Immigrés pour toujours ? Un manifeste du Club des Vigilants.

Trop d’enfants et petits-enfants d’immigrants ne s’intègrent pas bien dans la société française. C’est un sérieux problème. Voici le diagnostic et les pistes d’action proposées par un groupe de travail du Club. Sept propositions d’action suivront.                         

Une immigration non-européenne (asiatique, africaine, maghrébine) a fait souche en France.
Cependant, même après deux ou trois générations, les descendants de ces immigrés — devenus Français par choix (naturalisation) ou par application du droit du sol — restent pour beaucoup des « personnes d'origine asiatique, africaine, maghrébine ». Ni les canons de la culture française ni le récit national (« nos ancêtres les Gaulois ») n'accordent une grande place aux Français issus de l'immigration. Seuls les humoristes, les artistes et telle ou telle relation personnelle issus de cette immigration trouvent grâce aux yeux de beaucoup de Français de plus longue date.
De leur côté une partie de ces populations ne semblent pas toujours vouloir s'intégrer, même à la deuxième ou troisième génération, problème particulièrement sensible pour la population musulmane — nous y reviendrons. Contrairement aux descendants d'immigrés européens (Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais...) qui ont, il est vrai, mis du temps à se fondre dans la population française. « Quand on parle du voile, beaucoup de jeunes femmes qui le portent sont filles ou petites-filles d’immigrés, elles ne viennent pas d’arriver », disait le président de la République, dans une interview à Valeurs actuelles en octobre 2019.

On est, au mieux, dans une ignorance polie. Cette non-reconnaissance mutuelle des diverses communautés françaises menace la cohésion sociale et favorise la montée des extrêmes.

Autant les débats sont nombreux sur l’immigration, voire sur l’intégration des primo-arrivants (rapport du député Aurelien Taché), autant la question ici explorée n’est qu’indirectement dans le débat public (le rapport Borloo sur les « quartiers » était titré : « Pour une réconciliation nationale »). D’ailleurs aucune instance publique ne se préoccupe plus officiellement « d’intégration », l’ancien Haut comité à l’intégration ayant été intégré dans les attributions du « Défenseur des droits ».
C’est pourquoi nous avons décidé de nous concentrer sur ceux qui sont là et dont la proportion augmente dans la population française. Resteront-ils pour toujours des immigrés ?

Le groupe d’une dizaine de citoyens de bonne volonté qui a produit ce texte ne prétend à aucune expertise (voir sa composition en fin de texte). Ses participants, de bon niveau intellectuel et social, n’ont qu’une expérience très limitée de la cohabitation au quotidien entre populations issues de l’immigration et Français « de souche ». Ils avaient des vues à priori assez divergentes au départ. Ils ont fait l’effort de se documenter, d’auditionner des témoins et surtout de poursuivre le dialogue entre eux et de s’écouter. Cette recherche de bonne foi d’un point d’équilibre est le principal intérêt de leurs réflexions.

DIAGNOSTIC

Quelques chiffres.

La proportion des enfants d’immigrés dans les naissances augmente rapidement.
La France comptait, en 2019, 6,7 millions d’immigrés (9,9% de la population), c’est à dire des personnes nées à l’étranger, dont environ 40% possédaient la nationalité française. Elle comptait de plus 7,7 millions d’enfants d’immigrés (personnes nées en France d’au moins un parent né à l’étranger), soit 11,4% de la population. La descendance des immigrés n’est pas systématiquement suivie par les statisticiens au-delà des enfants.
Les parents de ces « enfants » d’immigrés, dont certains sont aujourd’hui eux-mêmes parents ou grands-parents, sont venus pour 40% d’Europe, immigration ancienne, 45,5% d’Afrique (dont 33,5% du Maghreb), immigration plus récente, 10% d’Asie (dont 5% de Turquie) et environ 4% d’Amérique et d’Océanie.
Aujourd’hui 57% des enfants d’immigrés italiens ou espagnols ont plus de 55 ans, et seulement 6% ont moins de 25 ans. Inversement les enfants d’immigrés africains sont jeunes : 63% des enfants d’immigrés venus du Maghreb ont moins de 25 ans, proportion qui monte à 78% pour ceux venus d’Afrique subsaharienne.

Les chiffres les plus marquants concernent les naissances en France. Sur les 753 383 enfants nés en 2019, 15,4% avaient un parent né à l’étranger (13,2% en 2000) et 17,2 % avaient deux parents nés à l’étranger (9,2% en 2000), ces étrangers étant principalement d’origine non européenne. La proportion a rapidement augmenté depuis 20 ans. Les enfants d’au moins un parent immigré, qui comptaient pour 22% des naissances en 2000, approchent d’une sur trois aujourd’hui (33% en 2019).

Il est difficile de mesurer combien d’enfants ou petits-enfants d’immigrés sont convenablement intégrés ou pas dans la population française. En revanche les statistiques que nous venons de citer nous disent clairement que la population en risque de mauvaise intégration augmente rapidement.

La jeunesse est une promesse. C’est aussi un âge difficile. Les chiffres portant sur les résultats scolaires des enfants d’immigrés sont un symptôme important d’intégration problématique dans la société.

L’échec scolaire, symptôme et menace.

Les résultats scolaires des enfants d’immigrés se sont dégradés au cours des dernières décennies. En France, l’écart des performances entre autochtones et enfants d’immigrés est plus fort que dans tous les autres pays de l’OCDE (surtout pour les garçons) et cet écart ne se résorbe pas, ainsi que le montrent les résultats 2018 des tests PISA trisannuels. Le score des élèves issus de l’immigration est inférieur de 52 points à la moyenne nationale de 493 points (41 points d’écart en moyenne pour l’ensemble des pays de l’OCDE). Les jeunes issus de l’immigration sont au moins 2,5 fois plus susceptibles de figurer parmi les élèves en difficulté. Le retard dans l’acquisition de compétences et l’apprentissage débute dès le plus jeune âge, avant même la scolarité élémentaire. Il se traduit par d’importants écarts de niveau à l’entrée en sixième.

Conséquence, les enfants d’immigrés sont nombreux à sortir sans diplôme du système éducatif (24% contre 16% pour les autres jeunes). Niveaux de diplômes moins élevés, orientation souvent non choisie et difficultés d’accès à l’apprentissage font obstacle à l’insertion professionnelle et expliquent en grande partie (les discriminations à l’embauche jouant également) le taux de chômage élevé des jeunes actifs de moins de 25 ans (42% pour les enfants d’immigrés d’Afrique, contre 22% pour les enfants d’immigrés européens et les Français de souche). Qu’en est-il des petits-enfants et arrière-petits-enfants ? Les études statistiques restent trop rares sur ce sujet.

Le chômage, plus qu’un drame économique.

Le fait que les descendants d’immigrés, en proportion croissante dans la population, ne soient pas convenablement intégrés dans le marché du travail et l’économie est un désastre à tous points de vue.
Une trop forte proportion de population non disponible pour l’emploi (parce qu’elle n’en veut pas ou parce qu’on ne veut pas d’elle) diminue d’autant la croissance potentielle et augmente d’autant les dépenses sociales en allocations diverses. Sans que celles-ci fassent pour autant disparaître les frustrations et les tensions.
D’autre part l’intégration — processus souvent long — des générations précédentes d’immigrés et de leur descendance a été le résultat de contacts et d’échanges quotidiens avec leur milieu d’insertion, c’est-à-dire le plus souvent un milieu populaire, ouvrier, dans le travail et dans les luttes sociales en commun. Aujourd’hui le chômage (ou le cantonnement dans certains emplois que nous évoquerons plus loin), ajouté à la ghettoïsation dans les quartiers et l'affaiblissement du syndicalisme sont des obstacles déterminants pour l’intégration des immigrés et de leur descendance.

Or, le taux de chômage des personnes immigrées et des enfants d’immigrés est supérieur de 8 points au taux de chômage général, d’après une étude publiée par l’INED en 2016. Même si on corrige pour éliminer l’influence de l’âge, de l’éducation, du niveau de formation, du permis de conduire, de l’état de santé … leur taux de chômage présente encore un écart de 4 à 5 points par rapport au taux de chômage général.

Une part de cet écart s’explique par les préjugés et les discriminations à l’embauche. D’après le rapport 2020 du Défenseur des Droits le ressenti des discriminations est fort, 62% des personnes actives non blanches déclarent avoir été souvent ou très souvent confrontées à une discrimination dans l’accès au travail. Or la discrimination fonctionne comme un cercle vicieux. Les moins combatifs, découragés par les premiers rejets, cherchent à éviter les suivants. Tous les tests menés sur le recrutement des entreprises, mais aussi de la fonction publique — malgré l’effet concours — confirment l’existence d’un biais de discrimination important.

Des raisons d’espérer.

Nous côtoyons tous les jours de nombreux descendants d’immigrés parfaitement intégrés ou en voie d’intégration évidente. Certains d’entre eux sont chefs d’entreprises, médecins, écrivains, comédiens, députés, ministres… La société française les accepte parfaitement, voire a une affection particulière pour eux. Songeons aux publics qui acclament Gad, Jamel et Omar.  Les personnalités préférées des Français répondant aux sondages sont souvent issues d’une immigration plus ou moins lointaine ou font partie de « minorités visibles ». En 2020 il y avait Jean-Jacques Goldmann, Omar Sy, Soprano, Teddy Riner et Dany Boon. Sur les 20 dernières années, les plus cités sont : Yannick Noah, Jean-Jacques Goldman, Zinedine Zidane, Omar Sy.

Autre raison d’espérer, de nombreux individus et associations œuvrent d’ores et déjà sur le terrain en faveur d’une meilleure intégration. Trop discrètement.

Le combat pour l’intégration existe, mais n’est pas assez connu, valorisé et soutenu.

QUE FAIRE ?

Ce groupe de travail a conclu ses travaux par sept propositions d’action concrètes, publiées par ailleurs. Mais il a également abouti à quelques considérations plus générales que voici.

Intégration volontariste ou acceptation du communautarisme ?

Au fil des échanges, le groupe a hésité entre une attitude plutôt volontariste — il faut absolument retrouver l’ambition d’intégrer tout le monde — et un réalisme un peu découragé — il faut organiser le communautarisme de fait de la société française qu’on appellerait sans doute multiculturalisme, terme plus acceptable. Ces hésitations reflètent sans doute celles de beaucoup de Français. Finalement nous sommes sûrs qu’il faut retrouver l’ambition d’intégrer.
Les mots sont importants. Parler d’assimilation serait trop fort et comporterait des connotations néocoloniales peu acceptables. Intégration nous semble rester le bon mot.
Il n’exclut pas l’attachement à une double culture d’origine mais il implique une adhésion forte à la société française dans laquelle on vit.

Pourquoi pas le communautarisme ?

Des arguments en faveur d’un multiculturalisme/communautarisme régulé viennent assez facilement à l’esprit. C’est la tendance actuelle de la société française. Des villes ou des quartiers ghettos s’organisent de fait. Dans certains cas — populations asiatiques et « chinatowns » — cette organisation semble satisfaisante pour les deux « parties ». Des pays étrangers, essentiellement anglo-saxons, fonctionnent sur la base d’un communautarisme plus ou moins officiel : Royaume Uni, Canada, États-Unis…

Mais la France est un archétype d’État-nation. Nous sommes très marqués par notre histoire,

Parmi les cinq types de sociétés que distingue le philosophe politique américain Michaël Walzer la France est l’archétype de l’État-nation. Or la façon dont les nations se constituent explique les attentes, implicites et explicites de l’État et de la majorité des citoyens à l’égard des « immigrants » et de leurs descendants.
Forme la plus courante d’organisation, l’État-nation se définit par le partage d’une langue et d’une culture commune. Il implique qu’un groupe dominant organise la vie commune selon son histoire et sa culture propres. Ce type d’État accepte et reconnaît la présence de minorités sur son territoire, mais cette tolérance ne pourra jamais aller jusqu’à la remise en cause du monopole culturel et linguistique accordé à la majorité. La France qui a du mal à accepter la différence de ses immigrés est aussi et depuis longtemps en lutte sourde contre toutes les tentations de nationalisme régional (Bretagne, Corse…). Les deux sujets sont logiquement liés.
Pour se constituer, la nation a procédé à l’assimilation plus ou moins forcée des différentes communautés qui se trouvaient sur son territoire. La Révolution a mis en marche un processus d’unification politique, culturelle et linguistique. Ainsi le redécoupage de la France en départements devait aider à rompre l’attachement aux anciennes provinces. Ce processus d’homogénéisation s’est poursuivi durant tout le XIXe siècle.
De cette manière de penser le collectif découle une conception de l’intégration. Elle ne concerne pas seulement les immigrants et leurs descendants, mais l’ensemble de la population qui vit sur le sol de cette nation. L’intégration des immigrants dans la société est indissociable de la société nationale dans son ensemble, ce qui explique le lien fréquemment établi entre l’identité nationale et la thématique de l’immigration.

Les « solutions » communautaristes ne semblent pas si convaincantes ailleurs.
Un « multiculturalisme » de fait existe aux États-Unis. Au Royaume-Uni il a été considéré à une époque comme une manière de lutter contre le racisme. Mais c'est au Canada que le multiculturalisme a été le plus formalisé et théorisé comme une voie vers l’intégration.
En fait le multiculturalisme dérivant vers le communautarisme n’est considéré nulle part comme un modèle. La concentration géographique de minorités dans certains quartiers est un état de fait dans d’autres pays que la France, mais nulle part on ne considère que c’est une solution. La cohabitation de communautés antagonistes n’est un idéal nulle part.
Tout au plus, certains pays comme le Royaume-Uni et le Canada considèrent l’officialisation de différences qu’il faut respecter comme un autre chemin vers l’intégration. L’immigré ou descendant d’immigré n’est pas considéré d’emblée comme « égal » ou « pareil » alors qu’il ne l’est pas de fait. Cela dit, le Canada, comme le Royaume-Uni, ont évolué pour reconnaître l’importance du partage d’une langue et de valeurs communes.

Le groupe considère donc que le respect de la différence est déjà régi en France par toute une législation contre le racisme et les discriminations qu’il convient d’appliquer fermement, que les difficultés d’intégration constatées peuvent justifier des efforts particuliers à l’égard de certaines populations, mais que le multiculturalisme, avec ses risques de dérive vers le communautarisme, n’est ni un modèle conforme à ce qu’est la France ni un modèle qui a suffisamment fait ses preuves ailleurs pour qu’il soit tentant de l’adopter.

L’islamisme pose un problème particulier et crucial.

Tous les musulmans pourraient poser, potentiellement, un problème d’intégration différent des autres immigrés ou descendants d’immigrés en France, comme ailleurs. En effet la logique de cette religion, ou tout au moins d’une interprétation très répandue, est que la loi religieuse prime sur toute loi civile et que tout non musulman est un problème et a vocation à être converti (voir les explications de Noureddine Boukrouh devant le Club des vigilants). Dans la pratique, les musulmans « modérés » et plutôt « intégrés » qui forment la majorité de cette partie de la population en France s’accommodent des injonctions parfois contradictoires de leur religion et de la République laïque dans laquelle ils vivent.

Mais la France est en butte depuis de longues années, sous des formes différentes (Frères musulmans, puis salafistes) à un important mouvement islamiste qui, sans cesse, essaye de prendre la main sur la population musulmane. Le groupe a entendu un témoignage particulièrement impressionnant d’un spécialiste du sujet. Ce danger particulier de la période historique que nous vivons doit être affronté comme tel par les autorités.
En effet l’existence d’une population plus ou moins gagnée par les thèses islamistes n’est pas seulement source potentielle de terrorisme. C’est un obstacle majeur à l’intégration. Des familles, des jeunes, subissent une propagande contre l’intégration, comme celle que subissaient les Polonais immigrés en France de la part des prêtres polonais après la première guerre mondiale.
De plus, l’existence de cette frange de musulmans qui veulent imposer leur interprétation de la foi et leur mode de vie aux autres, situation mal acceptée par le reste de la population, jette sans arrêt la suspicion sur des comportements ou demandes des musulmans intégrés qui, dans un autre contexte, seraient ressenties comme tout à fait raisonnables. Qu’il s’agisse du port du voile, des menus à la cantine, des piscines… tous les particularismes des Français musulmans qui ne devraient poser aucun problème en posent parce qu’on les soupçonne d’être des provocations ou des tentatives pour gagner du terrain.

Notre groupe en a fait l’expérience en tentant, à l’initiative de l’un d’entre nous, une discussion sur une possible adaptation en France des « accommodements raisonnables » sur le modèle de ce qui se pratique au Québec. Ce qui devrait sembler évident (laisser les élus locaux et les populations décider à l’échelle locale) devient problématique quand on craint que des groupes intégristes en profitent pour imposer leur loi. Même problème pour les listes communautaires aux élections municipales. Bienvenues si elles sont un mode de participation et d’expression des particularismes d’une population intégrée ou en voie d’intégration. Inquiétantes quand on les soupçonne d’être le premier pas de tentatives de mainmise communautariste officielle sur certaines villes.

Que faire ? Ne pas se laisser enfermer dans les raisonnements sur les grands principes. Nommer et discuter le problème spécifique que pose l’islamisme. Les appels réguliers à la communauté musulmane dans son ensemble pour qu’elle traite le sujet ne suffisent manifestement pas, voire agacent, même s’il est évident qu’il faut aider les musulmans modérés. C’est une bataille difficile que doit mener l’État français. Difficile parce qu’il faut systématiquement éviter qu’elle soit perçue comme une bataille contre les musulmans en général. Difficile parce que ce doit être une bataille des idées, voire de la propagande, plus qu’une bataille de la loi et du règlement. 

Avant d’aller plus loin, une étonnante histoire de foot et de Légion d’honneur.

Grâce à l’un de ses membres, le groupe de travail du Club des vigilants a rencontré Méziane Benarab, .

Méziane Benarab, né en Algérie, dans une famille modeste, a réussi en France où il est devenu chef d’entreprise. Il a été évidemment marqué par toutes les difficultés de son parcours. Il a vécu trois ans en clandestin dans une résidence universitaire et il a eu du mal à décrocher ses premiers emplois, malgré ses diplômes. Il lui en est resté l’envie d’aider les autres et ses divers engagements lui ont valu la Légion d’honneur en 2008.
Il a souhaité que ce soit plus qu’une décoration, un début plutôt qu’une fin, et il s’est engagé au niveau de l'Association des Membres de la Légion d’honneur départementale. Il a eu l’idée, qui pourrait sembler avoir tout pour ne pas réussir, d’organiser des matchs de foot dans les quartiers difficiles, au nom de cette association, avec drapeau français, fanfare, Marseillaise, présence du sous-préfet, etc.
En fait c’est une réussite. L’expérience se poursuit (voir la page Facebook « le football, vecteur de promotion des valeurs de la Légion d’Honneur »). Il y a un championnat de football des quartiers prioritaires.

Quels enseignements en tirer ? Les personnes habitant ces quartiers, en particulier les jeunes, qui sont en grande partie ces descendants d’immigrés sur lesquels nous nous interrogeons, sont très sensibles au fait qu’on s’intéresse à eux et qu’on aille les voir. Mais, si on se limite à leur rendre visite, il ne se passe pas grand-chose. D’où l’intérêt d’un événement organisé avec eux, encore plus quand il est sportif (le rapport Borloo sur les banlieues soulignait aussi le rôle intégrateur du sport). Le drapeau, le sous-préfet, la Marseillaise sont respectés, et les joueurs, les bénévoles et le public se sentent considérés et respectés aussi.

Ce respect n’exclut pas la fermeté. Il y a des règles et une discipline à respecter. Il faut nettoyer le terrain, ranger les maillots etc. D’une manière générale, Méziane Benarab, qui reconnaît qu’il prend des risques et qu’il a reçu des menaces, est ouvert, tend la main, va au-devant des gens, mais reste très ferme sur les principes.

Ce témoignage et cette expérience nous semblent assez emblématiques de ce qu’on peut faire et du point d’équilibre souhaitable.

Donner envie de s’intégrer.

Pour que l’intégration fonctionne il faut que la société française « tende la main », invite à « ne pas se retrancher ». Il faut aussi qu’elle sache donner envie de s’intégrer, qu’elle sache raconter « pourquoi c’est sympa d’être Français » (même si nous ne sommes ni parfaits ni mieux que les autres). Ces phrases reprennent des expressions entendues au cours des réunions de notre groupe.

Comment faire ? Agir à plusieurs niveaux très différents. L’impulsion de l’État au plus haut niveau est certainement essentielle. Des symboles et célébrations sont sans doute à inventer (jour de l’intégration, cérémonies, marches, compétitions… ?). Le travail de fourmi des associations est capital pour aller chercher des individus, leur ouvrir des perspectives, les sortir de leur quartier pour leur montrer autre chose. L’orientation scolaire est un sujet à revoir de fond en comble.

Une particularité française complique très sérieusement la tâche. La France compense les inégalités sociales par de la redistribution mais c’est une société figée. L’ascenseur social est plus que jamais en panne. Par opposition, le rêve américain, notait l’une d’entre nous « c’est la possibilité pour tous de réussir quelle que soit son origine, pas seulement la volonté de devenir riche ». La « méritocratie républicaine » a longtemps tenu lieu de « rêve français ». Qu’en reste-t-il ? Cette question dépasse le sujet du groupe, mais les descendants d’immigrés sont certainement les premiers à ressentir que « la possibilité de réussir quelle que soit son origine » n’est pas ce qu’elle devrait être en France pour des familles « qui n’ont pas les codes », comme on dit. Là aussi une impulsion majeure au plus haut niveau serait nécessaire.

Il faut aussi éviter que le seul mode d’intégration proposé soit pour certains de ces jeunes celui du trafic, des bandes et de la criminalité. Un effort de l’État sur l’intégration devrait être accompagné d’un effort parallèle de lutte contre les trafics et les trafiquants pour casser ce contre-modèle de vie « facile ». Le travail de la police pour remonter les réseaux jusqu’aux chefs est évidemment indispensable. Mais ne faut-il pas imaginer une politique dissuasive à l’égard de tous les sans grades des réseaux ?

Le rôle capital de l’école.

L’école est essentielle pour tous les jeunes Français. Elle l’est encore plus pour les descendants d’immigrés. Son rôle est double. Elle doit leur donner les outils pour trouver leur place dans la société dans laquelle ils vivent. Et d’abord un travail.
Elle doit leur transmettre la culture et l’histoire du pays où ils vivent, où ils sont nés pour la plupart. Culture et histoire qui ne sont souvent plus transmises à la maison même chez les Français de souche.

Notre groupe de travail n’a pas approfondi de multiples débats qui mériteraient de l’être. Par exemple sélection ou pas sélection ? Implicite dès le plus jeune âge elle commence très tôt à écarter ceux qui arrivent moins facilement. Ou bien problèmes de niveau. La présence d’enfants qui ont plus de mal n’est-elle pas un prétexte à une baisse d’exigence dans le primaire et au collège qui donne les résultats que l’on sait aux tests internationaux ? Problème plus général d’évolution de la qualité de l’enseignement en France, du rôle des parents, des écoles sans contrat et parfois de l’enseignement « à la maison » …
En fait nous avons approfondi un débat et retenu une proposition, développée par ailleurs, susceptible de décloisonner un peu la population, au moins au niveau des jeunes. Ce débat et cette proposition se rapportent à la mixité géographique ou plutôt à son absence. Non seulement les Français vivent dans des quartiers séparés mais, quand ils se rapprochent, l’évitement de la carte scolaire aboutit à la non-mixité des populations d’enfants.

La mixité géographique et scolaire serait certes souhaitable et la majorité du groupe avait dans un premier temps réaffirmé cette position de principe comme une évidence. L’un d’entre nous, partant d’une expérience vécue, nous a cependant opposé la réalité. Lorsque la proportion de descendants d’immigrés dépasse un certain niveau dans une école, le niveau baisse, ou en tout cas les parents sont convaincus qu’il va baisser. Ils « votent avec leurs pieds ». Ils trouvent des stratégies d’évitement de la carte scolaire ou mettent leurs enfants dans une école privée, un peu plus loin. Le groupe s’est donc rangé à l’idée que la solution, au moins provisoire, est de faire des efforts particuliers sur les écoles des zones où se concentre (trop) une population d’origine immigrée avec des enfants susceptibles d’avoir plus de problèmes pour suivre.
Le dédoublement des classes en primaire semble aller dans la bonne direction. Il appartiendra aux experts de l’éducation de tirer les leçons des premières années. En tout cas le groupe soutient l’idée de consacrer des moyens plus importants aux jeunes descendants d’immigrés là où habitent leurs parents.

Plus généralement cette question des moyens consacrés par la nation à ces zones difficiles reste posée. Un des constats du rapport Borloo était notamment que la République dépense moins d’argent public à un département comme la Seine Saint-Denis, le célèbre « neuf-trois » qu’aux autres.

Le rôle capital du travail.

On l’a déjà dit, ne pas accéder à un travail pose d’évidents problèmes économiques à l’individu concerné mais aussi à la société dans laquelle il vit. Et pourtant le sujet ne s’arrête pas là. Aller travailler c’est aussi rencontrer des gens loin de sa famille et de son quartier, faire de nouvelles expériences, s’insérer dans la société dans laquelle on vit.
Pour accéder à un travail, le descendant d’immigré récent se heurte à deux problèmes : la permanence d’un chômage trop élevé en France (qui, en plus, génère des réactions négatives contre les « étrangers ») et les discriminations.
Les discriminations à l’embauche sont un fait ressenti et mesuré par de multiples enquêtes. Les grandes entreprises et administrations doivent certainement développer des politiques systématiques de lutte contre la discrimination. Elles peuvent y être encouragées positivement (labels) et négativement (politiques de « name and shame »). Nous préférons le positif (voir propositions).

Toutes les formules encourageant les entreprises à prendre le risque limité d’essayer d’intégrer un jeune doivent évidemment être favorisées, qu’il s’agisse des stages, de l’apprentissage, de l’alternance, des périodes d’essai, des CDD, etc.
Le groupe a cependant laissé une question ouverte concernant l’intégration par le travail.

Le travail d’aujourd’hui est-il encore intégrateur ?

Une partie des emplois offerts aujourd’hui aux descendants d’immigrés les ouvrent-ils vraiment sur le reste de la société française ? Quand une petite entreprise se crée dans un « quartier », ce dont on se félicite par ailleurs, on peut craindre que patron et employés restent beaucoup entre gens du quartier. Quand on voit des équipes de monteurs d’échafaudages uniformément originaires d’Afrique sub-saharienne, souvent originaires du même pays, l’intégration est évidemment moindre que sur des chantiers où se côtoient diverses nationalités avec des Français plus anciens. Pour les chauffeurs de Uber la lutte en commun contre l’entreprise et la création de syndicats a sans doute été aussi intégratrice, sinon plus, que le contact avec les clients dans leur voiture. On peut donc craindre que l’effet intégrateur du travail ou en tout cas de certains emplois soit moindre aujourd’hui qu’hier.

Faire sortir des ghettos.

Au cours d’une Matinale du Club des vigilants, Edith Cresson, venant parler de son expérience des « écoles de la deuxième chance », avait raconté que ses équipes avaient rencontré à Marseille des jeunes des quartiers nord qui n’étaient jamais allés au bord de la mer, au bout de la ligne de bus.
Si on reste dans la logique des efforts scolaires sur place, dans les quartiers, si le travail d’aujourd’hui est moins intégrateur que celui d’hier, il faut trouver des occasions de faire sortir les habitants des quartiers, de chez eux, et notamment les jeunes. Ou de leur apporter l’extérieur chez eux (expérience des matchs de foot de la Légion d’Honneur). La télévision et internet ne doivent pas être les seules fenêtres vers l’extérieur.
On pense évidemment aux sorties scolaires, colonies de vacances, etc. Il y a certainement d’autres expériences modernes à inventer. Notre groupe n’a pas de proposition concrète sur ce point, mais il tient à souligner l’importance de cette question. Ces sorties ne doivent pas passer après d’autres priorités qui peuvent sembler plus urgentes.

Le rôle possible du service universel (SNU).

Au cours de nos débats la suppression du service militaire a été évoquée à de multiples reprises. C’était une occasion de se côtoyer entre Français d’origines différentes, au moins pour les hommes. Le Service universel (SNU) a commencé à être déployé pour compenser ce manque, en intégrant cette fois-ci les femmes. Deux de ses objectifs officiels rejoignent tout à fait nos préoccupations : transmettre un socle républicain et renforcer la cohésion nationale. Nous avons donc considéré cette initiative avec intérêt et imaginé pendant un temps qu’elle pourrait être le cadre approprié pour notre proposition de « charte d’engagement citoyen ».
Pas bien long (un mois), le SNU ne prendrait cependant tout son sens qu’en devenant généralisé et obligatoire. Ce qui obligerait notamment à se poser la question de la conduite à tenir en face des refus et évitements divers. Or l’horizon de la généralisation est de plus en plus glissant. Suspendu en 2020 à cause de la COVID, le SNU est réactivé en 2021. Mais pour ce qui est de la généralisation le gouvernement parle maintenant de 2026, au mieux…

Composition du groupe de travail :

Martine Aubry,  Bernard Bougel, Yves Buchsenschutz, Pascale Carle, Anne Esmein, Michel Ferrand, Freddi Godet des Marais, Jean-Michel Goyard, Jean-Claude Hazera, Henri Pomeranc, Henri-Paul Soulodre, Stéphanie Veillon-Nassif. Synthèse rédigée par J-C Hazera.

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