Likez-vous la mémétique ?

LikeEbauchée dans les années 80, la mémétique s’efforce de transposer au domaine des idées, de la culture, de l’identité collective les concepts et les mécanismes de la génétique. Elle étudie comment les expressions, les convictions, les valeurs se transmettent au sein d’une communauté, d’une nation, d’une langue.

Elle peut éclairer des phénomènes très actuels. A l’heure de la connexion temps réel ininterrompue, on observe des symptômes d’addiction à l’information nouvelle tels que le FoMO (fear of missing out), ou peur de rater quelque chose et donc d’être exclu de sa sociosphère en n’étant pas au fait des derniers ragots, de la dernière blague, du dernier tic de langage. Ceux qui, ces derniers mois, n’ont pas fourni la réponse convenue lorsqu’étaient mentionnés Gangnam style, le Harlem shake, stay calm and… ou « allo, quoi ! » ont été frappés, peut-être à leur insu, de l’infamant stigmate du has-been.

C’est même devenu le modèle économique sur lequel reposent les jeux en ligne massivement multi-joueurs à monde persistant : puisque le « but du jeu » est de pousser sans fin la montée en puissance de son personnage (par le massacre d’adversaires, fussent-ils eux-mêmes des joueurs, et le pillage systématique) et que le jeu est ouvert en permanence, s’interrompre pour vivre c’est accepter de perdre du terrain par rapport à ceux qui continuent à jouer. Peu importe que par ailleurs, le jeu s’achète à bon compte un alibi humaniste en invoquant la qualité des interactions entre joueurs, les amitiés sincères qui se nouent à des continents de distance et l’imaginaire fantastique – si vous jouez de cette façon, votre personnage mourra jeune.

Il faut donc rester connecté, en tout temps, tout lieu, depuis tout terminal, ce que la mobilité rend possible, mais surtout, puisqu’il s’agit de hiérarchie sociale mouvante, le faire savoir : liker ce qu’on a vu (pour montrer qu’on a été parmi les premiers à le faire), commenter d’une façon qui sera assez pertinente ou au contraire décalée pour être likée à son tour, et transférer pour devenir soi-même un nœud majeur du réseau, à défaut d’être une source de contenus. C’est là qu’on revient à la mémétique : cette viralité devient un accélérateur de diffusion de formules, d’idées, de concepts, que l’immédiateté ne permet pas d’analyser en profondeur, à qui la brièveté impose l’ambigüité et l’efficacité d’un slogan – mot dont l’étymologie pourrait signifier « cri de guerre ». Que vous soyez d’accord ou non, transférez si c’est cool ! Ainsi naissent les légendes urbaines…

Certains, comme l’acteur nippo-américain George Takei, se sont imposés comme sources inépuisables de mèmes drôles et engagés. D’autres ont monté des blogs qui les collectent. Peu de sociologues maîtrisent les outils nécessaires pour exploiter pleinement les filons ainsi constitués – il n’en va pas de même des grandes oreilles du renseignement, comme en témoigne la récente et pas du tout inattendue « révélation » de l’inféodation des grands médias sociaux aux agences américaines, ni des professionnels du marketing.

Les hommages posthumes à des personnalités bien vivantes démontrent à quel point la réactivité prend le pas sur la validation des sources, dont l’insuffisance est une plaie historique du journalisme, mais aussi à quel point une rumeur peut enfler bien plus vite qu’elle ne peut être identifiée et contredite … si tant est que le démenti soit aussi crédible que la rumeur – il est en tous cas sans doute moins divertissant. Si, de par sa nature, ladite rumeur a pu déclencher des réactions d’urgence (intervention préventive des forces de l’ordre, panique populaire, intervention massive en bourse…), les effets peuvent être désastreux … et ce peut être l’intention de la source de la rumeur.

Enfin, la répétition étant la base de la pédagogie, l’automatisation ou l’instrumentation du martèlement de certaines idées peut les rendre odieuses ou au contraire banales. Il est donc particulièrement intéressant d’étudier les processus de réaction à un mème, de censure, d’indignation, d’adhésion, de ralliement …

Oui, décidément, nous avons bien besoin de méméticiens pour ne pas être dupes…

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