Quel choc de civilisation ?

Deux critiques de livres dans le Financial Times signalent un salutaire retour de balancier, contre les thèses de Samuel Huntington.

Le Dixième Parallèle, de Eliza Griswald, critiqué par Richard Dowden :

La ligne de fracture entre chrétienté et islam recouvre à peu près le dixième parallèle, et  les lignes commerciales qui ont relié pendant des siècles les pays aujourd’hui musulmans (du Nigéria à l’Indonésie) à l’Arabie. Ces lignes ont été suivies ensuite par les colonisateurs européens, et ces échanges ont laissé en contact des populations chrétiennes et des populations musulmanes.

L’auteur a interviewé pendant 8 ans des gens très différents dans tous ces pays, notamment ceux prônant des positions religieuses extrémistes. Le patchwork qu’elle en ramène démontre que les clivages religieux ne sont nulle part la vraie raison des conflits : ils sont utilisés comme totems dans des conflits politiques et économiques souvent extrêmement locaux, comme à Jos au Nigéria. Quand les clivages politiques et économiques ne recouvrent pas les clivages religieux comme en Ethiopie, il n’y a pas de guerre de religion.

Osama bin Laden, de Michael Scheuer, critiqué par David Gardner :

Bin Laden semble complètement absent des soulèvements du monde arabe. « Créé » par l’Ouest comme supplétif pour bouter les Russes hors d’Afghanistan, ses « Afghans » étaient revenus dans leurs pays avec l’espoir de renverser les régimes locaux ; ceux-ci ont tenu, avec l’aide de l’Occident. Et c’est l’attaque de l’Irak qui a offert une seconde chance à Osama bin Laden. Le discours de l’Ouest l’a aidé en le caricaturant, et en affirmant que « ces gens-là nous détestent pour notre liberté ». Alors qu’ils nous détestent pour notre collusion avec des régimes qui leur refusent toutes les libertés que nous réclamons pour nous-mêmes.

L’auteur (ancien responsable CIA de la traque de bin Laden) donne un exemple frappant de la dimension locale des conflits religieux présentés comme « de civilisation » par certains : si le « sursaut » militaire américain en Irak en 2007-2008 a si bien marché, c’est que le chef d’Al-Qaeda, Zarkawi, a privilégié le conflit religieux (contre les shiites) et s’est d’un coup aliéné tout support dans le centre de l’Irak : Al-Qaeda ne sera sauvé que par l’assassinat de Zarkawi par les alliés…

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