Claude Meyer articule son analyse* de la montée en puissance de la Chine en trois points : quelles ambitions ? Comment la Chine fonctionne-t-elle ? Quel type de dialogue peut-on avoir avec elle ?
La Chine a une ambition planétaire. Le premier palier sera la prééminence économique, acquise dès 2030, grâce à l’effet de masse de sa population active (5 fois celle des Etats-Unis) et ses efforts dans la technologie (2,5% de son PIB, entre l’UE 2,2% et le Japon 3,3%) pour lesquels on peut citer les programmes « Made in China » et « Intelligence artificielle » (doté de 80 Md$). La Chine ne rachète pas le monde, elle achète ce dont elle a besoin dit Claude Meyer. Ses Investissements Directs à l’Etranger (IDE) restent modestes et nettement inférieurs aux réserves de change (3000 Md$). Celles-ci sont la contrepartie de gigantesques financements publics et privés à travers le monde (Etats-Unis, Amérique Latine, Afrique, Grèce, Portugal, etc.). Pour autant le système financier bridé par l’Etat permet peu d’innovation financière et il sera difficile de faire du Yuan une monnaie internationale sans lever le contrôle des capitaux. En matière géopolitique, la Chine vise d’abord la stabilité en Asie et à ses frontières où elle investit massivement (les nouvelles routes de la soie). L’organisation de Shanghai vise à évincer le Japon et diminuer l’influence des Etats-Unis. Sa puissance militaire croît rapidement depuis quinze ans mais reste loin de la parité avec les Etats-Unis. A plus long terme la Chine voudra remodeler l’ordre mondial. Le drapeau suit le commerce a coutume de dire Xi Jinping dont la vision s’est clairement exprimée à Davos : il y a une solution chinoise aux problèmes du monde. Le nouveau président est le thuriféraire du modèle chinois qu’il oppose au désordre démocratique occidental. Dans cette vision, les Etats-Unis sont un partenaire économique mais un rival stratégique, l’Europe est un marché et rien d’autre. Le « soft power » est le point faible de l’édifice qui doit conduire à la prééminence. La Chine investit beaucoup (les instituts Confucius) et son image est déjà positive en Afrique et en Amérique Latine.
Le fonctionnement intérieur de la Chine est un grand écart entre Lénine et Confucius dit Claude Meyer. Un parti-Etat extrêmement centralisé et personnalisé, fortement repris en main par Xi Jinping, s’appuie sur les valeurs confucéennes d’harmonie, de sincérité et de respect de la hiérarchie et tente d’inscrire son histoire dans la grande tradition impériale. La prise de décision au sommet de l’Etat demeure obscure, mais il semble que la direction collégiale soit mise à mal par Xi Jinping. Le régime est solide et évolue lentement sans réelle pression de la population qui goûte les joies du consumérisme après le traumatisme des années Mao. Difficile de dire quel pourrait être son avenir, peut-être une évolution comme celle qu’a connue Singapour. Cette évolution sera, de toutes les façons, impactée par l’évolution démographique que les dirigeants chinois ont mal anticipée. La fin annoncée de la politique de l’enfant unique n’empêchera pas l’effet de ciseau du vieillissement et de la montée du fardeau financier qui l’accompagne ; la Chine pourrait être vieille avant d’être riche dit Claude Meyer. La corruption est monumentale et généralisée, elle touche les tigres et les mouches. Xi Jinping a compris que c’était un danger mortel pour le parti et nettoie jusqu’au saint des saint : le comité permanent du comité central.
Quelles relations les Occidentaux peuvent-ils entretenir avec cette Chine superpuissance ? Pas de diabolisation, pas d’angélisme résume Claude Meyer qui cite en exemple l’expérience jésuite (Matteo Ricci) des 16e et 17e siècles. Connaissances scientifiques européennes d’un côté, information sur la civilisation chinoise de l’autre : ce fut un échange culturel d’une très grande richesse qui, même idéalisé, reste la marque du respect et d’une recherche permanente de compréhension mutuels dont on peut s’inspirer aujourd’hui. Le dialogue économique sera beaucoup plus difficile tant le mercantilisme chinois et l’absence de réciprocité provoque des déséquilibres (176 Md d’euros de déficit pour l’Europe). La politique de Donald Trump est brutale mais il pourrait obtenir un meilleur accès au marché chinois.
Le dialogue politique est bloqué tant le système méritocratique et le dirigisme chinois demeurent étanches aux pratiques et aux valeurs occidentales. Les droits de l’homme sont une pierre d’achoppement permanente et une difficulté pour l’Europe divisée sur le sujet (la Grèce refuse de condamner son créancier).
La Chine est demandeuse de dialogue pour asseoir son rôle de leader mondial et, pour conclure, Claude Meyer évoque deux pistes pour une coopération Chine – Europe. L’Afrique, où l’expérience européenne et la puissance économique chinoise peuvent contribuer à stabiliser un continent dont la population va doubler d’ici à 2050 même si, dit-il, l’intérêt de Pékin pour le développement humain est aujourd’hui limité. Le climat et la mise en œuvre des accords de Paris présentent moins de compétition directe et davantage de complémentarités entre la technologie européenne (40% des brevets mondiaux en la matière) et les besoins chinois pour répondre à la bombe écologique que la croissance quantitative a provoquée.
*Claude MEYER, L'Occident face à la renaissance de la Chine, Odile Jacob, 2018
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