Immigration : et si on changeait de logiciel ?

Immigration ! Voilà un terme qui alimente en permanence le débat public lorsque l’extrême droite le brandit comme un épouvantail et qui divise le reste du personnel politique tenté soit de surenchérir (à droite), soit de se déterminer (à gauche) pour trouver quelque chose d’intelligible à dire en accord avec l’opinion publique.

Pourtant, si l’on en croit une récente enquête de l’IFOP (Balise d’opinion #203, « L’état d’esprit des Français : les thèmes prioritaires pour les mois qui viennent »), la lutte contre l’immigration clandestine n’arrive qu’en 9ème position dans les préoccupations des Français, loin derrière la santé, l’inflation et le pouvoir d’achat.

Et pourtant, ce thème est sur toutes les lèvres politiques. Le gouvernement a d’ailleurs en chantier une loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration.
De quoi est-il question ? La principale mesure envisagée est la régularisation des travailleurs sans papiers déjà employés dans des métiers en tension… Or c’est ce que propose déjà la circulaire dite « Valls » de 2012. Elle permet en effet d’obtenir une « régularisation administrative » pour un travailleur disposant d’un contrat de travail s’il peut faire état de 24 bulletins de paie sur les 3 dernières années. Cette régularisation est valable pour la durée du CDD et, surtout, la décision d’octroi de cette admission est à l’appréciation du Préfet. Est-ce faire du neuf avec du vieux ?

Qu’en est-il aujourd’hui ? La réglementation, on s’en doute, est très complexe et alimente en permanence des bataillons d’avocats. Sans rentrer dans le détail, il y a deux grands cas de figure :

  • L’immigrant est réellement en situation irrégulière (sans titre de séjour ou débouté du droit d’asile par ex.) : n’ayant pas le droit de rester sur le territoire il n’a évidemment pas celui de travailler et, surtout, aucun employeur ne doit le faire travailler. Dans les métiers en tension (bâtiment, restauration, transport notamment), c’est le règne du travail au noir qui trouve ses ressources parmi les 900 000 immigrés clandestins (source l’Observatoire de l’Immigration) qui n’ont pas de possibilité légale de subvenir à leurs besoins. Pourtant ces employeurs qui le pratiquent encourent une amende de 15 000€ et une peine de prison pouvant aller jusqu’à 5 ans ! On imagine aisément les violences que peuvent subir les immigrants ainsi exploités (salaires de misère, conditions de travail indignes, etc.). Vu le risque encouru, l’employeur cherche à « rentabiliser » son employé au maximum !
    Les fraudes fiscale et sociale attachées à ces pratiques sont évaluées entre 8 et 16 milliards d’euros.
  • L’immigrant dispose d’un titre de séjour qui lui donne le droit de rester sur notre sol, mais pas d’y travailler (il en existe de multiples !). S’il veut le faire, il doit demander une autorisation de travail à la Préfecture. Autorisation qu’il ne recevra jamais, sauf si l’employeur de bat pour le lui obtenir. Il doit, par exemple, justifier que seul cet immigrant peut convenir à son emploi ! Dans tous les cas c’est à l’employeur de vérifier que son employé a bien le droit de travailler. Et de rompre le contrat de travail. De quoi en dissuader plus d’un.

Proposer la régularisation des travailleurs sans papiers relève donc d’une immense hypocrisie : le salarié peut espérer obtenir sa régularisation administrative s’il peut prouver qu’il a travaillé 24 mois sur les 3 dernières années. Vous avez bien lu : il faut prouver que vous avez travaillé 24 mois (alors que vous n’avez officiellement pas le droit de travailler), donc qu’un employeur (qui n’a pas le droit de vous embaucher) a pris le risque de vous recruter et de vous payer régulièrement, c’est-à-dire avec des feuilles de paie, pour pouvoir obtenir (mais ce n’est pas garanti) une « admission exceptionnelle au séjour » (c’est-à-dire un titre de séjour temporaire) dont la durée est calée sur la durée de votre CDD.

En matière de justice et de lutte contre la précarité on peut mieux faire. En revanche c’est violence à tous les étages.

Contrairement aux allégations des conservateurs de tous poils, l’immigration est bénéfique pour notre économie. De multiples études l’ont démontré :

  • Selon la London School of Economics et l’OCDE, les flux migratoires augmentent la demande en stimulant la consommation et l’activité, ce qui crée potentiellement des emplois.
  • Selon l’OCDE, avec le temps, les immigrés parviennent dans la plupart des cas à trouver un emploi et à contribuer à l'économie. Souvent jeunes, ils pèsent donc logiquement moins sur la charge économique que peut représenter les retraites.
  • Selon la Toulouse School of Economics, les migrants occupent des emplois souvent non pourvus, que ce soit dans la construction, la restauration ou les services à la personne. Ils n’accroissent donc pas le chômage.

Alors pourquoi ne pas envisager d’autres approches ?

Puisque l’immigration est plutôt bénéfique, alors donnons aux immigrés durablement installés sur notre sol une chance de s’intégrer. Une sorte de titre de séjour « à l’essai », valable pour une durée à déterminer (un an ? deux ?). Ceci aurait plusieurs avantages :

  • Mettre les immigrés dans des conditions leur permettant de faire la preuve qu’ils veulent et peuvent s’intégrer dans la vie économique et la vie sociale. Ce qu’on leur interdit actuellement.
  • Tarir le terreau fertile où les trafiquants de drogue recrutent leurs guetteurs, dealeurs, etc. dans une population fragile qui n’a pas d’autres moyens de subvenir à ses besoins.

On peut raisonnablement espérer que l’ensemble des immigrés, voyant qu’il est possible d’obtenir emploi et logement à la régulière, soit stimulé et se mobilise pour réussir.

Tous ne réussiront pas, mais tous auront leur chance.

Parmi les 900 000 personnes en situation irrégulière - condamnés, pour l’immense majorité, à poursuivre tant bien que mal une existence sans espoir de jamais pouvoir se construire une nouvelle vie voire, pour une petite partie, sous la menace de la « célèbre » OQTF (Ordre de Quitter le Territoire Français) et d’une expulsion - lesquelles pourraient être demain les Yannick Noah, les Louis Chedid, les Gad Elmaleh, les Paul Pogba, ou les innombrables créateurs d’entreprises plus anonymes ?

Même si, à l’issue de cette « période d’essai », le constat était à l’échec pour certain(e)s, nous aurons fait le maximum en traitant humainement toutes ces personnes. Les recalé(e)s poseront évidemment problème, mais, aujourd’hui, ils/elles sont tou(te)s des « recalé(e)s ». 

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