Le piège du tout-anglais expliqué aux Français par un Anglais

Qui n’a pas vu dans le métro ou sur les autobus parisiens de grandes affiches « Addicted to Lyon », « Oh, my Lot », « Touquet Beach Festival », « Ma French Bank » et tant d’autres ? Sans compter les publicités pour automobiles diffusées sur nos écrans en anglais. On ne les remarque même plus quand la pratique de l’anglais est devenue obligatoire dans nombre d’entreprises et quand les conversations les plus banales sont mitées parfois jusqu’à la trame de mots anglais ou hybrides, ni anglais ni français.

Un Anglais familier de notre pays, Donald Lillistone, lui, les a remarquées et en a été profondément meurtri. Il a décidé d’entrer résistance contre cette invasion, par amour de la culture française, mais aussi de la culture anglaise car le globish apatride est tout aussi menaçant pour elle. Il a publié en octobre dernier aux éditions Glyphe un vibrant plaidoyer intitulé « Le piège du tout-anglais expliqué aux Français par un Anglais ».

Il part de la conviction qu’une langue n’est pas uniquement un moyen de communication. Elle constitue tout autant une manière de concevoir le monde, elle exprime un génie propre. On ne comprend la France que si on parle français. Peut-on imaginer que Molière, Chateaubriand, Baudelaire se fussent exprimés en anglais ou que nous n‘ayons conservé que des traductions anglaises de leurs œuvres ?

Il cite le mathématicien français (Médaille Fields 2002) Laurent Lafforgue, convaincu que l’école mathématique française tire sa force ...de la langue française car il existe un lien indissoluble entre la langue et la pensée, y compris scientifique.

Contrairement aux affirmations des afficionados du globish, l’anglais n’est, selon les linguistes, ni plus clair, ni plus simple, ni plus riche que le français.  L’argument de la mondialisation heureuse n’est pas plus probant : même si le monde entier parlait anglais, la paix ne serait pas mieux assurée ni la liberté moins menacée. Sa suprématie comme langue d’affaires est contestable : les pays parlant anglais représentent 30 % du PIB mondial et la tendance est à la baisse.

D’où vient alors sa prétention à l’hégémonie ?
Notre auteur plaide non coupable. Il ne faut pas rechercher du côté de l’Empire britannique. Au faîte de leur puissance, les Britanniques n’ont jamais eu l’intention de convertir le monde. Le désir de se présenter au monde comme un modèle est né aux États-Unis. Il a été porté très tôt par les pères fondateurs.  Dès 1780, John Adams déclarait : « l’anglais est destiné à être au siècle prochain (il ne s’est trompé que d’un siècle) et aux siècles qui suivront la langue du monde, plus largement que ne le fut le latin ou aujourd’hui le français ».
L’américanisation de l’Europe, après la seconde guerre mondiale, vient donc de loin. La pratique de plus en plus systématique de l’anglais, nous dit Donald Lillistone, exprime l’hégémonie commerciale, culturelle, politique des États-Unis. Un historien américain (Daniel Immerwahr) l’exprime sans détour dans son livre « How to Hide an empire » publié en 2019. Les institutions européennes y ont contribué en prétendant faire émerger une culture commune se superposant aux cultures nationales : des fenêtres et des ponts sur les billets en euros et l’anglais comme langue commune. Quelle erreur, pour Donald Lillistone, que ce nivellement par le bas ! Les Allemands ignorent désormais la prose de Flaubert ou Maupassant et les Français la beauté des vers de Goethe ou de Heine.

A la fin de son manifeste, Donald Lillistone se veut optimiste pour l’avenir. Il espère un sursaut des institutions européennes contre l’homogénéité terne et fadasse d’une langue commune appauvrie et sans âme. Il note que depuis la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne le 31 janvier 2020 (il ne dit pas « Brexit » ...), « il n’y a aucune raison, à part une servilité docile envers les États-Unis, pour que l’Union européenne ne puisse fonctionner de manière efficace en accordant la même importance au français, à l’allemand et à l’espagnol qu’à l’anglais ». Il prône un plurilinguisme à la suisse, sauvegardant les cultures nationales. Il espère un sursaut des élites politiques européennes.

Hélas, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, depuis la parution du livre, a décidé toute seule de promouvoir l’anglais au rang de langue de travail unique de la Commission. Cela lui a valu de recevoir pour la deuxième fois le « prix de la Carpette anglaise » décerné par l’Association de Défense de la langue française (voir son site très instructif  http://www.langue-francaise.org). Ce prix a été décerné depuis 1999 à de nombreuses personnalités françaises, comme Gérald Darmanin, Anne Hidalgo, Pierre Moscovici, Gérard Descoings, Valérie Pécresse...

Un enseignement pour les Vigilants : nous sommes tous dépositaires de ce trésor qu’est la langue française. Défendons-la et ne nous laissons pas formater par le tout-anglais.