Jean Tirole croit-il à une possible éthique de la finance ?

Le dernier économiste français à avoir reçu ce qu'on appelle le "Nobel d’économie"  s’exprimait le 11 janvier à l’Institut dans le cadre du cycle Ethique et Economie organisé par notre ami Bernard Esambert. L’objectif final de cette entreprise étant d’aboutir à un nouveau texte qui puisse servir de cadre de conduite à tous ceux qui ont des responsabilités économiques, texte qui serait signé par un collectif de personnalités spirituelles et intellectuelles.

Jean Tirole défend fermement le marché, mais régulé et accompagné de mécanismes de redistribution. Oui le marché dilue beaucoup de liens sociaux, mais ce n’est pas forcément mauvais, car ces liens peuvent aussi brider l’individu. Oui le marché dilue aussi la responsabilité, mais bien d’autres systèmes font de même. Jean Tirole défend aussi les économistes et souligne leur capacité à s’intéresser depuis l’origine aux insuffisances et défaillances du marché. Par exemple pour mettre en évidence des cas où un paiement, censé augmenter l’offre, la réduit (le paiement du don du sang dévalorise la ‘beauté’ du geste de donner gratuitement son sang) ; ou nous choque (achat d’organe) parce qu’il révèle des inégalités que nous voudrions oublier. Il défend la finance, en considérant que les politiques sont à l’origine de la dernière crise financière avec leur souci d’ouvrir la propriété immobilière à des gens insolvables. Et que le reste est surtout le résultat de mauvais choix techniques (comme de permettre des marchés de gré à gré non transparents là où il faudrait des marchés officiels régulés)  ou de mauvais choix de régulation (comme d’autoriser les transactions ultra rapides). Jean Tirole rappelle la dichotomie de Kant, opposant ce qui a un prix (et donc des équivalents) et ce qui a une dignité (et est donc sans équivalent). Il est clairement plus à l’aise avec ce qui a un prix. Il reconnait l’importance de la dignité, mais cherche à lui associer un prix pour la réintégrer dans le schéma de l’homo economicus. Il est clairement agacé par ce qui lui paraît irrationnel et nous dit que notre indignation est un guide médiocre de nos décisions. Réfléchissons à nos tabous et à leur coût, surtout aux tabous présentés comme moraux et qui violent en fait d’autres exigences morales: par exemple le refus d’optimiser des choix thérapeutiques qui augmentent in fine le nombre de morts, quand on affirme que la vie n’a pas de prix. Il est choqué aussi par le Smic français trop élevé qui évince les moins formés du marché du travail. Comprenons les conséquences indirectes de nos choix et voyons si cela ne nous amène pas à les modifier. Il reconnait la légitimité de la redistribution, car le marché n’a aucune raison d’amener à la répartition souhaitée ; et suggère un critère, celui de l’enrichissement ‘injuste’, non lié à une création de richesse par l’agent. Mais il souligne que la détermination de ce caractère (juste ou injuste) est subjective et dépend de la collectivité, avec une Europe qui considère majoritairement que la pauvreté est un problème collectif et les Etats Unis qui y voient majoritairement un problème individuel. Et ces choix collectifs deviennent endogènes : dans une collectivité qui considère que la pauvreté est la faute du pauvre, le pauvre a intérêt à penser la même chose pour se motiver et s’en tirer. Au total, Jean Tirole dans sa réflexion est probablement plus du côté de la finance que du côté de l’éthique.  

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Commentaires

Il me semble, ayant assisté à la conférence de Jean Tirole à l'Institut de France, que si la thèse du "marché" comme meilleur "moteur" de l'économie et des échanges est bien la sienne, il ne propose pas clairement de solution pour en diminuer les effets sociaux pervers.

Pourtant, il évoque la la nécessité d'en régler, d'en maîtriser les excès spontanés qui peuvent être pervers et non souhaites.

Si collectivement nous trouvons, par exemple, que l'économie raisonnable d'une chose, comme le SMIC par exemple, est de 100 dans nos pays "développés" et que le strict fonctionnement du marché de l'offre et la demande, à un moment donné, est plutôt de 70, ne pourrions-nous pas trouver un moyen collectif ou assurantiel de compenser cette différence ?

HPS

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