Il est faux de dire que le million d’Irlandais qui a voté « non » le 12 juin a imposé sa volonté à 500 millions d’Européens. Si des référendums avaient eu lieu dans tous les pays concernés, nul ne sait quel eut été le résultat.
La crise n’en est que plus profonde. Les gouvernements devront faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour sauver l’essentiel du Traité, à commencer par la légitimation des « coopérations renforcées », permettant aux pays qui le souhaitent de former des avant-gardes.
A supposer qu’ils y parviennent, un long chemin restera à parcourir pour que l’Europe devienne chère au cœur des Européens. Certains reprochent aux Irlandais, jusqu’ici principaux bénéficiaires des fonds communautaires, de n’avoir pas voulu renvoyer l’ascenseur en Europe de l’Est. Le reproche est fondé mais le problème se serait-il posé si les partisans du « oui » avaient capté l’imaginaire au lieu d’être simplement raisonnables ? En Irlande ce mois-ci, comme en France et aux Pays Bas il y a trois ans, les « élites » ont pris le peuple de haut. Elles se sont crues dépositaires de la vérité. Quelle vérité ? Les élites ne sont pas plus conscientes que le peuple de ce qui fait ou de ce qui ne fait pas l’identité européenne.
Prenons l’exemple de l’euro. Les politiques et les experts ont sans doute eu raison de refuser que les billets soient à l’effigie des Pères fondateurs de l’Union : il leur était difficile de choisir entre De Gaulle et Monnet ; s’il y avait eu à la fois Adenauer et de Gasperi cela aurait sans doute fait trop « démocrate chrétien » ; on comprend leur embarras. Mais pourquoi se réfugier dans des abstractions ? Pourquoi ne pas essayer de toucher l’âme des peuples ? Pourquoi ne pas chercher à savoir quelles étaient les icônes de notre culture ? Pas besoin de référendum pour cela. Débats et discussions se seraient multipliés. Les télévisions auraient pris le train en marche. Mozart et Léonard de Vinci seraient peut-être arrivés en tête. Peut-être pas. De toute façon, nos billets auraient une autre allure.
L’identité européenne aurait aussi pu (et peut encore) s’incarner dans le sport. Un match de foot entre l’Europe et l’Amérique Latine serait un évènement. Une compétition de judo entre l’Europe et l’Asie en serait un autre. Les disciplines ne manquent pas. Les supporters auraient un sentiment d’appartenance.
Sur un socle identitaire se bâtirait l’Europe des citoyens. Le recours au référendum peut se révéler utile en certaines occasions. Là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est qu’à tous les niveaux - communes, régions, Etats, Europe – la démocratie s’appuie sur la participation. Y a-t-il un pourcentage des dépenses publiques, qui puisse être décidé par les usagers ? Y a-t-il un règlement, un formulaire, une directive qui puisse être élaborés ou modifiés ou supprimés après consultation directe des intéressés ? Voilà des questions qui n’appellent pas une réponse générale mais des efforts constants. Des efforts qu’il est urgent d’entreprendre si l’on veut intéresser les peuples au sauvetage d’institutions désormais menacées. Si l’on veut les impliquer dans la conception d’un projet, c’est–à-dire dans le partage d’un rêve.
Commentaires
Permalien
La construction de l'Europe a été vue à l'origine comme un "projet". Celui d'obliger les anciens ennemis héréditaires à collaborer et non s'affronter dans le domaine sensible des ressources vitales de l'époque ( charbon, acier,...).
Pour mener à bien ce "projet", l'Europe s'est dotée d'une structure de gouvernance de type "projet" dont le "chef de projet" ( le Président temporaire ) pouvait ne pas être l'homme clé du dispositif !
Hélas, après ce premier "projet" historique, il n'y en pas eu vraiment d'autres...
Les pères fondateurs qui avaient un esprit de "missionnaires" (objectif : assurer une mission) ont été remplacés par des acteurs qui ont pris un esprit de "fonctionnaires" ( objectif : fonctionner le plus possible).
Tout est dit !
Il aurait été sage de passer du "mode projet" au "mode processus", en s'inscrivant dans la durée et en se mettant au service d'une stratégie éclairée par une "vision" partagée.
Cela, je crois, les peuples le perçoivent sans doute confusément malgré les brumes de leurs esprits petits...
La différence entre un projet et un processus c'est que l'un est par nature limité dans le temps, l'espace et les mo yens : un projet a et doit avoir une fin.
Un "projet" fait passer une organisation ou un groupe d'une situation à une autre. Un projet ne peut donc pas être permanent.
Par contre, un "processus" n'a de sens que dans la durée. On ne s'intéresse au "mode processus" dans une organisation que si on est orienté vers le long terme et la permanence...
Mais pour se perpétuer au sein d'une assemblée d'humains, le "processus" doit être "piloté" et non laissé à une évolution spontanée. Tout "processus" doit être "aligné sur une stratégie" et à son service.
Un "processus" c'est ce qui fait passer une stratégie dans la réalité !
Ce qui manque à l'Europe de demain c'est au minimum une vision commune, une espérance partagée, une stratégie adaptée à l'environnement du moment pour tracer le chemin, des objectifs stratégiques (position souhaitée) et opérationnels (quantitatifs et mesurables sans ambiguïté ni contestation).
Sans, d'abord, se mettre d'accord sur "Pourquoi l'Europe ?" il est illusoire de tenter de se mettre d'accord sur "Comment l'Europe ?".
Cela est tellement évident que cela en devient invisible...
HPS
Ajouter un commentaire