Presse trop pressée

081214-Presse.jpgTout évènement, même petit, étant le fruit d’interactions, les spécialistes ont souvent du mal à mettre l’actualité en perspective. Le problème n’est pas spécifique aux médias mais ceux-ci sont les premiers – et les plus visibles – à en pâtir. Exemples : 

Ø       The Economist, hebdomadaire britannique particulièrement sérieux, a consacré, dans son numéro daté du 29 novembre, un article soulignant que l’Irlande (4 millions d’habitants) est parvenue à intégrer sans drame, 250.000 immigrants polonais. L’article, probablement rédigé par un excellent économiste, explique le phénomène par le rythme de croissance qu’a connu l’Irlande avant la crise et par la flexibilité de son marché du travail. Or, il se trouve que l’Histoire et la Culture de l’Irlande et de la Pologne sont particulièrement proches. Dans les deux cas, l’immense majorité de la population pratique la religion catholique (91% des Irlandais et 90% des Polonais selon les dernières statistiques disponibles). Dans les deux cas, l’Eglise a été le principal ciment de l’identité nationale (face au Royaume Uni pour l’Irlande ; face à l’Allemagne et à la Russie pour la Pologne). Dans les deux cas, les femmes structurent les familles alors que les hommes ambitionnent d’être des héros. Nul doute que l’article eut été plus convaincant si le spécialiste de l’économie avait été secondé par un historien ou par un sociologue. 

Ø       Quand le Prix Goncourt a été décerné à l’écrivain afghan Atiq Rahimi, l’hebdomadaire l’Express, dans son numéro daté du 13 novembre, a titré : « Atiq Rahimi le passeur pachtoun ». L’écrivain, pourtant, avait spécifié que sa langue maternelle était le persan (langue que les pachtouns ne connaissent en aucune manière). L’auteur eut certainement été ravi d’expliquer que l’Afghanistan a des frontières communes avec le Pakistan, l’Iran, trois républiques musulmanes ex soviétiques (le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan) et la Chine. Il eut pris plaisir à ajouter que son pays (un peu plus grand que la France) est un conglomérat de 48 ethnies dont les Pachtouns, les Tadjiks, les Hazaras, les Ouzbeks, les Turkmènes, les Baloutchs et quelques autres. C’eut été l’occasion de mettre en relief la singularité de l’écrivain en replaçant la guerre actuelle dans un contexte qui est loin d’être purement idéologique.

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Commentaires

La presse manque certainement de perspective. On pouvait ainsi lire dans Le Monde du 10 mai 2008 le titre suivant:"Pétrole: le prix de baril de brut pourrait atteindre 200 dollars". Dans le corps de l'article on pouvait découvrir des aphorismes du genre: "de toutes parts, les signaux indiquent que les prix resteront élevés dans les mois à venir.Il n'y a pas que la presse à manquer de recul, et souvent de simple bon sens. Les Experts ne font pas mieux que les journalistes. Fin mai 2008, sur le site de l'Institut Français du Pétrole, F.L., économiste à l'I.F.P., à la question:"cette hausse va t'elle perdurer?", répondait: "Oui, il y a toutes les raisons de penser que le déséquilibre offre/demande va perdurer dans les prochaines années".
Le court-termisme rejoint souvent l'aveuglement.

Vous pensez gentiment que ces erreurs sont le fait de l’urgence, je crains que ce ne soit celui de l’ignorance – je note le manque de culture pour beaucoup de plumes qui ne se pressent qu’à bâcler un papier dans la minute qui suit. Il m’arrive souvent de lire avec un peu de retard un article et la nullité crève encore plus les yeux. De très beaux exemples ont été donné dans les commentaires sur la dernière élection présidentielle américaine où certains n’hésitaient pas à s’indigner en ignorant ou faisant semblant d’ignorer que la Constitution américaine n’est pas modifiée 5 fois par quinquennat et que le modernisme ou la dernière idée à la mode ne prime pas sur le respect des formes et la tradition. jacques v

Certes l'ignorance est fort répandue mais le manque de perspective des spécialistes, repris ab libidum par les medias, ne fait que conduire à la "pensée unique". Pour reprendre l'exemple du prix du baril, que faut-il penser des propos tenus au Monde le 17 avril 2008 par Pierre Tierzan, souvent considéré comme un expert pétrolier :" le prix du pétrole ne peut donc revenir à de bas niveaux "?

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