Ukraine – L’erreur de Macron

 

La communication élyséenne est de nouveau à la manœuvre pour tenter d’infléchir les propos du Président comme elle avait dû le faire après le couplet sur « l’humiliation ». Il s’agit cette fois des garanties de sécurité qu’il faudrait donner à la Russie, c’est-à-dire reconnaître sa « peur de l’OTAN » et le « déploiement d’armes qui peuvent [la] menacer ». Difficile de plaider le malentendu tant il semble y avoir un fil rouge dans la pensée et les propos du Président. On est davantage tenté de parler d’erreur.  

Une erreur sur le plan de la logique. La guerre de Poutine est une guerre de conquête. Macron fait mine d’oublier que le Président russe a annexé la Crimée et quatre Oblast ukrainiens. De facto, il soutient l’argumentation russe qui présente l’attaque de l’Ukraine comme une guerre de défense sur le mode : « on n’a pas eu le choix ». Un hypothétique déséquilibre des instruments de sécurité collective aux dépens de Moscou est désormais dépassé par la nature impériale de l’agression russe. A partir de là, il n’y a pas de négociations possibles. Le pouvoir russe en place a lié son existence à ces annexions. Peut-on l’imaginer venir à la table de négociations, s’excuser et rendre les territoires conquis ? Les cartes sur la table ne laissent, avec les acteurs actuels, qu’une et une seule combinaison de négociation : accepter tout ou partie des annexions russes. Cela signifierait une prime à la force et l’effondrement de l’ordre international fondé sur le droit, seule base de la paix acceptable pour nous Occidentaux.

Une erreur sur le plan tactique. Macron se fait le petit télégraphiste de Poutine qui, par la voix de son ministre Lavrov, évoque de nouveau le mémorandum de décembre 2021 dans lequel la Russie avait exprimé ses revendications en termes de garanties de sécurité. Le mémorandum était de fait un ultimatum, signe avant-coureur de la confrontation. Il exigeait notamment un démantèlement partiel de l’OTAN (celle-ci devait revenir à ses frontières de 1997 et fermer ses bases dans les anciens pays de l’Est) et un droit de veto à la Russie sur les nouvelles candidatures. La manœuvre vise à laisser penser que la Russie pourrait négocier sur la base de ce qu’elle a obtenu aujourd’hui. Dans un sens tout à fait opposé, le renseignement et les analystes[1] concordent pour dire que Poutine n’a renoncé à aucun de ses buts de guerre (dénazification, démilitarisation), c’est-à-dire l’anéantissement de la souveraineté ukrainienne et cherche une pause opérationnelle pour mieux attaquer au printemps.

Une erreur sur le plan du réalisme. Le réalisme pose froidement les questions des relations internationales : quel est le rapport de force ? quels sont nos intérêts ? Là aussi, difficile de suivre le Président. Sa position n’ajoute rien au rapport de force avec la Russie poutinienne qui repose sur le collectif occidental réuni autour des Etats-Unis, au contraire elle l’affaiblit. C’est là l’explication de l’ire des partenaires de la France qui dépasse cette fois les usual suspects de l’atlantisme. Le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a pertinemment rappelé qu’il fallait donner des garanties de sécurité à l’Ukraine avant de penser à celles de la Russie. Difficile de trouver la moindre raison de penser que cette posture défend ou améliore les intérêts français.

Une erreur sur le plan de la morale. Le conflit impérial de Poutine comprend, c’est acquis, des crimes du guerre dont l’ampleur indique qu’ils sont intentionnels. On peut craindre que l’intention, et les actes, soient aussi génocidaires au sens de la Convention de l’ONU de 1948. On assiste par ailleurs à une descente aux enfers de la politique russe, conséquence de deux décennies de poutinisme. Il n’y a aucun signe d’une modération. Le Kremlin laisse au contraire un large espace aux pires factions. Les déclarations d’Evgueni Prigojine ─ parait-il étoile montante de la politique russe[2] ─ suffisent à s’en convaincre. Après avoir vanté l’exécution, à la masse, d’un ex-criminel envoyé au front par Wagner, l’homme s’est enhardi et a fait parvenir la masse, encore ensanglantée, au Parlement européen qui avait décidé d’inscrire Wagner sur la liste des organisations terroristes. Rien de cela ne se fait sans l’assentiment du Kremlin. Les déclarations de Macron se lisent aussi dans ce contexte. Comment envisager négocier sérieusement avec des interlocuteurs enferrés dans une logique jusqu’au-boutiste qui les rapproche chaque jour d’un tribunal international ?

Comme citoyen vigilant, on est en droit de se demander pourquoi une telle persistance dans une posture qui, vraisemblablement, fera plus de mal que de bien aux intérêts français ? Faut-il incriminer l’appareil de décision dans son ensemble ou le seul Président ? On peut ainsi se demander pourquoi la ministre des Affaires étrangères ne dit rien et qu’aucun dialogue public n’a lieu avec le chef de l’Etat comme c’est la tradition entre le Chancelier allemand et son ministre ou entre le Conseil National de Sécurité et le président américain ? La science politique aide à répondre à ces questions. On peut relire avec profit les travaux de Sami Cohen, chercheur à Sciences Po au CERI[3], qui a longuement travaillé sur la prise de décision en politique étrangère. Il ressort de ses travaux sur la France, une tendance à la « présidence omnisciente », où l’expertise et le renseignement sont dédaignés tandis que conseillers et ministres, bridés par la « tradition » et l’esprit de cour, ne contredisent jamais un Président souvent sûr de son seul talent et soucieux de son prestige.

Dire aujourd’hui que la guerre ne se terminera pas sur le champ de bataille mais par la négociation, c’est enfoncer une porte ouverte ; après la pluie le beau temps ! Tout le monde a compris que quand les armes se seront tues la Russie sera toujours là. Beaucoup ont aussi compris que toute paix avec Poutine serait une paix provisoire et que le rétablissement d’un système de sécurité équilibré et acceptable par l’ensemble des pays européens, Russie en tête, se fera avec le régime successeur du poutinisme.

« La solution qui se présente maintenant est une solution militaire » a déclaré Irina Scherbakova, cofondatrice de l’organisation russe Memorial, lauréate du prix Nobel de la Paix 2022[4]. Il n’y a pas de guerre contre la Russie, il y a une guerre contre le poutinisme dont la seule issue est militaire. Alors, on pourra réfléchir à de légitimes garanties de sécurité pour la Russie.

 


[1] Voir par exemple les analyses du Institute for the Study of War

[2] https://desk-russie.eu/2022/12/01/l-etoile-montante.html et https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/17/en-russie-les-vi...

[3] Par exemple, son dernier ouvrage, Le goût de l’entretien. 40 ans d’enquêtes au sommet de l’Etat. Le bord de l’eau, 2022.

[4] https://www.lemonde.fr/international/live/2022/12/04/guerre-en-ukraine-e...

 

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