La Nouvelle Calédonie est, selon l’ONU, une colonie. Le Comité spécial de la décolonisation de l’Organisation la considère comme l’un des dix sept territoires dont les populations ne s’administrent pas encore par elles-mêmes.
Paris ignore ce comité. Cette position est tenable tant que l’Ile est calme. Avec un désordre durable, les institutions onusiennes se manifesteront. Or l’ONU est durablement dominée par le SUD. La position du Sud est claire : tout territoire colonial doit accéder à l’indépendance et les Français sont des étrangers en Nouvelle-Calédonie. S’ils ne s’entendent pas avec la population kanak, ils n’ont qu’à rentrer chez eux. La règle ne supporte pas d’exceptions. La France s’est engagée elle-même par les accords de Matignon en 1988 à mener à bien la décolonisation de la Kanaky (mot que le président Macron ne prononce pas). Qu’elle respecte ses engagements.
Cette conception n’est pas partagée par la plus grande partie de la classe politique française, gauche comprise. Elle s’est persuadée que des réformes profondes, politiques (l’autonomie) et économiques (le développement) éviteront l’indépendance. Cela a déjà été dit en 1956-57 par des intellectuels de gauche à propos de l’Algérie : supprimons les innombrables injustices existant dans les trois départements, investissons et l’Algérie restera Française. Ils ne furent écoutés ni par les colons, ni par les nationalistes, ni par les gouvernements.
La voie choisie par le gouvernement Rocard, les leaders nationalistes et indépendantistes, en 1988, était originale, ambitieuse et incertaine. Elle donnait du temps au temps, retardant le choix sur le problème central de l’indépendance, qui serait réglé par référendum (il en était prévu trois). En attendant de profondes réformes étaient mises en œuvre : mise en place d’exécutifs locaux, large décentralisation (y compris fiscale), droit à une législation propre, redistribution des terres. A la suite de ces réformes et des résultats obtenus, une grande majorité des habitants estimerait que rester dans l’ensemble français assurerait mieux l’harmonie et le développement que l’indépendance solitaire, dans un monde de plus en plus conflictuel.
C’est ce qu’espérait Michel Rocard. En 2024, cette conviction n’est pas partagée par un grand nombre de kanak. Reconnaissons que le contexte a été défavorable.
Dans le monde, l’anticolonialisme, sous tous ces aspects, est devenue La grande cause qui unit le Sud. Les anciennes métropoles coloniales sont a priori coupables.
Dans le territoire, les divisions se sont accrues, notamment dans la population kanak. Du fait d’une plus grande ouverture sur le monde, la jeunesse kanak s’est éloignée des tribus et de l’influence des chefs coutumiers. Une partie, mieux formée, est venue grossir la population de Nouméa. Même avec des diplômes, elle trouve de la peine à trouver des emplois, la préférence continuant d’être donnée aux « blancs » résidant sur place ou venant de France. Ces discriminations la confinent dans la pauvreté. Elle se pose des problèmes d’identité, revendique et le drapeau kanak et la possibilité d’avoir des relations étroites avec les pays mélanésiens.
Les efforts économiques ont été réels. Des terres furent partagées et des infrastructures financées. La situation de départ était relativement favorable. Elle a progressé. En 2021, le niveau de vie était proche de celui de la métropole- très au-dessus de celui de la Martinique ou de la Guyane- grâce aux transferts (les salaires des fonctionnaires civils et militaires) et au nickel (20% du PIB) . La conjoncture s’est détériorée avec la chute du prix du nickel, due notamment à l’explosion des exportations indonésiennes et à une perte durable de compétitivité due à la forte hausse du prix de l’électricité.
L’usine du Nord (Koniambo) mal gérée par les Kanak est à l’arrêt et pourrait fermer dans les prochains mois, augmentant de plusieurs milliers le nombre des chômeurs. L’usine de Doniambo, au sud, devrait être recapitalisée, ce que refuse, sans nouvelle aide de l’Etat, son propriétaire français Eramet. Et l’usine de l’extrême sud, Prony Ressources est à l’arrêt Cette crise économique et sociales se double d’une crise financière, l’administration kanak s’étant révélée très dépensière et personne ne sait qui va payer. Des transformations économiques positives ont engendré- comme toujours- de nouvelles inégalités, de moins en moins supportées dans le contexte politique. Elles sont fortes dans le domaine de l’école, de la santé et des revenus.
D’un point de vue économique, social et financier, le territoire est en crise.
Dans la perspective des réformateurs, le changement devait faire évoluer les esprits et les communautés se rapprocher, même si les métissages culturels sont plus lents que les métissages physiques, qui sont fréquents. Une politique culturelle active devait y contribuer. Les derniers évènements montrent qu’il n’en est rien. Les incompréhensions sont considérables et le racisme est toujours là. Une majorité de blancs réagit comme des colons attachés au statu quo (on a déjà beaucoup cédé, voire trop) et la majorité de Kanak en colonisés partisans d’une indépendance immédiate (pour le reste, l’on verra après) Une minorité de libéraux existe des deux côtés mais l’histoire montre que dans la plupart du temps ils sont laminés.
Pour éviter cette dérive, il aurait fallu un comportement actif et impartial des dirigeants politiques, notamment parisiens. Cela n’a pas été le cas.
Une incitation à élaborer, d’abord sur le terrain, des scénarios pour le « jour d’après ». Le référendum était nécessaire, quel que fût le résultat, pour limiter les appréhensions devant un vide institutionnel et politique et apaiser les craintes sociales. Il aurait fallu un Président qui comprenne ce qu’est une décolonisation. A priori nul n’était mieux placé qu’Emmanuel Macron. Sa jeunesse, ses propos violemment anticolonialistes prononcés à Alger qui avaient failli lui coûter son élection ( « un crime contre l’humanité »), ses initiatives (parfois naïves) tendant à la réconciliation entre la France et l’Algérie le laissaient présager. Il n’en n’a rien été.
Il multiplie les maladresses, voire les provocations : retirer le dossier au Premier ministre et le confier au ministre de l’Intérieur (le ministre du maintien de l’ordre) ; faire entrer dans son gouvernent une loyaliste légitimiste dure présidente de la province du sud ; et surtout ne pas retarder le troisième référendum comme le demandait la partie kanak.
Le président s’est comporté comme s’il s’agissait de la métropole où un élargissement du corps électoral est bénéfique à la démocratie et même une exigence constitutionnelle.
La Nouvelle Calédonie, elle, est une colonie dont il faut rappeler les conditions de son peuplement.
Quelques dizaines d’années après l’arrivée des Français, la population avait diminué de plus de 50%, du fait des guerres et des épidémies. Conçue comme une « colonie de peuplement » la politique constante de Paris a été de faire venir le maximum de non Kanak pour que ceux-ci deviennent minoritaires : bagnards français ( qui n’avaient pas le droit de revenir en France), habitants des Iles voisines.
Cette politique s’est poursuivie jusque dans les années 70. Messmer, Premier ministre et ancien Gouverneur des colonies signait une circulaire (juillet 1972) sur « l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des DOM (Réunion) en vue d’améliorer le rapport numérique entre les communautés et d’aboutir à une masse démographique majoritaire ». Des emplois devaient être réservés aux immigrants dans les entreprises privées. L’objectif politique était de faire de la Nouvelle Calédonie un « Luxembourg dans le Pacifique »[i].
Compte tenu de cette histoire coloniale et de ces précédents, l’élargissement d’un corps électoral, partiellement gelé par les accords de Matignon doit se faire avec l’accord de la communauté kanak, la première à peupler le territoire et représentant aujourd’hui environ 40% de la population. Cet élargissement doit intervenir dans le cadre d’une solution globale consensuelle et être retardé tant qu’elle n’a pas été obtenue.
Un problème supplémentaire est que notre nouveau Napoléon III et banquier est pressé, l’efficacité en affaires impliquant un calendrier et une date limite, comme dans les fusions d’entreprises. En adolescent avide d’action, qui aime le risque, il se rend sur place, y passe 23 heures … et ne règle rien. A l’impossible, nul n’était tenu. Il a néanmoins compris sur place l’importance du temps et des palabres pour les communautés kanak, ce qui le conduit à renoncer à son calendrier, au moins un temps. Cette lucidité est incomplète, puisqu’en même temps il évoque la possibilité de régler le problème du corps électoral par un référendum national, tournant le dos à la démarche de décolonisation selon laquelle seuls les habitants de l’île peuvent régler leurs problèmes. Enfin, dans cette phase éminemment politique, faire intervenir une mission de bons offices composés de hauts fonctionnaires inconnus- sûrement très honorables- est peu pertinent.
Pourquoi cet entêtement ? Outre le poids des lobbys coloniaux sur les décisions, une des raisons est l’importance que le Président attache à la présence française dans la zone Pacifique/ Océanie. Il en a fait un élément de la stratégie internationale de la France et une Nouvelle Calédonie française, avec son domaine public maritime, y tient une place importante. Même avec un statu quo, les chances du projet macronien sont très limitées : éloignement, manque de moyens financiers et militaires, bases territoriale constituée par des territoires, d’anciennes colonies au devenir incertain. La France a, certes, un rôle international à jouer, mais c’est en Europe que se joue son avenir qu’elle doit l’exercer, en y concentrant ses capacités.
Et Enfin ? L’issue n’est pas écrite. Il faut peu d’hommes pour faire un miracle.
La solution la meilleure, pour la France comme pour le territoire, serait le retour à un consensus. Il suppose du temps, le respect des diversités et le sens du compromis.
Du côté Kanak la conviction qu’une rupture brutale avec la France, accompagnée du départ massif de la population non kanak, serait très couteuse sur le plan économique et financier, social et culturel .
Du côté international, la peur que la France soit remplacée par une Chine expansionniste et intéressée par le nickel pourrait inciter de grands pays voisins (l’Australie) et les Etats-Unis à jouer activement la carte du compromis.
Du côté européen, la conviction que la lutte contre les inégalités et le respect des valeurs kanak sont la condition d’une présence durable.
Du côté de l’Etat français, il faudra accepter de mettre de l’argent.
Peut être faut-il revenir au projet Indépendance-Association de Pisani et Tjibaou (1985) qui parvenait à conjuguer deux notions, mises sur le même plan, alors qu’elles sont, a priori, contradictoires. Mais où sont en 2024 les Pisani et les Tjibaou ? Où sont les Lafleur, les Rocard et autres Le Pensec ?
En mai 2024, une solution de réconciliation et de compromis n’est pas en vue. Certes, l’ordre public sera approximativement rétabli et une vie quotidienne supportable reprendra. Mais les effets de la violence sont durables : peur, crainte du lendemain, départ des plus nantis disposant d’une base en France, fermeture définitive de commerces, de services, d’usines, gel des investissements privés, chômage massif. Nous sommes entrés dans l’engrenage de l’incertitude et des violences larvées, entretenues par de jeunes kanak et par des milices, accompagnées d’une baisse forte du niveau de vie.
La France n’est nullement prête à subir une micro-guerre d’Algérie. Si La Nouvelle Calédonie devenait durablement un problème de politique intérieure et internationale, une grande partie de l’opinion échaudée par les échecs des guerres coloniales exercerait une pression Aucun gouvernement ne supporterait longtemps une telle situation. L’issue serait une négociation sur les positions kanak et un retrait français, en dépit des conséquentes pour les habitants de l’Ile restée sur place. Obtenue dans de telles conditions, une indépendance déboucherait probablement sur des années très difficiles pour la Kanaky et ses habitants.
[i] Le Gouverneur n’était pas assez ambitieux. Il aurait fallu viser un « rapport numérique » de l’ordre de 80% en faveur des non-kanak. Lorsque ce seuil est atteint, la population autochtone est pratiquement éliminée, comme ce fut le cas en Australie, en Nouvelle Zélande…et aux Etats-Unis et comme le voudraient les artisans du Grand Israël.
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