Quelle est la solidité de l’Arabie Saoudite ?

Date de la venue de l'invité: 
Vendredi, 2 décembre, 2016
Jacques-Jocelyn Paul / Quelle est la solidité de l'Arabie Saoudite ? (extraits)

D’une très intéressante Matinale du Club des Vigilants autour de Jacques-Jocelyn Paul (pseudonyme sous lequel le responsable d’un groupe français en Arabie Saoudite vient de publier Arabie Saoudite l’incontournable), je retire le sentiment que ce pays repose sur trois fondations solides …jusqu’à ce qu’elles craquent : sa structure sociale traditionnelle, la manne pétrolière et la religion.

- La structure sociale est soumise à des tensions.

La structure sociale est forte. Certes, les jeunes saoudiens s’ennuient, dans une société largement bloquée où le sous-emploi est très présent. Mais la contrainte sociale (avec des ilotiers et des voisins qui surveillent tout, type URSS), et la contrainte patriarcale et tribale demeurent : même formé à l’étranger, un jeune, à son retour, rentre dans le rang, se marie dans sa tribu pour profiter de sa protection (la « sécurité sociale » saoudienne, qui se perd en cas de mésalliance) ; il va dans 80% des cas travailler dans un emploi public (les emplois privés sont majoritairement tenus par 10 millions d’expatriés sur 30 millions d’habitants).

Les femmes enregistrent des progrès (une carte d’identité quand elles n’avaient que la photocopie de celle de leur mari il y a encore 10 ans !) mais restent dans une situation pire qu’en Europe en 1900. Elles continuent d’avoir besoin d’un tuteur pour chaque démarche (une contrainte également pour les hommes : un salarié va sans cesse solliciter des absences pour accompagner sa femme ou sa mère pour une visite à l’hôpital ou une formalité).

- La contrainte financière mord désormais vraiment.

La guerre du Yemen coûte très cher, c’est le Vietnam de l’Arabie Saoudite. Guerre plus tribale que religieuse, engagée sans raison évidente, face à des ennemis qui ont tout leur temps, l’Arabie Saoudite ne sait pas la terminer. Les arrêts de chantier et les emprunts ne suffisent plus à compenser l’effondrement du prix du pétrole : une baisse de 20% (ou plus : toutes les primes sont supprimées) des salaires publics vient d’être appliquée. Pas une ride à la surface de l’eau pour l’instant, mais la manne partagée est essentielle pour la stabilité des Saoud qui sont des "courtiers en pouvoir" entre les différentes tribus. Ce type de situation peut se déliter très vite comme on l’a vu en Irak.

D’autant que la manne pétrolière risque de ne jamais revenir : en parallèle le même jour, Nick Butler, professeur londonien, commente le dernier accord de l’Opep dans le FT : il ne sera pas respecté, la production pourrait être plus forte dans un an qu’aujourd’hui, le prix ne montera pas et pourrait même retomber ; la seule issue est que l’Arabie Saoudite accepte une baisse unilatérale et drastique de sa production.

- La religion est de moins en moins un élément de stabilité

Elle a été le soutien majeur des Saoud et devient leur principal problème. Les chiites (vus comme pires que les athées, eux-mêmes pires que les juifs) sont dominants dans les provinces pétrolières. Les intégristes « modernes » (si l’on peut utiliser ce concept) Frères Musulmans, Daesh ou Al-Qaïda, défendent une théocratie que récusent complètement les Saoud.  Comme ils ne descendent pas de la tribu du prophète leur légitimité – en tant notamment que gardiens des lieux saints - provient du pacte passé au XVIIIème siècle avec le fondateur du wahhabisme qui leur reconnaît ce pouvoir de fait. C’est un régime de relative séparation du religieux et de l’Etat. Le régime ne laisse les religieux décider « que » sur la justice et sur l’éducation (avec des conséquences dramatiques sur la qualité de l’éducation, de plus en plus en porte à faux avec les besoins du pays). Mais toutes les autres décisions vont au roi. La police a par exemple a arrêté immédiatement les imams se félicitant des attentats en France ; le roi contrôle le conseil des ulémas qui contrôle par exemple les fatwas de mort (alors qu’elles peuvent en théorie être décidées par n’importe quel imam sunnite). Ce refus farouche de la théocratie rend peu vraisemblable que les Saoud aient aidé Daesh ou Al-Qaïda. Mais de riches saoudiens, sûrement. Et l’intention américaine de poursuivre les soutiens en Arabie Saoudite du 11 septembre crée une forte tension.

 

Jacques-Jocelyn Paul / Quelle est la solidité de l'Arabie Saoudite ? (intégrale)
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