Crise de la jeunesse, quelques sujets qui fâchent.

La jeunesse paie un lourd tribut à la pandémie qui, là comme ailleurs, révèle des problèmes qui la précédaient. La classe politique s’en empare pour une inévitable polarisation. Concours de déploration face aux témoignages de détresse et dyptique partisan se mettent en place avec précision : prêt remboursable à taux zéro (un endettement immoral pour les uns), contre RSA à 18 ans (une culture d’assistanat pour les autres), on est en terrain connu. L’idéologie est le carburant du capital politique, elle résout rarement les difficultés. Alors descendons d’un cran pour voir quelques sujets, très prosaïques, qui fâchent.

Combien de jeunes ont vu leur compte en banque minoré de plusieurs centaines d’euros pour cause de « commissions d’intervention », c’est-à-dire une coûteuse punition, en sus des agios, pour chaque opération au-delà d’une autorisation, minime, de découvert ? La moyenne nationale pour accéder au permis de conduire est de régler 32 heures de conduite. Ajoutées au coût de l’examen et du code, il en coûtera deux mille euros. S’en suivra une ponction assurantielle de trois années parce que « jeune conducteur » ; prélèvement avec lequel, il est vrai, on peut rajeunir à tout âge puisqu’il s’applique à quiconque n’a pas été assuré(e) en son nom propre les dernières années. Autre domaine, combien de millions de repas ont été livrés qui coutaient plus de quinze euros, parfois vingt-cinq ? Combien ont vu quelques dizaines d’euros disparaître le temps de résilier un abonnement annoncé comme réversible et sans frais ? Etc. etc. On objectera qu’il s’agit-là de conduites et d’actes libres et responsables qui, parfois, ont un coût d’apprentissage. C’est certain mais regardons plus loin.

Toute entreprise vise une asymétrie sur laquelle elle prospère. Information imparfaite, clauses imposées et réclamations difficiles sont les bases de nombreux commerces auxquelles on oppose une régulation pour protéger le consommateur. Par naïveté, manque d’expérience, isolement, facilité de leur part ou préjugés habiles de leurs fournisseurs, de nombreux jeunes subissent une asymétrie anormalement défavorable. La tendance est à l’aggravation tant les relations asymétriques prospèrent avec les plateformes et la dématérialisation. S’y ajoutent des rentes que la puissance publique n’a pas souhaité réguler (banques, permis). Il est urgent de mieux protéger les jeunes en développant une pédagogie adaptée et une régulation spécifique.

Plus profondément, cette myriade de petits profits nous tend un miroir. Collectivement nous prélevons une rente significative sur la jeunesse. Cette situation vient de loin mais est-elle encore justifiée ? Il paraissait naturel de faire « cotiser » les jeunes dans un monde industriel doté du fameux ascenseur social. Sous forme de frugalité temporaire et/ ou de travail intensif, ils entraient dans la carrière où, à leur tour, ils accédaient à la valeur accumulée lors de longs et relativement stables cycles industriels. Le partage de la valeur entre les générations s’est déformé sous le coup de multiples facteurs. Telle une vague de fond, la digitalisation renverse la pyramide : à l’accumulation industrielle qui rémunérait l’expérience et l’âge elle oppose la rupture et la dévalorisation rapide des intermédiaires et des positions acquises. Dans un tel contexte tout conservatisme tend à aggraver le déséquilibre aux dépens des jeunes. Les Boomers ont férocement défendu leurs acquis ─c’est le comportement naturel de tout groupe social. Il était frappant de voir dans le monde corporate, le chœur des managers dont la valeur ajoutée est parfois douteuse, exiger l’arrêt immédiat des alternances, contrats de professionnalisation et autres stages, essentiels pour les jeunes, comme une réponse à la crise brutale du Covid. Il serait désormais utile que la bonne volonté éthique et durable dont les actionnaires et leurs représentants font grand cas exige un meilleur partage pour la génération qui arrive.

La situation des jeunes est loin d’être uniforme. Elle est faite d’une infinité d’expériences mais la tendance est, globalement, préoccupante. Les quelques exemples évoqués ici ont pour seule vocation de suggérer l’ampleur de l’ajustement à réaliser pour donner à la jeunesse une place plus équitable et lui permettre de réaliser son potentiel. Dans le référentiel français on parlerait d’un « Grenelle de la Jeunesse ».

D’ici là ne négligeons pas les petits pas qui sont souvent la voie rapide et exemplaire pour faire bouger les mentalités. Pour les jeunes conducteurs on ne tolère aucun alcool, c’est sans doute sage. La question est de savoir pourquoi on le tolère pour d’autres ? Il y a dans cet exemple faussement anodin tout un récit. S’il est imprudent de conduire avec 0,5 grammes alors c’est pour tout le monde et l’argument de l’expérience est mensonger. Alignons pour tous la règlementation sur la vertu que l’on exige des plus jeunes, c’est symbolique mais le sens sera clairement perçu : collectivement, chacun dans son rôle et avec ses moyens, nous nous engagerons à rééquilibrer le « partage de la valeur » au profit des nouvelles générations, c’est-à-dire… à nos dépens.


 [PB1]

Share

Ajouter un commentaire