Facebook et la haine en ligne

Comment responsabiliser les réseaux sociaux sur la diffusion de haine ou de fausses nouvelles en ligne, sans leur donner un rôle de juge privé et non démocratique ? Tous les gouvernements démocratiques sont pris dans ce dilemme et une piste intéressante vient des Etats-Unis.

Le débat y fait rage depuis la décision des réseaux sociaux de « débrancher » Donald Trump, président en exercice mais battu, après l’avoir laissé gazouiller pendant quatre années et ses deux campagnes. Le débranchement de Trump a été direct par Facebook, Twitter et Google, et indirect par Amazon et Apple, qui ont coupé toute capacité au réseau Parler, plan B de Trump. L’efficacité radicale de ces cinq décisions concomitantes par les cinq dirigeants de ces cinq organisations parfaitement pyramidales a fait réfléchir même les ennemis de Trump.

Face au tollé, Facebook a posé à son Conseil de surveillance la question qui fâche : « Facebook a-t-il eu raison de laisser faire, puis de bloquer ? » Ce Conseil, que le magazine Time qualifie de « presqu’indépendant » ("quasi independant organization") vient de répondre et sa réponse et le raisonnement qui la justifie sont d’intérêt général, même s’il est inquiétant de voir qu’une question aussi importante est renvoyée à l’avis indicatif d’une instance privée.

Le Conseil de Facebook établit un parallèle avec le raisonnement de la Cour Suprême des Etats-Unis sur ces questions. On sait que la liberté d’expression est un droit constitutionnel majeur aux Etats-Unis, le fameux Premier amendement de la Constitution. On sait moins que ce droit est quand même limité : sont interdits, non pas les appels à la violence en général, mais ceux qui sont susceptibles d’entrainer vraiment la violence. En gros, l’alcoolique qui grimpe sur un carton pour crier « vive Hitler ! » peut le faire, pas le gourou qui a l’adhésion de millions de personnes.

Le Conseil de Facebook a cherché à voir si ce principe était suivi par Facebook, et si les gourous « Grandes Gueules » (GG) étaient plus surveillés que les autres. Il a constaté que oui car Facebook a un département spécial pour modérer ses GG, mais que ce département est plutôt un service VIP, qui évite qu’une modération automatique trop brutale vienne limiter la GG dans ses imprécations (on sait que les grands réseaux pratiquent normalement une modération par « Intelligence artificielle » ce qui dans notre novlangue moderne signifie qu’elle n’a rien d’intelligent). Interrogé sur cette approche, Facebook s’est justifié en faisant valoir que ce que dit une GG, même et surtout quand elle dérape, « intéresse les gens » et constitue donc de l’information (« is newsworthy »).

A quoi le Conseil répond à juste titre qu'une surveillance particulière est effectivement justifiée, mais pour être plus dure, pas plus molle !

On retombe sur l’idée que notre monde a besoin d’équité, de justice, et que l’égalité de traitement n’est pas l’équité. Une police et une justice équitables doivent être plus dures avec les plus puissants. La responsabilisation des réseaux dans la prévention des appels à la haine suppose qu’ils soient condamnés plus durement quand ils laissent déraper une GG, sauf à dénoncer immédiatement leurs soupçons à une autorité de contrôle. Cela concentrerait leur surveillance sur ces « vaches à lait » et équilibrerait mieux leur intérêt commercial (qui les pousse aujourd’hui à relayer la haine « qui intéresse les gens ») et l’intérêt collectif. Resterait à définir simplement qui sont les GG, par exemple ceux qui dépassent un certain nombre de suiveurs / followers. Il y a d’ailleurs un précédent en matière de lutte contre la corruption : les banques sont obligées de tracer plus finement les mouvements concernant des personnes que la réglementation considère comme exposées par leurs responsabilités publiques, et à dénoncer immédiatement tout flux financier suspect.

 

           

Share

Ajouter un commentaire