Beltrame, héros ou saint ?

Notre ami Hervé Chaygneaud-Dupuy, spécialiste de l’innovation sociétale et de la prospective, auteur de Citoyen pour quoi faire ? Construire une démocratie sociétale, paru en 2016 aux éditions Chronique sociale, a écrit cet article pour son blog où il livre régulièrement ses observations sur la vie politique française. Il nous a paru intéressant de vous faire découvrir son analyse de l’héroïsation médiatique qui a été faite du lieutenant-colonel Beltrame.

« Comme chacun sans doute, l’hommage rendu au lieutenant-colonel Beltrame m’a ému. Je garderai en tête cette image du cortège semblant flotter sur l’eau, corbillard et motos se reflétant dans le miroir parfait de la chaussée détrempée par une pluie tenace.

Pourtant le malaise qui m’accompagne depuis le début de l’héroïsation du geste de ce gendarme ne m’a pas quitté. Oui cet homme est admirable. Son geste comme le disait Comte-Sponville dans Le Monde est plus encore que courageux, il est la générosité même puisque c’est une vie donnée pour sauver une vie. Ni le geste, ni l’homme qui l’a accompli ne sont en cause dans mon malaise. Mon admiration est totale. Alors quoi ? Pourquoi je ne vibre pas à l’unisson de tous ceux qui célèbrent un « héros français » ?

Je ne suis pas antimilitariste comme cet homme qui s’est réjoui de la mort du gendarme. Je ne suis pas gêné que cet homme ait pu agir au nom de sa foi puisque je la partage. Je suis heureux qu’un Français montre des qualités humaines dont on puisse être fier. Mais je ne pense pas pour autant qu’il faille en faire un héros national. C’est pour moi plus un saint qu’un héros. Un saint, c’est celui qui suit l’exemple donné par le Christ en aimant jusqu’au don de sa vie. Pour moi Beltrame n’a pas fait un acte nécessaire à l’ordre public, il a fait preuve d’un exceptionnel altruisme ; il a agi moins en gendarme (tout le monde a reconnu que son acte n’était pas nécessité par sa fonction) qu’en homme et en chrétien solidaire d’une personne qu’il a voulu sauver. Un héros, c’est autre chose pour moi, c’est quelqu’un qui s’inscrit dans la construction d’un projet collectif, national ou non, quelqu’un qui participe d’une œuvre commune.

Je crains que cette héroïsation soit dictée par deux mauvaises raisons et qu’elle risque de renforcer nos fractures en ne solidarisant qu’une partie de la population de notre pays.

Pour moi, on a trop appuyé sur le fait qu’il était soldat, français et chrétien comme si on retrouvait enfin le socle national alliant Eglise et Armée dans la même défense d’une identité française menacée. Cette vision obsidionale de la France m’attriste. La France, je l’aime, ouverte, diverse et impertinente. Cette insistance à dire qu’il est bien Français laisse entendre en contrepoint (mais bien sûr sans le dire ouvertement) qu’être blanc, catholique et défenseur de l’ordre public, c’est la France de référence, celle dont on doit être fier (exclusivement ?). 

L’autre élément de cette héroïsation c’est cette « guerre au terrorisme » dont j’ai déjà eu ici l’occasion de me distancier. J’ai relu 3 malaises face à la guerre, je le signe encore aujourd’hui. Faire du lieutenant-colonel Beltrame un héros renforce encore cette idée que nous sommes en guerre et que son geste est un fait d’arme dans un combat guerrier. Qui peut croire sérieusement que ce jeune délinquant abruti était un combattant ? Encore une fois nous créons nous-mêmes nos ennemis en leur donnant autant d’importance. Ils n’existent que par l’écho médiatique qu’ils suscitent. La réalité de leur action concrète relève du fait divers sordide. Ce sont des criminels plus que des terroristes. Il faut évidemment protéger au mieux la population, repérer en amont ceux qui risquent de passer à l’acte mais pas au prix de notre liberté, de notre dignité.

Si donc je pense que Beltrame est plus un saint qu’un héros, qui peuvent être aujourd’hui nos héros ? Car je crois aussi que nous avons besoin de figures qui orientent notre projet national et donnent envie d’y participer. Beltrame, en tant que « saint », nous aide à discerner quelle valeur nous donnons à la vie, et c’est essentiel ; mais qui peut nous aider, par son exemple, à construire une Nation dont nous soyons fiers et surtout que nous aurions envie de contribuer à construire ? Car une Nation, ce n’est pas seulement un passé qu’on admire et qu’on protège, c’est un futur qu’on prépare par ses propres engagements. »

Vous pouvez retrouver l’intégralité de cet article sur le blog d’Hervé Chaygneaud-Dupuy

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