Quel genre de "facho" est Bolsonaro

Jair Bolsonaro, le personnage pour lequel on voté massivement les électeurs brésiliens aux présidentielles les 7 et 28 octobre, est d’extrême droite, se déclare lui-même nostalgique de la dictature des années 1964-1985  et représente certainement une menace pour les libertés des Brésiliens. Mais encore ? Autoritaire ou fasciste ? Où le classer dans la longue histoire des ennemis de la démocratie ?

Son ascension fulgurante est un tournant, et pas seulement pour le Brésil. Que les électeurs votent pour lui n’est pas nouveau. Les fascistes de Mussolini ont remporté des succès aux élections avant qu’il soit appelé légalement à prendre le pouvoir. Les nazis de Hitler encore plus. Orban ou Erdogan aujourd’hui sont élus et réélus. Le peuple contre la démocratie c’est déjà une vieille histoire.

Cependant, dans la période récente il était d’usage d’avancer masqué. En Hongrie, en Pologne, en Turquie, mais aussi en Amérique Latine (Fujimori au Pérou, Chavez aux Vénézuela) on se faisait élire en s’affirmant bon démocrate, puis, peu à peu on neutralisait des contre pouvoirs qu’il s’agisse de la presse, de la magistrature ou du conseil constitutionnel jusqu’à devenir une sorte de dictateur élu. Au Brésil, Bolsonaro a proposé sans détour et sans beaucoup de faux semblants aux électeurs de sauter dans un ordre nouveau. En ce sens il semble l’héritier direct de l’entre-deux-guerres européenne. Ses électeurs croient-ils vraiment qu’il rendra le pouvoir sans problème si « l’expérience » s’avère peu concluante et que les atteintes aux libertés ne les toucheront pas ? Sans doute, aussi surprenant que cela puisse paraître. Peut-on leur reprocher leur naïveté alors que les dirigeants qui donnèrent les clés du pouvoir à Mussolini et Hitler pensaient les contrôler sans problème ?

Le besoin d’ordre et de sécurité semble être la demande première des électeurs brésiliens. Rejet de la corruption et rejet surtout de l’insécurité. Il est incontestable qu’on pouvait circuler en sécurité dans les coins les plus reculés de l’immense « nation continent » sous la dictature. Ce n’est manifestement plus le cas aujourd’hui. Cette demande d’ordre a toujours été exploitée par les grands régimes autoritaires. Mussolini et Hitler promettaient eux aussi de l’ordre, à leur manière. La violence des chemises noires ou des SA était extrême. Mais pour une partie des Italiens elle valait mieux que les occupations d’usines ou de terres et la faiblesse généralisée de l’Etat. Pour un grand nombre d’Allemands elle était préférable à la menace des « rouges », à l’immense désordre de l’inflation ou aux mœurs dissolues des années folles. Et cette violence des fachos donnait l’impression d’être contrôlée, enrégimentée. Elle obéissait au coup de sifflet du chef. 

Bolsonaro est tout aussi clairement à la tête d’un mouvement anti Parti des Travailleurs. Or le parti de Lula n’est pas seulement celui de la corruption. C’est aussi celui qui a valu quelques avancées majeures aux plus modestes dans un pays encore très inégalitaire. Comme Mussolini, comme Hitler, comme Pétain dans une certaine mesure Bolsonaro est l’homme de ceux qui ont quelque chose à perdre ou croient avoir quelque chose à perdre et ont peur des « rouges ».

Reste un ingrédient majeur qui semble manquer, pour le moment chez Bolsonaro, bien qu’il soit ancien militaire et entouré de quelques autres militaires, c’est le nationalisme. Evidemment il parle de la Nation, l’aime et la respecte. Le slogan qu’on lit sur son compte twitter semble directement inspiré de l’Espagne franquiste : « le Brésil par dessus tout et Dieu au dessus de tous ». On sait que les églises évangéliques soutiennent massivement Bolsonaro comme l’église catholique soutenait Franco (qui n’était que très médiocrement croyant). Evidemment il dit « nous allons faire du Brésil une grande Nation ». Mais on ne retrouve pas, pour le moment, chez Bolsonaro ce nationalisme hystérique et agressif qui est la marque essentielle de tous les leaders autoritaires fascisants de Mussolini à Salvini en passant par Hitler, Trump et Erdogan. Rien d’équivalent à « America first ». Pas de menace protectionniste évidente dans le programme économique très libéral. Pas d’ennemi extérieur désigné sinon une vague velléité de quitter les Nations Unies. La masse du Brésil est telle que ce pays ne vit pas dans la crainte de ses voisins.

Ce qui se passe au Brésil est bien un tournant dans l’histoire des pays autoritaires. À suivre avec attention.

Jean-Claude Hazera vient de publier Comment meurent les démocraties aux éditions Odile Jacob

Ce texte a été également publié sur Lesechos.fr

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Commentaires

L'analyse de Jean Claude Hazera est pénétrante. Nous ne savons rien de ce que sera le comportement de Bolsonaro. Une seule chose est claire : les Brésiliens lui confient un mandat pour rétablir ordre et sécurité au Brésil.

La question du pouvoir de l'élu et des contre pouvoirs qui limitent le pouvoir de l'élu est la question centrale des démocraties. C'est un équilibre qui ne se met pas en équation, mais qui s'exerce d'une part par les votes à venir, et d'autre part par le pouvoir des parlements, et dans certains pays par les pouvoirs de l'Armée et/ou du parti unique.

Un grand homme d'Etat est d'abord un élu, puis un gouvernant qui sait prendre des décisions impopulaires, et enfin un réélu. Peu d'hommes ont atteint ce statut historique. Roosevelt, incontestablement. Churchill et De Gaulle en ont été proches. Dans le monde actuel, on en cherche. Au risque de soulever un concert de protestations, je citerai Poutine, Rohani et Merkel.

Bolsonaro peut surprendre. Son discours est inclassable. Il faudra attendre pour savoir.

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