TZCLD, un essai innovant... à transformer !

Date de la venue de l'invité: 
Vendredi, 9 novembre, 2018
Laurent Grandguillaume et Michel de Virville / TZCLD, un essai innovant... à transformer ! (extraits)

Expérimentée sur le terrain depuis moins de deux ans, l'opération "Territoires zéro chômeur de longue durée" a porté ses premiers fruits[i]. Laurent Grandguillaume et Michel de Virville (président et vice-président de l’association TZCLD, Michel de Virville étant également vice-président du Fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée) sont venus raconter leur « aventure » au Club des vigilants le 9 novembre  dernier. Leur intervention et les échanges avec les participants nous inspirent quelques réflexions.

Il est possible d’innover en matière de politiques publiques, mais cela suppose de changer assez radicalement de « culture »…

Car c’est avant tout en termes d’approche du problème (et ensuite de mise en oeuvre concrète des solutions) que TZCLD innove, en s’inscrivant en rupture avec ce qu’on pourrait nommer la « culture admnistrativo-bureaucratique centralisée » française.
Plusieurs choix essentiels structurent en effet la méthode adaptative déployée et lui donne une vraie cohérence systémique.

D’abord le choix de l’initiative locale : les territoires sont volontaires. On sort ainsi radicalement de l’idée que tout doit venir « d’en haut » et s’imposer de la même manière sur tout le territoire national.

Ensuite celui de l’expérimentation : procéder ainsi relève in fine d’une démarche scientifique, permettant l’adaptation au terrain, la compréhension du problème par les essais-erreurs que cela permet de développer pour en améliorer la compréhension. Or, comme le souligne Laurent Grandguillaume, « expérimenter suppose de laisser une marge de manœuvre importante aux territoires, ce qui n’est pas dans notre culture centralisatrice ».

Ensuite encore celui de la co-construction. La culture du top down est remplacée par celle du « co » : consensus sur les déficits à combler / co-construction de son travail par le chômeur. Ceci permet une grande agilité, la possibilité de s’adapter aux situations différentes, à la fois des chômeurs et des territoires concernés.
Avec les acteurs locaux (élus, chefs d’entreprises, artisans, associations,…) est créé un comité de pilotage qui identifie les déficits auxquels l’offre de la future EBE[ii] devraient pouvoir permettre de répondre sans concurrencer les emplois locaux existants. Cela permet de faire émerger un véritable consensus, garant du soutien ultérieur des acteurs locaux.
Avec les chômeurs de longue durée concernés (TZCLD préfèrent parler de « personnes privées d’emploi »), au lieu d’adopter la démarche classique consistant à dire « on a un poste à pourvoir, êtes-vous aptes à le remplir ? », le choix a été volontairement fait d’inverser l’approche et de poser aux personnes 3 questions simples : que savez-vous faire ? Qu’auriez-vous envie de faire ? Quelle énergie seriez-vous prêt  y consacrer ?
Et, ensuite, les entreprises recherchent sur le territoire les travaux utiles qui vont correspondre à cette « offre de compétences ».

In fine, la démarche de TZCLD suppose un véritable changement de regard sur les bénéficiaires d’aides publiques : avec TZCLD, on passe à une culture de la confiance.
Dans cette logique, les chômeurs concernés sont « embauchés inconditionnellement » explique Michel de Virville, c’est-à-dire en CDI, rémunérés sur la base du SMIC, et « à temps choisi » (avec des horaires adaptés à leur situation personnelle). Car tous n’ont pas les mêmes capacités à se remettre au travail au même rythme (les dégâts humains de ce chômage de longue durée étant parfois énormes).

Autre ingrédient du succès de l’approche TZCLD à citer : la taille humaine des dix territoires d’expérimentation choisis. Chacun englobe un bassin de vie correspondant à 5 à 10 000 habitants, soit environ 100 à 200 chômeurs de longue durée concernés. Tout le contraire donc d’une démarche massifiante, par essence incapable de prendre en compte la diversité (et la richesse) des hommes et territoires. Ainsi souligne par exemple Michel de Virville, « tous les territoires ne vont pas avoir besoin d’autant d’argent (…) Le Fonds d’expérimentation doit moduler ce qu’il va accorder comme aide…cela se fait en fonction des besoins et pas selon une règle uniforme ».

Innover, cela demande aujourd’hui de la part des acteurs porteurs de l’innovation de mener un véritable combat dans la durée pour jouer leur rôle de catalyseurs de l’action publique. Et celui de TZCLD n’est pas encore gagné…

Il s’agit avec TZCLD d’un véritable « combat du droit à l’emploi pour tous ».
A entendre Laurent Granguillaume et Michel de Virville,  au départ ce n’était pas gagné d’avance, loin de là ! 

A l’origine, le soutien d'ATD Quart-Monde, emmené par la conviction forte de Patrick Valentin (un des « mousquetaires » de TZCLD, vice-président de l’association) a été essentiel. Il a permis d’aboutir à un partenariat avec le Secours catholique, Emmaüs France, le Pacte civique et la Fédération des acteurs de la solidarité pour soutenir l’idée. Puis il a fallu que Laurent Grandguillaume, alors député, croit à la démarche et porte une proposition de loi nécessaire pour que l’expérimentation soit autorisée[iii].

Michel de Virville l’explique fort bien : la première fois qu’il a rencontré Laurent Granguillaume dans son bureau de la Cour des Comptes et que celui-ci lui a fait part du projet, il était loin d’être convaincu…
Et c’est  ainsi qu’après avoir lui-même changé de posture, il en est devenu l’une des chevilles ouvrières les plus efficaces. A sa conviction s’ajoutant évidemment, et sa connaissance du sujet (les cellules de reclassement, chez Renault, lui ont beaucoup appris), et sa grande expérience des cabinets ministériels…

Le travail de conviction a pris plusieurs années et un avis favorable du Conseil d’Etat ainsi que celui d’un rapport du CESE ont bien aidé à faire pencher la balance et crédibiliser le projet. La loi a finalement été votée à l'unanimité en 2016 par l'Assemblée nationale Et le Sénat, fait assez rarissime pour être souligné !
 

Mais aujourd’hui le combat n’est pas gagné. La question stratégique qui se pose est de garantir la pérennité de TZCLD et de s’assurer de la « scalabilité » de cette innovation.

C’est Alain Grandguillaume qui emploie ce concept issu du monde informatique et des telecom : il désigne « la capacité d'un produit à s'adapter à un changement d'ordre de grandeur de la demande (montée en charge), en particulier sa capacité à maintenir ses fonctionnalités et ses performances en cas de forte demande » (source wikipedia).

Les ingrédients de la réussite actuelle doivent donc être préservés.
Ce qui rend tout à fait inenvisageable qu’on veuille transformer cela en un projet venant d’en haut qui s’appliquerait donc de la même manière sur tout le territoire français… Vouloir « généraliser » est par essence contraire à la logique.

Un comité scientifique nommé en septembre dernier est en charge d’évaluer l’expérimentation et devra identifier les « conditions nécessaires à une extension ».
Car il va falloir faire adopter une nouvelle loi pour prolonger et étendre l’expérimentation (qui est prévue pour l’instant jusqu’en 2021).

L’essai est donc loin d’être transformé…

Pour Michel de Virville, le plus difficile est « d’entretenir une volonté politique collective dans la durée ». Mais… « le risque vient au secours du manque de foi » !
Et nous vous encourageons à visionner la vidéo dans son intégralité pour mieux comprendre ce qu’il entend par là…

 


[i]
                Les Echos, 13 décembre 2018 « l’expérimentation (…) a réussi à remettre au travail 936 des 1.711 chômeurs de plus d'un an comptabilisés comme volontaires, soit 54 % des sans-emploi visés ». https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/0600267812075-cent-qua...

[ii]
                « Entreprise à But d’Emploi », nom donné à ces entreprises de l’ESS d’un genre un peu inédit et dont le principal objectif est d’employer lesdits chômeurs de longue durée en prospectant de manière permanente les activités « utiles »qui n’existent pas sur le territoire pour adapter leur offre tout en créant de nouveaux emplois via les fonctions supports qui viennent en soutien de l’activité de production.

[iii]
                En France, notre culture de l’égalité est telle (elle est inscrite dans le marbre de notre constitution) qu’il est nécessaire de voter une « loi d’expérimentation » pour pouvoir traiter différemment des territoires.

 

Vous pouvez consulter l'enregistrement intégral de cette Matinale ci-dessous.

Laurent Grandguillaume et Michel de Virville / TZCLD, un essai innovant... à transformer ! (intégrale)
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