des alliances
Aux États-Unis le cas Trump est intéressant : c’est un homme de droite classique mais avec un style populiste. Un milliardaire qui passe pour l’homme du peuple c’est quand même très fort !
En guise de conclusion : nous vivons un « moment historique », rien ne dit que le futur sera apocalyptique !
Christophe Bourseiller, historien, a appelé son observatoire « Observatoire des extrémismes et des signes émergents » ca, dit-il, culturellement, tous ces micro mouvements qui s’expriment à la marge sont potentiellement de vrais incubateurs d’idées nouvelles. « Ces mouvements minoritaires émettent des signaux faibles ».
Pour lui ils nous parlent du monde de demain.
Et ce monde de demain n’est pas forcément apocalyptique. D’autres moments historiques vont suivre. L’histoire est une alternance de périodes positives et négatives.
Ce que nous vivons, c’est un moment !
[i] Historien, professeur à Sciences Po, il est président de « l’Observatoire des extrémismes et des signaux émergents », rattaché à l’Université polytechnique des Hauts-de-France.
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