Crise financière : une chance pour faire progresser l’Europe politique ?

La crise financière, la dette grecque qui n’en finit pas, des plans de rigueur qui « fleurissent » dans tous nos pays, les banques françaises (notamment) chahutées en Bourse …

Voici que notre système dit « libéral » nous impose une nouvelle dictature, celle des « marchés ». Paradoxal n’est-ce pas ? Que se passe-t-il ?

Ce n’est pas le système qui est en cause, c’est sa régulation. En effet, livré à lui-même, le capitalisme n’a d’autres limites que celles que lui fixe son marché. Limites qu’il cherche à repousser sans cesse par toujours plus d’innovation. Pour preuve la capacité quasi infinie du capitalisme financier à fabriquer des produits de plus en plus sophistiqués destinés à un marché toujours plus ciblé mais toujours plus solvable. Car les énormes liquidités créées par le déficit américain recherchent désespérément des profits à court terme. Résultat, un marché totalement déconnecté de l’économie réelle (pour 1$ échangé dans l’économie réelle, c’est plus de 20$ qui sont échangés sur ces marchés financiers, dont 8$ au moins, économiquement inutiles et dangereux, dans ce qu’on appelle le « trading haute fréquence »).

Si le capitalisme ne s’autolimite pas, c’est donc d’ailleurs que doit venir la régulation : du politique. Plagiant Clémenceau, on a déjà dit que « l’économie est une chose trop grave pour la confier aux économistes ». On peut évidemment ajouter « et aux acteurs économiques ». Le politique lui-même (qui définit le « légal » et l’« illégal ») doit d’ailleurs, à son tour, être régulé par la morale (qui définit le « bien » et le « mal »), c'est à dire les normes que l’humanité, ou une société, se donne pour résister à la sauvagerie dont elle procède et à la barbarie qui la menace en permanence. Cette architecture de régulations est très bien décrite dans l’excellent ouvrage du philosophe André Comte-Sponville : Le capitalisme est-il moral ?

Quant à la « main invisible » du marché (cf. l’Analyse de la richesse des Nations d’Adam Smith) censée conduire le monde à l’harmonie sociale, elle n’a produit que du déséquilibre.

C’est donc au politique, seul légitime puisque chargé de l’organisation de la cité, que doit revenir le dernier mot. Or il est paralysé, impuissant à contenir les débordements de ce monstre, les « marchés », enfanté ou du moins nourri par Ronald Reagan et Margareth Thatcher, chantres de la dérégulation à tout va.

D’où vient donc sa paralysie ?

D’abord évidemment de sa limitation territoriale. C’est en tout cas l’argument massue des partisans du « il ne faut rien changer ». Si nous contrarions de quelque manière que ce soit les « marchés », ils s’installeront ailleurs (les traders émigreront à Londres, les spéculateurs attaqueront notre système économique depuis le Luxembourg, etc.). Le résultat sera évidemment catastrophique selon eux.
L’argument, même s’il n’est pas dénué de fondement, ne me semble pas suffisant pour ne pas envisager d’encadrer sérieusement les « marchés ». Voulons-nous léguer à nos enfants un monde dominé par la finance et la course échevelée aux profits ? Un monde où l’homme n’est que la variable d’ajustement d’un système économique qui tourne comme une machine à broyer les plus faibles et à enrichir les plus forts ?

Mais la paralysie du politique vient surtout de sa grande connivence avec le monde des affaires. Rappelez-vous : dans un discours resté célèbre devant l’Assemblée Nationale de l’ONU le 23 septembre 2008, Nicolas Sarkozy avait fustigé les dérives du capitalisme financier qu’il entendait « moraliser » (si l’on en croît André Comte-Sponville, « moraliser le capitalisme » n’a pas de sens, le capitalisme étant, par nature, amoral). Celui-ci devait se mettre « davantage au service du développement et moins à celui de la spéculation ». « Que ceux qui sont responsables soient sanctionnés et rendent des comptes et que nous, les chefs d’État, assumions nos responsabilités » ajoutait-il pour faire bonne mesure.

Force est de constater que 3 ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Avez-vous connaissance de « responsables » qui auraient été « sanctionnés », de « chefs d’État » qui auraient assumé leurs « responsabilités » ?

Pourtant j’entrevois quelques signes montrant que, forcés et contraints, nos politiques sont en train de prendre conscience qu’il faut bouger le jeu.  Si toutefois j’interprète correctement ce qui s’est passé au sommet européen de Bruxelles le 21 juillet dernier.

Ce jour-là, en effet, les 27 chefs d’État ont décidé d’apporter une aide supplémentaire de 158 milliards € à la Grèce.

Mais il me semble qu’il y a plus que cela.

D’abord, la BCE a dû manger son chapeau. Elle ne voulait pas entendre parler de l’implication des banques dans le refinancement de la dette grecque. Or, passant outre son avis, les chefs d’état européens ont décidé de faire contribuer le secteur privé. Ainsi la prétendue « indépendance » de la BCE vole en éclat au profit d’un système dans lequel cette technostructure ne domine plus le pouvoir politique mais doit composer avec lui, voire se soumettre à lui. On progresse !

Ensuite, à travers l’élargissement du rôle du FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière), nous nous dirigeons tout droit vers l’émission d’Euro-obligations qui, de fait, diminueront notablement le rôle (de pompier pyromane) des agences de notation. Nous n’y sommes pas encore tout à fait. Mais on sent bien que la transgression de l’ordre établi n’est déjà plus taboue. C’est encourageant !

Enfin, dernière initiative qui eût paru hérétique jusqu’à une époque récente, la Commission européenne a présenté, le 28 septembre dernier, un projet de taxe sur les transactions financières (chut ! on ne parle pas de Taxe Tobin). Bien sûr cette taxe est encore timide dans son montant et son champ d’application. Bien sûr nous sommes très loin d’une régulation qui eût été bien préférable. Car une telle taxe n’empêchera en rien la spéculation effrénée. Malgré tout, même modeste, on peut penser qu’elle constitue un message politique fort à l’attention des « marchés » financiers.

« A quelque chose malheur est bon » dit la sagesse populaire. Forcée par l’ampleur de la crise, cette encore timide (re)prise en main peut redonner du souffle à l’Europe politique.

Share

Commentaires

Ajouter un commentaire