Du bon (ou du mauvais) usage de l'exceptionnalisme

Toutes les communautés humaines dont, bien sûr, les nations, ont des raisons de se croire exceptionnelles. On publiera ultérieurement quelques exemples concernant la Chine, l'Europe et la France. En attendant le compte rendu de la réunion du 5 novembre, animée par Jean-Claude Hazera  et portant sur le rapport, Les Etats-Unis et le monde qui change, du groupe de travail piloté par Jacques Andréani apportent certains éclaircissements.

Le débat (centré sur la façon dont les Etats-Unis conçoivent leurs intérêts vitaux et s'estiment en droit de les protéger) montre que cette grande nation se considère plus « exceptionnelle » que les autres. On peut critiquer la part d'orgueil qu'implique cette attitude mais les actions menées par les Etats-Unis ont bel et bien des répercussions mondiales. A ce titre, il est légitime que les autres nations s'en préoccupent. L'« affaire Prism » est révélatrice de cette tendance historique. En 1823, la « doctrine Monroe » a précisé que « toute intervention européenne dans les affaires du continent serait perçue comme une menace ». C'était le reflet d'une vision à la fois pragmatique et idéologique : l'économie était à la base des rapports de force ; et l'Europe, avec son Histoire pleine de turpitudes, ne devait pas être un modèle : moins on s'occuperait d'elle, mieux cela vaudrait. L'engagement américain dans les deux guerres mondiales a mis fin à cette limitation mais il a fallu attendre 1947 et la « doctrine Truman » pour que les intérêts vitaux des Etats-Unis prennent une dimension mondiale et que l'océan atlantique en devienne le centre. Cela a duré tant qu'a duré la guerre Froide et a permis aux Etats-Unis d'assurer leur prédominance. De 1989 (chute du Mur de Berlin) à 2001 (11 septembre), le flou s'est installé. Après le 11 septembre, G. W. Bush s'est fourvoyé en Irak et ses illusions sur le « Nouveau Moyen Orient » sont parties en fumée. Enfin, depuis 2008 et la montée du chômage, les difficultés de la vie sont devenues le principal souci des Américains. De toute évidence, le moment est venu de jeter les bases d'une refondation. C'est, par petites touches successives, ce qu'essaye d'accomplir Barack Obama. Le contexte est rendu fondamentalement difficile par l'essor de la Chine et politiquement malaisé à cause de l'émergence d'une faction extrémiste (Tea Party) à la droite de l'opposition menée par le Parti Républicain. Aussi, tente-t-il de jouer à la fois de deux tendances lourdes considérées généralement comme antagonistes : l'isolationnisme et l'interventionnisme. Avec les activités de la NSA (espionnage à grande échelle et tous azimuts), liées à l'usage intensif des drones et au retour croissant à des opérations menées par des « Forces Spéciales », la guerre devient « low cost » et l'invulnérabilité du territoire américain la préoccupation majeure. Une telle approche est sans doute préférable à celle adoptée par Bush II mais ne peut rassurer les Européens et le reste du monde puisqu'elle semble indiquer que les Etats-Unis ne se soucient guère des ennuis qui pourraient survenir ailleurs dès lors qu'eux-mêmes n'en seraient pas affectés. La confiance inconsidérée accordée aux Frères musulmans après leur captation des Printemps arabes va dans ce sens. Elle est le signe que le leadership américain, même quand il est bien intentionné, peut être myope. Mieux vaudrait, dans ces conditions (et c'est l'espoir aussi bien du Club que de nombreux autres amis de l'Amérique), que les Etats-Unis aient une vision plus à long terme de leurs intérêts vitaux. Une vision fondée sur des intérêts communs. Avec l'Europe mais pas seulement avec elle : si une « doctrine Obama » voit finalement le jour, elle devra, pour être efficace, être celle des partenariats.

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