Pascal Blanchard : l’histoire de la colonisation française, mal digérée, pèse sur notre société

Date de la venue de l'invité: 
Mercredi, 17 mars, 2021
Pascal Blanchard (extraits)

Historien spécialiste de la décolonisation et de l’immigration, auteur de multiples ouvrages, Pascal Blanchard est co-directeur du Groupe de recherche Achac et chercheur associé à l’Université de Lausanne.

Le 17 mars dernier, il était l’invité du Club des Vigilants lors d'un webinaire consacré à la question de la représentation des minorités dans la République. Sa vision de ces sujets intéresse en effet tout particulièrement le Club qui, à la suite de ses travaux sur la difficile intégration dans la société française de certains descendants d’immigrants, vient de publier un manifeste, « Immigrés pour toujours ? » et des propositions d’action. 

Au début de son intervention, Pascal Blanchard commence par un constat : alors que notre processus de décolonisation s’est terminé il y a 60 ans, aujourd’hui, les troisième ou quatrième générations d’immigrés ne se sentent pas pleinement françaises… et ne sont pas reconnues comme telles par tous. Des études montrent que l’on retrouve même des difficultés d’intégration « chez les Antillais ou chez les Canaques », alors que certains sont pourtant là depuis 20 générations ! Aujourd’hui encore, certains immigrés ont du mal à faire partie du « grand récit national ».

D’où ces questions essentielles : comment intégrer l’autre ? Et comment faire pour que l’on se « sente tous bien dans cette Nation ? »

Pour Pascal Blanchard, il faut d’abord faire un retour en arrière pour parvenir à une constatation : nous n’en avons pas encore fini avec notre passé colonial.

UN PASSE COLONIAL PAS ENCORE DIGERE PAR TOUS…

Selon Pascal Blanchard, il est bon de rappeler que la France n’a jamais été un tout unitaire avec un monolithe culturel : « Je ne crois pas qu’il y ait eu un temps idéal d’un peuple qui symbolisait l’identité France comme étant ethniquement et culturellement unique. » Construire la Nation française a été un long processus et il n’y a jamais eu, à un moment T, de société parfaite.

Force est de constater qu’en 2021, cet idéal de société homogène n’est toujours pas atteint. La question de l’intégration de « l’autre » sur notre territoire reste encore un enjeu.
Pour l’historien, si l'on en est toujours là aujourd’hui, c’est en partie parce que l’on a cru avoir tourné une page dans les années 1960, en passant sous silence une partie de notre passé.
Pendant longtemps, l’histoire coloniale n’a pas été enseignée à l’école. Or, « le silence n’est pas quelque chose de neutre, une histoire traumatisante finit toujours par ressurgir ».

Certes, la décolonisation est terminée depuis longtemps, mais cette histoire est « encore un tabou ». Notre pays est divisé entre plusieurs manières d’appréhender ce passé colonial, entre « nostalgiques » et « hyper radicaux qui souhaiteraient une flagellation de la France ». Cette histoire est encore polémique en France. Signe de ce malaise, Pascal Blanchard note d’ailleurs que nous sommes un des rares pays européens à ne pas avoir de musée de l’histoire coloniale.
Et donc forcément, certains descendants d’immigrés se sentent aujourd’hui à la lisière du récit national. « L’histoire coloniale est mal digérée parce que l’on n’a pas assez déconstruit. »

D’OU LA NECESSITE DE FAIRE UN TRAVAIL POUR ASSUMER NOTRE HISTOIRE

Pour Pascal Blanchard, il est donc nécessaire de reconnaître les héritages issus du passé.
Pourquoi y a-t-il encore du racisme et des malaises dans notre pays ? C’est dans notre Histoire qu’il faut aller chercher les explications.
« En France, on a quand même inventé la police des Noirs en 1777 et la police des Juifs pendant la Deuxième Guerre Mondiale ! Donc forcément, ça n’est pas neutre, ça crée des mécanismes. »

Pour autant, Pascal Blanchard refuse ce qu’il appelle « la flagellation ». Il est par exemple contre le déboulonnage des statues. Il faut au contraire assumer notre Histoire. Assumer Napoléon, qui a rétabli l’esclavage, ou Jules Ferry, qui défendait la colonisation, tout en expliquant. « C’est notre Histoire, et on en hérite. La question n’est pas de savoir si on les aime, mais ils font partie de notre Histoire, c’est tout. A nous d’arriver à trouver les fils pour créer notre identité commune. »

INTEGRER L’AUTRE DE MANIERE CONCRETE, DANS L’ESPACE PUBLIC PAR EXEMPLE

Derrière ces réflexions relativement récentes, il y a le passage d’une génération à une autre.
Selon Pascal Blanchard, les plus jeunes estiment que les générations précédentes ne sont pas allées assez vite pour s’occuper des problèmes de racisme ou d’intégration.

Et puis, tout n’est pas perdu, des signes de progrès sont à noter.
A l’école par exemple. Après des années de « no man’s land », et malgré des retours en arrière, les manuels ont progressivement intégré l’histoire de la colonisation. Un enjeu complexe mais vital, afin que ne soient pas uniquement commémorés ceux qui sont morts pour la France, mais aussi « ceux qui sont morts à cause de la France. ».

Puis Pascal Blanchard évoque un problème essentiel : l’absence de représentation des personnes issues de la diversité dans l’espace public. « Les jeunes ne voient jamais des figures qui leur ressemblent ! »
L’historien, à la demande de la ministre déléguée à la Ville, Nadia Hai, a animé un conseil scientifique qui a remis ce mois-ci une liste de 318 noms de personnalités « qui ont contribué à notre Histoire mais n’ont pas encore tous trouvé leur place dans notre mémoire collective » Ces noms sont destinés aux maires qui pourront s’en inspirer, s’ils le souhaitent, pour renommer les futurs rues ou bâtiments publics. Car pour le moment il y a trop de boulevards Victor Hugo ou Charles de Gaulle, et pas assez (ou pas du tout !) d’écoles Paulette Nardal (première femme noire à être arrivée à la Sorbonne) ou de rues Louis Delgrès (Martiniquais devenu chef de la résistance anti-esclavagiste).
« Ce sont des personnalités exceptionnelles, qui n’ont pas eu leur place dans le récit collectif. Les générations précédentes ont créé l’oubli. Et pourtant, ces personnes pourraient être un miroir » pour les descendants d’immigrés installés en France.
C’est ce que l’on peut appeler une « politique de la reconnaissance » et elle est importante, pour éviter que « des gamins qui ne se sentent pas Français aillent chercher une autre culture que celle de la République. »

En clair selon Pascal Blanchard, profitons de ce qui fait notre force : l’important métissage de notre pays. A nous d’intégrer toutes ces différentes cultures, tout en conservant ce qui fait le socle de notre récit commun.

 

Pascal Blanchard (intégrale)
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Commentaires

L' intervention de Pascal Blanchard était fort intéressante, car l'homme a propose des pistes originales pour mieux intégrer les émigrés et descendants d'immigrés dans notre pays et les énonce avec brio.

Je dois dire cependant qu'il ne m'a pas convaincu. J'a du mal à croire qu'une liste de noms destinés à baptiser places, écoles et rues soit une solution suffisante pour intégrer l'autre. Ces noms sont d'ailleurs pour la plupart inconnus y compris des immigrés et descendants d'immigrés, et le resteront longtemps, le temps qu'on leur explique de qui il s'agit

Je conseille d'ailleurs vivement de regarder la vidéo, car Pascal Blanchard a nuancé ses propos en répondant aux questions des Vigilants.

Il a indiqué par exemple que la haine de la Nation et de la culture françaises, qui anime une partie non négligeable de la deuxième ou troisième génération d'immigrés, pose un problème particulier .

Il faudra, dit-il plusieurs générations avant de régler ce problème. Il donne cependant un signe d'espoir en se référant aux catholiques de France qui ont mis beaucoup de temps à se réintégrer à la communauté nationale après la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Cette vision me parait historiquement contestable. D'une part, les catholiques ne se sentaient pas exclus de la communauté nationale au moment du vote de la loi de 1905. L'idée n'en aurait même pas effleuré l'initiateur de la loi, Aristide Briand ni même "le petit père Combes". D'autre part, ce sont bien les catholiques, pratiquants pour la plupart, qui ont fourni les plus gros contingents de morts pendant la première guerre mondiale. Et tous les prêtres qui avaient émigré dans d'autres pays d'Europe à la suite de la dissolution des Congrégations sont revenus en France pour participer à la guerre. C'est ce qui a valu dans les années 20 un allègement significatif des contraintes de la Loi de 1905.

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