La fin d’un monde sans fin(alité)

061107-Religions.jpgLa leçon théologique de Benoît XVI comportait un passage sur l’Islam qui, comme on l’a vu, a suscité de violentes réactions. Du coup, d’autres passages ont été occultés dont la phrase suivante qui aurait pu donner matière à réflexion à tout un chacun (croyant ou pas). Selon le Pape, « une raison qui est sourde face au divin et repousse la religion au niveau des sous cultures est incapable de s’insérer dans le dialogue des cultures ». Loin d’être ringarde, une telle phrase colle à l’actualité puisque l’on constate, de toutes parts, un renouveau de l’aspiration au religieux.

Ce renouveau a un aspect positif car « l’homme ne vit pas que de pain » mais peut égarer des êtres faibles (cf. foisonnement des sectes) et nourrir le fanatisme de ceux qui instrumentalisent la foi pour justifier leur ressentiment (cf. attentats terroristes).

Dans l’univers confortable des démocraties occidentales, c’est surtout la déstructuration de la société qui crée un sentiment de vide. Chacun se demande où est sa place. Les « chefs » ne se sentent plus le droit de commander. Les « subalternes » ne se sentent plus le devoir d’obéir. D’ailleurs, qui est vraiment chef et qui est subalterne ? Les forces sont anonymes, les règles sont abstraites et les grandes entreprises, soumises à l’imperium de la finance, n’ont pas d’autre choix que de délocaliser tout ce qui peut l’être. Ainsi, finissent-elles par considérer leurs salariés comme de simples variables d’ajustement tandis que ceux-ci, réduits à l’état de mercenaires, cherchent à trouver ailleurs une raison d’espérer.

Le phénomène ne touche pas que les actifs : la vie professionnelle est courte ; les jeunes peinent à y entrer ; les vieux en sortent vite et souffrent de solitude ; très nombreux sont ceux qui aspirent à trouver refuge dans une « communauté ». Ainsi, même dans les pays riches, se profile la menace de replis identitaires débouchant sur des antagonismes. D’où le besoin urgent d’un dialogue des cultures et des religions.

La difficulté est immense car comment pourrait-il y avoir dialogue des religions si chacune reste assise sur ses dogmes et refuse toute contextualisation de ses préceptes ? Certains intellectuels comme Mahmoud Hussein ont beau être musulmans, ils reconnaissent volontiers que, si certains versets du Coran ont une portée générale, d’autres se rapportent à des problèmes propres aux Arabes du VII ème siècle. De même, parmi les multiples interdits alimentaires que comporte la Loi juive, beaucoup semblent relever de soucis d’hygiène dus à l’époque et au climat.

Qu’il soit donc permis à un profane de pousser l’irrespect jusqu’à contextualiser la Genèse. Ce texte, particulièrement sacré dans les religions monothéistes, fait de l’Homme le maître de l’univers. A lui de domestiquer les animaux. A lui de dompter la nature. Cette mission, si mission il y avait, est maintenant accomplie et sa logique apparaît dépassée. Le gaspillage et l’épuisement de certaines ressources telles que l’eau, les combustibles fossiles et la biodiversité sont tels que l’Homme fait figure de prédateur.

Au risque de déplaire à de nombreux adeptes de plusieurs religions mais en espérant qu’ils reconnaîtront ma bonne volonté, j’en arrive à formuler un vœu : le vœu que le dialogue des religions (y compris des quasi religions que sont les philosophies orientales) s’accompagne de l’acceptation d’un devoir commun à tous les Hommes. La survie de l’espèce et la sauvegarde de la Terre sont en jeu. Elles peuvent servir de liens. Avant qu’il soit trop tard.

Share

Commentaires

N'avez-vous pas peur, cher Marc Ullmann, que ce texte, qui simplifie à l'excès, ne heurte certaines consciences ?

Vous avez évidemment raison, chère Louise. Faire court implique des raccourcis mais comment procéder autrement si l'on veut ouvrir un débat où des opinions contradictoires puissent s'exprimer ? Plus je serai critiqué, plus je serai content...sauf s'il apparaissait que le destin de l'espèce indiffère les consciences religieuses.

Plus je progresse en âge, cher Marc, plus je constate que l'être humain sur tous les plans de sa conscience, celui de la rationalité ou celui de la foi, est un "jusqu'au boutiste"...

Ce n'est qu'en situation extrême de péril avéré et non de péril prévu qu'il arrive à changer sa manière de voir et de faire.

Sans doute dans ces situations l'être humain arrive-t-il à toucher des limites, des contraintes de notre monde dont il ne peut s'extraire qu'en changeant ses modes de penser et de faire.

J'écoutais avec plaisir hier soir une excellente chanson de Serge Reggiani " Les Loups ".

"... les hommes avaient perdu le goût de vivre, se foutaient de tout... leurs frangins, leurs nanas, pour eux n'étaient que du cinéma...

Pendant ce temps.... les Loups....

Puis... les Loups sont entrés dans Paris..

Cessez de rire, charmante Elvire... "

Le jour où l'humain aura compris que la raison pure ne suffit pas à décrire la réalité du monde, une nouvelle humanité naîtra. Peut-être faudra-t-il que cela vienne de la solution des problèmes insolubles pour l'esprit et la raison humaine que posent les paradoxes de la physique théorique aujourd'hui ?

Peut-être existe-t-il d'autres dimensions à notre univers auxquelles nos sens et notre logique actuelle sont insensibles ? C'est pourtant bien la seule voie que semblent explorer nos chercheurs aujourd'hui pour expliquer l'inexplicable...

Le fondement des religions ne serait-il que l'expresssion dans notre monde "visible" de choses d'un monde qui nous reste aujourd'hui "invisible".

Mais, alors... Comment se mettre d'accord sur l'invisible et organiser la cohérence de ces deux mondes ?

Cher ami : La difficulté de votre position résumée par la note « La fin d’un monde... », à mes yeux, est qu’elle est précisément datée, à savoir de 1750. Elle résume les convictions de Voltaire, Rousseau et d’Alembert sur le sujet.

De Voltaire vous retenez la haine des fanatismes religieux. De Rousseau, vous retenez la confiance dans un contrat social entre tous les hommes de bonne volonté. De d’Alembert, vous retenez la confiance dans la raison (explication hygiéniste des prescriptions alimentaires de la Torah, profession de foi écologiste...).

Au bout de deux siècles et demi, ces idées ont essuyé de rudes épreuves. La démocratie inspirée de Rousseau n’a pas empêché Hitler ni Pétain, et le règne de la raison les horreurs symétriques du communisme et du libéralisme sans frein.

Ma position personnelle consiste à prétendre que tout ce qui fonctionne bien dans les sociétés humaines relève du triangle rites-mythes-tribus, même les institutions les plus laïques. Je m’en suis expliqué dans mon article
La gestion et les rites.

Cher professeur et ami, à la lecture de votre commentaire, j'ai l'impression que nous sommes plus en harmonie que vous ne le dites.
A mes yeux, la sauvegarde de l'environnement a vocation à devenir un mythe et ce mythe prendra appui sur des rites.
De là pourrait naître une nouvelle culture qui, d'une certaine façon, serait plus religieuse que rationnelle.
Etes-vous plutôt d’accord ou considérez-vous une telle approche comme hostile aux religions existantes ?
M. U.

Cher Marc : Le point de vue sociétal? En regardant les choses de haut, le processus de civilisation en Occident, dans sa phase actuelle, me semble caractérisé par une très importante (à proprement parler, bouleversante) reprise de contact des personnes avec de nombreux aspects de la nature humaine.

Elles se libèrent de filtres, d'œillères et de censures imposés par les cultures judéo-chrétienne et rationaliste. Il en émerge non seulement des retrouvailles avec les sensations, émotions, pulsions, intuitions mais aussi avec les états extatiques. On reprend plaisir à éprouver des émotions fusionnelles et on y trouve du sens.

Dans les segments les plus modernes, nos enquêtes voient se multiplier les gens qui sont poussés vers des éprouvés synthétiques (toutes les sagesses de l'humanité méritent un détour, je choisis de façon autonome ceux qui me font du bien) et/ou panthéistes.

Il est possible que nous soyons en train de renouer avec le fonds commun du phénomène religieux dans l'espèce humaine. Le renouveau (?) des religions monothéistes à l'allure dogmatique me semble un avatar de ce processus. Il pourrait être dangereux. Nous avons tout intérêt à contribuer à ouvrir ces religions les unes aux autres.

Bouddhisme et confucianisme? Ce sont des philosophies ou des conceptions de la vie ou des façons de mener sa vie plutôt que des religions.

Cher Marc, tout ce que tu dis est juste, mais, dans l’espace d’une page tu en dis trop sur trop de sujets.

1.Le Pape a gaffé mais son sujet était bien comme tu le dis, non l’Islam mais le rapport de la foi à la raison, ce qui est un immense et passionnant sujet que tu « traites » trop sommairement (3 lignes).

2.Je ne partage pas ton pessimisme sur la société moderne et sur les grandes entreprises etc. Notre monde occidental est paisible, riche et heureux et les jeunes valent bien leurs aînés que nous sommes ! Je ne les vois pas plus désespérés que nous ne l’étions.

3.Tu as mille fois raison de réclamer des religions qu’elles contextualisent leurs textes sacrés. Mais les Protestants allemands ont commencé ce travail à la fin du XIXe siècle, les Catholiques ont suivi à partir des années 30 du XXe et les Juifs, au moins les libéraux qui sont majoritaires, font de même, à l’exemple de … Spinoza qui avait commencé au 17ème siècle ; restent les Musulmans hélas ! qui n’ont pas bougé sauf quelques intellectuels. Le problème n’est donc pas les « religions » mais l’islam.

4.Bien sûr que la sauvegarde de la Terre est un devoir essentiel. Mais ce n’est pas uniquement l’affaire des religions. Tous les hommes raisonnables sont impliqués.

Ajouter un commentaire