Lettre à un ami qui ne voulait pas défendre ses mœurs

A l'occasion des discussions du groupe de travail portant sur l'intégration des enfants d'immigrés en France des opinions divergentes ont été émises sur la question de la nécessité ou de l'opportunité de la préservation des mœurs caractérisant le mode de vie français. Cette question me tenant à coeur j'ai transformé la réponse au groupe de travail en lettre ouverte.

 

A l’infini nous débattons. Libre choix des descendants d’immigrés de notre pays de vivre en accord avec leurs coutumes ou intégration à la société française.
Je suis le liberticide, le dictateur en puissance qui nie l’altérité et veut contraindre l’autre à me ressembler.
Toi, ami, défenseur de la liberté, des lumières et de la révolution, tu prends la défense du petit, du faible, de l’autre et tu t’opposes à ce que serait la dictature de la majorité.
Ton combat est sincère. Ta sincérité nourrit l’estime que je te porte. Tu ne veux pas d’une police des mœurs qui, au prétexte de préserver la France, nous rabaisserait au rang de l’Arabie Saoudite ou de l’Iran.

Or, cette police existe. Elle ne porte pas d’uniforme. Elle est absente des lieux où tu habites et travaille. Elle mite la France et la transforme par petits bouts. Mais elle ne mène pas le bon combat.
Elle empêche la jeune fille qui sort de chez elle de garder les cheveux au vent.
Elle rend fou le chef d’entreprise qui doit réorganiser sa cantine.
Elle désole la mère de famille qui offre un bonbon à l’enfant venu au goûter d’anniversaire de son fils. « Madame, y-a-t-il de la gélatine de porc ? »
Elle te fait acheter, chez ton boucher, de la viande issue d’animaux n’ayant pas été étourdis avant mise à mort alors que tu es défenseur de la cause animale.
Elle vide les cafés et les espaces publics de la présence des femmes. Ces femmes que tu admires et respectes.
Elle empêche le maître de faire cours à des jeunes lorsqu’est évoqué le génocide des juifs.
Elle justifie dans les petites classes de ne pas être « Charlie » car il faut bien que meurent ceux qui ont offensé le Prophète.

 Mais cette police ne peut agir seule. Elle a ses agents. Dans la presse et les médias. Au sommet du pouvoir. Elle a infiltré les élites sans lesquelles elle serait démunie, balayée par la colère de la majorité de ceux qui voudraient lui faire barrage.
Que pense cette élite ?
Que la population issue des pays d’islam ne peut aspirer au modèle de société occidental. Qu’il est légitime qu’elle reste cantonnée à sa condition d’origine.
Que si des jeunes insultent une jeune fille impudique au seuil d’un immeuble il suffit que le père les morigène pour qu’ils cessent de l’importuner. Qu’il suffit d’appeler la police pour que cessent les troubles.
Et d'en déduire, personne ne morigénant les jeunes ou n’appelant la police, qu’en réalité tout le monde est d’accord. Et que l’on ne peut s’immiscer et vouloir modifier les modes de vie qui divergeraient des nôtres. Qu’ils sont la France d’aujourd’hui. Qu’il faut l’accepter.

Voilà ce que tu penses ami. Défenseur de la liberté. Représentant de l’élite.
Connais-tu le chauffeur de taxi marocain dont je t’ai parlé ? Celui qui m’accuse de trahir mes valeurs en acceptant l’inacceptable. Qui me reproche, alors que ses parents ont choisi la France, de le laisser revenir au temps de l’empire ottoman ?

Baisseras-tu les yeux à ton tour lorsque les hasards de l’existence menant ta fille à travailler dans un quartier sensible, elle te dira un soir, en pleurant, qu’elle a été insultée ?

J’ai des remords. Je vois que tu es bon. Paisible. Que tu dors du sommeil du juste. Et que, depuis deux ans, je suis accroché à tes paupières et les écarte de toutes mes forces.

Je veux que tu voies.

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Commentaires

A ta lettre je peux répondre ceci.

D'abord on voit bien, lorsque tu évoques "nos" mœurs, que tu penses naturellement à celles d'un homme (ou d'une femme) blanc, catholique, "de souche" comme on dit. bref ! A ce qu'il est convenu d'appeler les bonnes "mœurs"?
Or, ces mœurs que tu prétendrais défendre, loin d'être invariantes, sont complètement et régulièrement chamboulées depuis la fin de la 2nde guerre mondiale ; l'arrivée des américains apporte une nouvelle musique (le rock), de nouveaux vêtements (le jean), de nouvelles boissons (le Coca-cola) ; mai 1968 apporte la libération sexuelle ; puis il y aura l'affirmation de l'égalité des sexes, le véganisme, le mariage pour tous, etc.
Alors de quelles mœurs parles-tu ? Celles d'avant-guerre ou les nouvelles, qui banalisent des comportements considérés comme offensants, voire contraires à la morale, il n'y a pas si longtemps ?

Ensuite, à ma crainte de voir émerger une "police des mœurs", tu réponds qu'elle existe déjà ! Si ce que tu appelles ainsi c'est la pression sociale qui s'exercerait, par exemple pour imposer aux jeunes filles le port du voile et "rendre fou le chef d'entreprise qui doit réorganiser sa cantine"... reconnais que c'est un discours convenu : quelle étude a jamais fourni des éléments pour connaître les motivations des jeunes filles qui portent le voile ?
Quant à ce "chef d'entreprise qui devient fou", il a du souci à se faire avec la montée des intolérances alimentaires de toutes natures, du veganisme, demain d'autres "modes" : sa bonne vieille cantine avec menu unique et poisson le vendredi fait déjà partie du passé. Le "halal" ne sera qu'un avatar supplémentaire.

Je crois que les mœurs sont affaires d'époque et qu'il faut savoir accepter des accommodements lorsqu'ils sont raisonnables et, surtout, compatibles avec nos valeurs.

C’est curieux d’évoquer l’évolution de la société vers la libération sexuelle, l’égalité homme femme, la mise au grand jour de l’homosexualité et de qualifier d’accommodement raisonnable le surgissement sur le territoire français d’une société patriarcale masculine de type méditerranéen archaïque.

Mais pourquoi pas.

Je ne suis ni en faveur de la revendication homosexuelle victimaire ni en faveur du modèle patriarcal archaïque.

Je rejette qu’au nom d’une religion, et indépendamment des mœurs que cette religion véhicule, je puisse être considéré, comme blanc catholique et français, soumis aux desiderata des fidèles de cette religion qui estiment naturel que leurs normes soient en surplomb des miennes.

Je ne me sens pas l’âme d’un dhimmi.

Donc oui, cantine avec jambon et poisson le vendredi. Mais personne n’est obligé de s’y restaurer et tout un chacun peut ramener son plat du midi en accord avec des croyances que je ne juge pas mais dont je refuse que l’on fasse un sujet de revendication sociétale.

Je précise que lorsque je suis invité chez des amis musulmans ou juifs je ne leur impose pas mes habitudes alimentaires, que je sois adorateur du cochon, végan ou autre.

J’estime qu’au-delà des querelles religieuses et politiques, il est simplement grossier de s’insérer dans une communauté nationale en qualifiant ses membres de relaps (koufar) alors que si l’on est musulman c’est que nécessairement un de ses aïeuls a renié la religion de ses pères, qu’il ait été chrétien, juif ou païen.

Ce que ressentent les français et qui caractérise leur acceptation du bouddhisme des végétariens et du Coca Cola, c’est qu’aucun de ces éléments n’est érigé en provocation à leur mode de vie. L’attitude de ces « croyants » relève de la démarche personnelle dont la liberté est garantie à tous.

La crispation surgit lorsqu’il est fort bien perçu que ce n’est pas la démarche personnelle qui prévaut mais son affichage revendicatif. Faut-il arrêter la chaîne de production à l’heure de la prière ? Un autre médecin s’il vous plaît pour examiner ma femme. Mademoiselle que faites-vous dans la rue sans votre frère ou votre mari. Vous voyez bien que je peux me baigner couverte de la tête aux pieds. Il y a là un projet de société. On peut le qualifier de raisonnable. On peut aussi en disconvenir.

C’est l’intérêt du débat.

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