Après l’insouciance des mois d’été, nous voici de retour au cœur d’une actualité préoccupante. Quel que soit l’angle d’attaque pour examiner la rentrée qui s’annonce, on en revient inévitablement au même constat obsédant : la crise. Elle est partout, impossible d’y échapper !
Au moment où la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid semblait dépassée, de nouveaux sujets d’inquiétude ont soudain surgi, faisant peser des menaces inédites sur le monde entier, bouleversé par le conflit entre l’Ukraine et la Russie. Les mois écoulés n’ont pas permis de mettre fin à cette situation paroxystique, et la rentrée qui se profile s’inscrit dans un contexte profondément incertain : crise économique sur fond d’inflation et de pénurie en ressources énergétiques (gaz, électricité), crise géopolitique liée au conflit entre l’Ukraine et la Russie, crise environnementale dont nous avons, cet été, éprouvé les effets à travers ces vagues de chaleur successives et la sécheresse exceptionnelle occasionnant des incendies de grande ampleur. Et n’oublions par le malaise social sous-jacent, qui resurgit notamment à travers la crise de l’éducation, résultant d’une pénurie inédite d’enseignants. Bref, nous sommes assaillis de toutes parts et cette nouvelle rentrée semble peu propice aux réjouissances !
Dans un tel contexte, il serait tentant de céder à la peur face à cet avenir sombre et inquiétant. "Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres". Cette citation d’Antonio Gramsci (Cahiers de prison – 1925 à 1939) ne saurait mieux traduire les préoccupations de cette rentrée, dans des domaines aussi variés que la politique, l’économie, le social et l’environnement, entre autres. Et pourtant, nous n’avons d’autre choix que de résister à ces fantômes qui risquent de hanter les prochains mois. Mais que faire ?
« Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Non seulement une telle attitude rend la crise plus aiguë mais encore elle nous fait passer à côté de cette expérience de la réalité et de cette occasion de réfléchir qu’elle fournit » constatait Hannah Arendt en analysant La crise de la culture dans les années 1960.
Certes, nous sommes confrontés à une situation sans précédent, mais peut-être est-ce l’occasion de dépasser les idées toutes faites, et de s’armer de courage pour affronter enfin les enjeux du 21e siècle.
Rappelons tout d’abord qu’avant de désigner une situation extrême liée à un déséquilibre, voire une rupture, le mot « crise » renvoie historiquement à plusieurs définitions. Ainsi, le terme grec « krisis » signifie tout à la fois l’action de distinguer, de séparer et de décider. Il est ensuite utilisé en médecine pour qualifier la phase décisive d’une maladie. Et ce n’est qu’à partir du 17ème siècle qu’il prend son sens actuel, pour désigner la phase critique dans n’importe quel domaine.
Quel rapport avec le propos développé ici ? D’après cette définition originelle, la crise serait le moment privilégié pour réfléchir en portant un regard critique sur la situation : identifier les contradictions et les impasses (distinguer nos erreurs), passer au crible (séparer l’essentiel de l’insignifiant), et se remettre en cause, inévitablement (faire de nouveaux choix).
Car une chose est sûre dans tout cet avenir incertain : il faudra bien changer nos habitudes et se déprendre de certaines de nos exigences. Les rustines ne suffisent plus désormais à réparer cette roue du progrès qui avance sans horizon défini, autre que celui de la croissance, quoi qu’il en coûte, aussi bien pour l’humanité que pour la nature.
« À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel » lançait au début du 21e siècle l’un de nos plus vieux philosophes, Edgar Morin, aujourd’hui âgé de 101 ans et toujours engagé face à cette montée en puissance de l’insignifiance. Réfléchir, c’est bien à cette mission que nous devons tous consacrer notre énergie, aussi bien les dirigeants politiques que les citoyens, autour d’une seule question : quel est cet essentiel ? L’heure n’est plus aux débats et polémiques stériles, aux guerres de pouvoir et d’influence au sein des organes de délibération et de décision. L’heure est à la responsabilité, face aux multiples enjeux du monde contemporain.
Terminons par une boutade en clair-obscur, empruntée une fois de plus à A. Gramsci : « Je suis pessimiste par l'intelligence mais optimiste par la volonté ». Entre crise et déprise, il faudra en effet une volonté de fer pour ne pas sombrer dans les ténèbres d’un monde encore aveugle aux enjeux de demain, malgré les évidences de plus en plus flagrantes et menaçantes.
Bonne rentrée à tous, que cette réflexion vous inspire pour inventer ensemble le monde de demain !
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