Affaire Lambert : rendre la justice aujourd’hui, rendre l’éthique demain

LambertLe tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a interdit aux médecins de laisser mourir Vincent Lambert un jeune homme de 38 ans en état de conscience minimale et tétraplégique depuis un accident de la route en 2008. L’équipe médicale s’apprêtait à arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielles après avoir recueilli l’avis d’un collège de médecins et le consentement d’une partie de la famille du patient dont son épouse.

Le tribunal, saisi par les parents et un frère du patient, a considéré que cette décision n’était pas conforme à la loi Léonetti, qu’une incertitude pesait sur l’expression de la volonté du patient et que « l’obstination déraisonnable » n’était pas constituée. Le jugement a déclenché de violents remous : les parties s’accusent (« croisade idéologique et religieuse des parents » d’un côté, reproche de « partialité » et cris de victoire de l’autre - avoir « sauvé un condamné à mort » - les médecins contestent l’intrusion du juge dans une décision médicale ; quant aux politiques, ils promettent de lever les ambiguïtés de la loi Léonetti par une nouvelle loi. Le cas Lambert, comme d’autres avant lui, pose d’immenses questions : juridiques (qu’est-ce que l’expression de la volonté quand le patient ne peut plus s’exprimer ; quelle famille doit être consultée, etc.) mais aussi éthiques c’est-à-dire, ici, la recherche d’une régulation des pratiques touchant à la fin de vie dans l’éclairage des traditions philosophiques, religieuses, ou morales. Ces questions s’appliquent à des milliers de cas chaque année. Il n’y a pas d’unanimité pour décider de mettre fin à la vie, il ne peut pas y en avoir. Les familles et les autres parties prenantes sont à l’image de la société, elles sont divisées. Elles sont divisées parce que leur point de vue est différent (parents, conjoint, soignant), parce que leurs croyances, leur foi, leur histoire, leurs références morales sont différentes, sans compter les déchirements intimes de chacun. La fin de vie nous confronte à la pluralité irréductible des valeurs. Dans l’affaire Lambert, l’agitation médiatique, la faible tolérance au point de vue d’autrui, des réflexes corporatistes ou idéologiques ont fait obstacle à une démarche éthique. Il faut gagner en maturité, apprendre des pratiques existantes - y  compris de cultures différentes -, se protéger de l’agitation médiatique, sortir ces questions du champ des conflits partisans. Il faut apprendre à fabriquer un consensus de type nouveau, ni purement technique ni purement juridique. C’est un long chemin. Aujourd’hui, une subtile articulation des principes, de la procédure et de la délibération permet de dire qu’on sait rendre la justice, pourra-t-on dire demain qu’on sait « rendre l’éthique » ?

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