Neurosciences : Kant et Hume réconciliés

070604-Cortex.jpgRéunies par Antonio Damasio, professeur de neurologie, neurosciences et psychologie à l’Université de Californie du Sud, et son équipe, trente personnes ont participé à une expérience inédite. Six avaient une partie du cerveau, le cortex préfrontal ventromedial (VMPC) qui régule les émotions, endommagée par une tumeur. Douze avaient des lésions dans d’autres régions du cerveau mais pas dans le VMPC. Les douze derniers ne souffraient d’aucun désordre.

Différents scénarios ont été proposés aux participants qui disposaient du même niveau d'information pour prendre leurs décisions.

Premier type de scénario : un nouveau vaccin a été produit. Les tests montrent qu’il est efficace pour le grand nombre mais peut s’avérer nuisible, sinon mortel pour quelques uns. Doit-on encourager son utilisation ?

Second type : un train fonce à grande vitesse sur cinq ouvriers travaillant sur la voie. Le seul moyen de l’arrêter est de jeter une personne sur la voie. Le ferez-vous ?

Tous, dans le premier cas, sont prêts à mettre indirectement en danger la vie de quelques uns, inconnus, pour le bien du plus grand nombre. Dans le second cas, seules les personnes dont le VMPC est altéré se disent prêtes à jeter une personne sous un train pour sauver cinq vies. Elles affichent, en ce sens, un comportement exagérément « utilitariste ».

Ces résultats suggèreraient, selon Antonio Damasio et son équipe, que les émotions jouent un rôle majeur dans les décisions morales impliquant un contact personnel. Hume et Kant dans tout cela ? Confrontés à un problème d’ordre éthique, les individus puisent, pour le premier, dans l’empathie aux autres les moyens de prendre la décision morale la plus appropriée. Kant, quant à lui, qui se méfiait des émotions et de leur effet corrupteur sur le jugement des individus, n’en considérait pas moins que toute personne doit être respectée dans sa dignité et son intégrité. Ce que les personnes dépourvues d’émotions ne font pas.

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Commentaires

Antonio Damasio étudie avec beaucoup de réussite les comportements individuels dans les situations collectives inquiétantes ou dangereuses. L'expérience relatée est du plus grand intérêt ; mais l’interprétation du résultat est, comme d’habitude, sujet à débat.

Aujourd’hui beaucoup d’experts pensent que le rôle joué par les émotions dans les décisions individuelles est primordial. D’autres estiment que l’intelligence garde toujours « la main » dans les décisions, quelle que soit l’émotion qui survient dans une situation d’urgence. Cependant l’intelligence de chaque individu ayant sa limite, les décisions en cas d’urgence prennent plus ou moins en compte les conséquences pour les autres.

Le cerveau a pour fonction principale de simuler les situations futures à partir de données actuelles. Ces données peuvent être réelles (constatées dans notre environnement) ou imaginaires. Une particularité remarquable du cerveau humain, qui le différencie de toutes les autres espèces intelligentes, c’est la place très importante qu’il réserve aux données imaginaires ; et la faiblesse de ce cerveau humain, c’est que très souvent il ne sait plus si une donnée rangée dans sa mémoire est réelle ou imaginaire.

Dans ses simulations, plus ou moins rapides en cas d’urgence, notre cerveau est inondé de décisions possibles. Quand il s’agit de décisions touchant nos proches ou la société toute entière, le cerveau sain évalue ce qui pourrait lui être reproché par les autres. Et cette évaluation joue énormément sur la décision qui va être prise. Ceci explique la grande lâcheté dont fait preuve en général l’être humain.

Dans l’expérience d’Antonio Damasio, le cas du vaccin est fondamentalement différent du cas du train. Pour le vaccin, les victimes potentielles ne sont pas « désignées » par le décideur. Au moment de la décision, on ne sait pas qui sera victime. Dans le cas du train, celui qui est jeté dehors doit être choisi maintenant. Le décideur a ainsi plus de raisons d’avoir « peur » de prendre cette décision.
On peut considérer que les patients atteints de tumeur cérébrale n’ont plus la capacité d’évaluer les reproches qui pourraient leur être adressés, contrairement aux cerveaux sains.

Voilà pourquoi ils n’hésitent pas dans le cas du train.

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