Le 14 mars dernier, Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart créé en 2008, a cédé sa place de président et de directeur de la publication à Carine Fouteau. Ce changement au sein du site d’information en ligne qui totalise environ 220 000 abonnés est l’occasion de relire le manifeste publié par le journaliste en 2009, intitulé « Combat pour une presse libre » et de s’interroger, quinze ans plus tard, sur la pertinence des questions posées, au regard de l’évolution actuelle du monde des médias.
Au-delà de l’expérience journalistique innovante que constitue à l’époque Médiapart, dans un contexte de crise profonde traversée par la presse française dans les années 2000, c’est surtout la problématique du rapport entre les médias et la démocratie qui doit retenir toute l’attention. C’est à ce titre qu’une relecture de ce manifeste s’impose aujourd’hui, dans un contexte où la maîtrise de l’opinion publique est un enjeu essentiel.
Quels sont les enjeux de la liberté de la presse dans le monde contemporain ?
Le manifeste « Combat pour une presse libre » fournit des éléments de réflexion intéressants sur l’importance de la presse pour la démocratie.
Journalisme et exigence démocratique
L’enjeu de la liberté de presse n’est pas seulement celui d’une information objective, mais bien plus, il est lié à l’exigence démocratique, comme le rappelle E. Plenel, en faisant référence à l’Appel de la Colline lancé en 2008 par Médiapart et Reporters sans frontières : « La liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens ». La mission du journaliste est ainsi de fournir aux citoyens les informations d’intérêt public qui leur permettent de rester libres et autonomes, maîtres et acteurs de leur destin, en étant capables de penser par eux-mêmes à partir des informations transmises. Les journalistes ont donc une « responsabilité envers les citoyens » dans la mesure où ils sont « dépositaires, instruments et gardiens d’une liberté qui ne leur appartient pas : le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de l’être humain » ajoute E. Plenel.
Une démocratie réduite au suffrage universel
On réduit trop facilement la démocratie au suffrage universel. Or, si les citoyens n’ont pas accès à l’information, ou si cette dernière est manipulée, ils ne peuvent participer en toute autonomie au débat public. E. Plenel renvoie aux propos de Victor Hugo, en 1848 : « le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel […] que le principe du suffrage universel […] La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous […] ». Il cite également une autre tribune du même auteur, en 1850 : « La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays ; elle se manifeste sous deux formes : d’une main, elle écrit, c’est la liberté de la presse ; de l’autre, elle vote, c’est le suffrage universel ».
Réduire la démocratie à la légitimation des gouvernants par les urnes, c’est selon E. Plenel « renouer avec une vision absolutiste du politique », car une fois élus, les politiques ont carte blanche durant leur mandat. Or, la démocratie véritable suppose, au-delà de ce choix électoral, plusieurs épreuves de validation complémentaires durant le mandat, ainsi qu’un contrôle régulier des actions des gouvernants, afin d’éviter que ces derniers n’accaparent le pouvoir à des fins personnelles.
Comment le journalisme d’investigation peut-il faire revivre une démocratie aujourd’hui en crise ?
Réinventer le contre-pouvoir
Loin d’être une histoire terminée et aboutie, la démocratie est au contraire inachevée, sans cesse à réinventer, insiste E. Plenel : « La démocratie sera toujours en bataille contre de nouvelles aristocraties, sans cesse réinventées, avec parfois le zèle tapageur des nouveaux riches ». Elle est une lutte continue contre le processus de confiscation du pouvoir par des intérêts privés. Il s’agit donc de contrer, comme le dit J. Rancière, « le gouvernement de ceux qui aiment le pouvoir et sont adroits à s’en emparer », c’est-à-dire ceux qui visent « l’accaparement de la chose publique par une solide alliance de l’oligarchie étatique et de l’oligarchie économique ». La démocratie est une « promesse de partage. Rien n’est à eux, tout est à nous ». De fait, le contre-pouvoir permet de garantir ce partage contre la tendance à monopoliser le pouvoir de délibération et de décision, c’est-à-dire à déposséder les citoyens des possibilités d’exercer leurs droits et devoirs démocratiques.
Renforcer le journalisme d’investigation
Dépositaires, acteurs et instruments d’une liberté fondamentale, les journalistes ont pour mission de mettre au jour les vérités factuelles, par un travail minutieux et rigoureux : « vérifier, recouper, préciser, sourcer, contextualiser, expliquer, rectifier », afin de rendre le monde intelligible. Ce travail nécessite indépendance et pluralisme de l’information. Il doit fournir aux citoyens des outils de réflexion et d’action pour pouvoir participer activement au débat public.
Que tirer de cette relecture rapide du manifeste de Combat pour une presse libre ?
Au-delà de l’expérience journalistique, c’est véritablement un appel à la vigilance auquel tout citoyen doit participer, pour peu qu’il s’en donne les moyens, qu’il fasse l’effort de ne pas sombrer dans la douceur lénifiante de la pensée toute faite et qu’il exerce son esprit critique face aux flux d’informations qui ne cessent d’inonder nos espaces de vie. C’est le défi que nous cherchons également à relever au sein du Club des Vigilants, notamment à travers les différentes Matinales organisées autour de nos 5 axes de réflexion, ainsi que les articles publiés par les membres du Club.
Informer, éveiller, « écailler les évidences » (expression du philosophe Michel Foucault) constituent les enjeux essentiels du 21e siècle, marqué par une révolution de l’information sans précédent imposant une vigilance accrue, condition sine qua none d’une démocratie vivante, pour éviter l’asphyxie, la paralysie ou la sclérose démocratique.
Commentaires
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Le rôle du citoyen/lecteur
Stéphanie a raison de souligner le rôle (la responsabilité ?) du citoyen lecteur face aux flux d’information qu’il achète ou qu’on lui « offre ». D’où l’importance de l’éducation aux médias pour les plus jeunes.
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