Too big to do business

Dans un article récent de Variances.eu j’ai décrit comment l’équilibre entre le pouvoir des plus grandes entreprises et celui de la collectivité s’était rompu au cours des 40 dernières années.

Des entreprises mastodontes infiniment puissantes et efficaces échappent au contrôle collectif. Comme leur poids s’accroit sans cesse et que leur impunité mine les pouvoirs démocratiques, ce déséquilibre va s’accroître. De plus en plus, la maîtrise de grandes menaces de notre époque va dépendre de choix faits sans contrôle au sein de ces entreprises : réchauffement climatique, disparition de la vie privée, empoisonnement de la nourriture, de l’air ou de l’eau, risque nucléaire, addictions, rémunérations excessives…

Alourdir encore les réglementations pour traquer des risques cachés ne servirait à rien : ces entreprises sont tellement complexes que leurs dirigeants eux-mêmes ne savent pas bien ce qu’elles font, encore moins les conséquences de ce qu’elles font. Changer les dirigeants ne servirait à rien non plus. Ces géants mondiaux concentrent simplement trop de pouvoir pour des collectivités démocratiques et la seule solution est de fixer un maximum à leur taille.

Je suggère de raisonner sur la valeur de l’entreprise (sa capitalisation, simple et moins manipulable que le chiffre d’affaire) et de fixer un seuil gigantesque : 300 milliards concernerait 12 entreprises, 500 milliards 6 seulement (Google, Microsoft, Amazon, Facebook, Apple et Tencent). L’important est moins le nombre d’entreprises concernées, que le message : la concentration d’un pouvoir économique démesuré est dangereuse pour la démocratie, et la course à la taille doit cesser d’être la seule règle du jeu dans les états démocratiques.

L’Amérique a créé la première loi anti-trust. L’Europe peut créer la première loi anti-mastodonte en appliquant aux entreprises présentes sur son territoire et violant le seuil fixé une sanction fiscale restreignant leur accès au marché européen. Cela à compter d’une date suffisamment lointaine pour laisser le temps aux actionnaires de « créer de la valeur » par des scissions intelligentes qui laisseront aux consommateurs l’accès aux services concernés.

Cette loi protectrice réunirait les opinions européennes : la démocratie y gagne, mais aussi la concurrence et l’innovation économique.

L’Europe retrouverait ainsi l’esprit pionnier de la première loi anti-trust de 1890, dont le promoteur, John Sherman expliquait : « Si nous refusons qu'un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu'un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits ». Cette évidence politique n’a pas pris une ride.

 

Jérôme Cazes, 
dirigeant d’entreprise

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