La réindustrialisation, une chance pour la transition écologique ?

Date de la venue de l'invité: 
Mercredi, 30 juin, 2021
Nicolas Meilhan (extraits)

Notre dernier webinaire avant les vacances d’été nous a permis une discussion particulièrement intéressante avec Nicolas Meilhan sur le lien entre la désindustrialisation de la France et l’efficacité de notre lutte contre le réchauffement climatique. Nicolas Meilhan, ingénieur ESTP et diplômé du MIT, est expert en énergie et transport et membre du think tank les Econoclastes. Il a été contributeur du rapport de France Stratégie « Les politiques industrielles en France. Évolutions et comparaisons internationales » remis en novembre dernier à l’Assemblée nationale.

D’emblée, Nicolas Meilhan prend le contrepied de l’idée reçue selon laquelle la France doit s’astreindre à limiter toujours d’avantage ses émissions de CO2.

Que s’est-il passé ces trente dernières années ?

Avec le mouvement très important de délocalisations et la désindustrialisation de la France, nous avons en effet « réussi » à diminuer nos émissions de C02 domestique. Mais cet indicateur n’est pas pertinent. Les émissions « importées » dans les produits fabriqués à l’étranger ont augmenté de 70 % et représentent désormais 50 % de nos émissions carbones réelles. Autrement dit, chaque fois que nous importons des produits en provenance de la Chine ou de l’Allemagne, nous accroissons nos émissions totales. Inexplicablement, le projecteur n’est braqué que sur nos émissions domestiques.

Un écologiste intelligent conseillerait de renforcer les émissions des industries françaises pour diminuer nos émissions totales. Plutôt que de leur imposer constamment de nouvelles contraintes règlementaires. La législation française sur l’environnement rend déjà très difficile le rapatriement d’industries en France et on songe à mettre en place le « délit d’écocide » !

L’exemple de l’industrie automobile est instructif.

Nous sommes en train de réaliser la transition énergétique française dans le transport automobile une nouvelle fois au détriment de l’emploi ET de la transition écologique mondiale puisque 80 % des voitures électriques sont importées et fabriquées dans des pays où le mix énergétique est beaucoup moins décarboné qu’en France.

La France avait réussi à maintenir une industrie automobile riche en emplois en se spécialisant sur les petites voitures à moteur diesel et en pénalisant fiscalement les grosses voitures fabriquées essentiellement en Allemagne.
Nicolas Sarkozy a pris la décision désastreuse (pour satisfaire l’Allemagne ?) de supprimer cet avantage comparatif et de favoriser les ventes de grosses voitures.

En 2020, seulement 6 des 20 voitures le plus vendues en France, soit 1 sur 4 en volume, sont assemblées dans l’hexagone : la grande majorité des petites voitures à faibles émissions, dont la France était devenue le leader européen dans les années 90, a été délocalisée. La Toyota Yaris est la seule voiture du segment B à être encore assemblée en France dans l’usine de Valenciennes. Aucune Renault, nonobstant le cas particulier de la Zoé, n’est fabriquée en France (Peugeot Citroën est beaucoup plus présent). Carlos Gohn n’avait pas la fibre patriotique.
Par ailleurs, si la Zoé est fabriquée en France, ses batteries viennent de Chine et de Pologne. Les bonus payés par l’Etat pour faciliter la vente de la Zoé subventionnent de fait les industries chinoise et polonaise.
Aujourd’hui, 80 % des batteries utilisées en France sont fabriquées en Chine. Comme elle contrôle 80 % de la production de cobalt dans le monde, elle paraît difficilement rattrapable....

La lutte contre le réchauffement climatique passe donc par une réindustrialisation du pays. C’est difficile, car les pressions en ce sens sont encore bien timides.

Les grandes entreprises qui ont délocalisé des centaines de milliers d’emplois depuis des décennies n’ont manifesté jusque-là aucune préférence pour la France, à quelques exceptions près (comme Peugeot-Citroën).

Les écologistes français ont comme solution d’ajouter des contraintes à l’industrie française, donc de renforcer la part de nos produits fabriqués dans des pays dont le mix énergétique est mauvais.

Les politiques français raisonnent au niveau européen mais ne s’emploient pas à l’essentiel : changer les règles du jeu de l’Union Européenne pour qu’elles soient moins défavorables à la France. Elle a été de loin, avec le Royaume Uni, le pays le plus touché par la délocalisation. Les autres en ayant bénéficié : Espagne, Italie (qui a su préserver son industrie) et naturellement Allemagne et nouveaux adhérents. On parle beaucoup en France de « couple franco-allemand », mais l’Allemagne se soucie peu de l’industrie française...

Après ce tableau assez noir, Nicolas Meilhan propose des pistes permettant d’amorcer ce mouvement de réindustrialisation qu’il appelle de ses vœux.

Première piste : l’information du consommateur. Pratiquement aucun acheteur ne sait que la Renault sur laquelle il a porté son choix est assemblée hors de France. Il conviendrait de rendre obligatoire l’information sur le lieu de fabrication et d’assemblage des biens vendus en France. Mais l’Europe s’est construite sur l’interdiction d’un marquage de l’origine des produits vendus sur le marché unique.

Deuxième piste : l’industrie française pourrait constituer sur le long terme des zones d’excellence où présenter et renforcer un avantage compétitif. C’était le cas naguère, on l’a vu, pour les petits modèles de véhicules à moteur diesel. Il faudrait identifier ces zones d’excellence. Certains songent à la voiture à hydrogène. Problème :  le mix énergétique pour produire l’hydrogène est à 80 % carboné et le coût de constitution d’un réseau de distribution d’hydrogène serait prohibitif (20 fois celui de la distribution d’électricité rapide). Pour autant, le développement de flottes privées, d’autobus ou de trains à l’hydrogène reste une perspective envisageable.

Troisième piste : encourager les circuits courts pour favoriser la production locale. Yves Jégo, président de la certification « origine France garantie » a lancé l’idée d’une taxe kilométrique, exonérant les distances inférieures à 1000 km.  La mondialisation détruit les emplois chaque fois que le coût du travail est inférieur au coût du transport. L’augmentation du coût du transport opère un rééquilibrage. Une nouvelle taxe ne parait pas contraire à la législation européenne.  Pour autant, l’Union Européenne l’autorisait-elle pour la France ? l’appliquerait-elle aussi au niveau européen ? La question est ouverte.

Quatrième piste : la commande publique. Les critères favorisant les circuits courts dans les marchés publics existent déjà. Les contraintes budgétaires sont telles cependant que le moins disant est presque systématiquement privilégié.

In fine, c'est la volonté politique qui constitue le levier le plus important. Il est urgent de rééquilibrer le « couple » franco-allemand et de mettre sur la table la question des règles européennes pénalisant la France depuis des décennies sans que les politiques ne s’en soient émus. Une discussion au fond de ces sujets au plus haut niveau est vitale. Mais le chevalier blanc qui aura le courage de se saisir du dossier ne semble pas encore en vue.

Nicolas Meilhan (intégrale)
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