Quelques idées reçues sur l’avenir de l’industrie en France

IndustrieDe septembre 2012 à juin 2013, un groupe de travail du Club des Vigilants a travaillé sur l’avenir de l’industrie en France. Il a pris appui à la fois sur l’expérience personnelle et professionnelle de ses membres et sur des réflexions publiées depuis quelques années, en particulier :

-          Les travaux et les conclusions des Assises de l’Entrepreneuriat, de janvier à avril 2013

-          Le Rapport Gallois sur la compétitivité de l’industrie française (5 novembre 2012)

-          Le Rapport Beylat – Tabourin intitulé « l’innovation, un enjeu majeur pour la France, dynamiser la croissance des entreprises innovantes » (avril 2013)

-          Le rapport de Jacqueline Hénard « l’Allemagne, un modèle mais pour qui ? » pour la Fabrique de l’Industrie (2012)

-          Le rapport de Nicolas Von Bulow « L’innovation en France, un système en échec » pour la Fondation Terra Nova (2012)

-          Plus ancien, le Rapport Attali sur la libération de la croissance française (2008 et 2010)

Ce travail a bousculé quelques idées reçues :

« Il faut nous inspirer du modèle allemand »

«  Le capital des sociétés industrielles doit rester entre des mains françaises »

« Il faudrait investir davantage dans la recherche et développement »

« Il se crée trop peu d’entreprises industrielles en France »

« Pour permettre aux PME de grandir, il faut réformer la fiscalité des plus-values »

« L’industrie en France, c’est fini »

« Il faut nous inspirer du modèle allemand »

Encore faudrait-il qu’il existât un « modèle allemand ». Lorsqu’on demande à des Allemands de livrer les secrets de leur « modèle », ils sont en peine de répondre.

Voici ce qu’écrit Jacqueline Hénard. « Il est essentiel de comprendre l’organisation décentralisée de l’économie et de la société allemandes, ce qui a un impact majeur pour notre sujet. Les initiatives, négociations, liens de coopération et autres cercles vertueux si souvent admirés s’expriment principalement à une échelle territoriale. Pour cette raison, la notion même de « modèle allemand », à supposer qu’elle fasse sens, n’a en tout cas pas cours outre-Rhin. Il s’agit bien davantage d’une rationalisation française a posteriori, qui part du postulat qu’un grand pays a nécessairement une stratégie économique, pensée en haut lieu et appliquée de manière descendante. Or, la performance industrielle que nous envions à l’Allemagne est d’abord celle de Länder et d’entreprises avant d’être celle d’un pays ; il en va de même pour les politiques, stratégies et comportements qui en sont à l’origine. »

Si nous ne pouvons importer en France les recettes d’un modèle allemand qui n’existe pas, nous pouvons certes nous inspirer des « bonnes pratiques » de nous voisins d’outre-Rhin. On peut ainsi mentionner des relations équilibrées entre clients et fournisseurs (avec en particulier des délais de paiement contractuels courts et respectés) ;  la généralisation de la formation en alternance ; la volonté de mener sérieusement et dans la durée des réformes structurelles. Et naturellement la décentralisation économique et politique, celle qui justement empêche de parler de « modèle allemand ».

«  Le capital des sociétés industrielles doit rester entre des mains françaises »

La récente intervention du Ministre du Redressement Productif pour interdire à France Telecom de vendre Daily Motion au géant américain Yahoo! pour « protéger une pépite française » est caractéristique d’un article de foi très répandu en France : il n’y aurait pas de développement de l’industrie ou des services possible en France si le capital est dans des mains étrangères. Dans un autre camp politique, l’ancien président de la République se plaisait à dire que le Royaume Uni n’avait plus d’industrie nationale.

Or, l’exemple de l’automobile au Royaume Uni est frappant. Tata (Jaguar Land Rover), BMW (Mini), Nissan, Honda, General Motors investissent en Grande Bretagne. Le pays pourrait retrouver en 2015 le niveau de production atteint en 1977, soit 2 millions de véhicules.

Les raisons sont multiples. L’une d’entre elles est la capacité des partenaires sociaux à négocier des accords qui prennent en compte, dans la durée, les variations du cycle économique.

Une autre raison est la politique industrielle. Par exemple, l’Etat britannique donne sa caution à des obligations émises par les constructeurs, même étrangers, leur permettant de bénéficier du rating de l’Etat souverain.

La raison la plus importante est sans doute l’existence d’un « écosystème » entre les constructeurs et l’université dans plusieurs régions du pays, telles que Liverpool, Oxford, Birmingham, Sunderland, Wolverhampton. C’est ce qui permet à la Grande Bretagne d’être en pointe dans la réalisation de véhicules électriques et de produire des véhicules haut de gamme qui répondent aux besoins des marchés émergents.

« Il faudrait investir davantage dans la recherche et développement »

La France investit beaucoup en recherche et développement. En termes d’investissement, elle occupe le 6ième ou le 8ième rang mondial selon la méthode utilisée, ce qui est honorable. En revanche, en termes d’innovation, notre pays occupe le 11ième rang en Europe et le 16ième rang mondial.

Ainsi que l’exprime le rapport Beylat – Tambourin : « ce décalage entre effort en faveur de la R&D et performance en matière d’innovation traduit le problème à résoudre. Il faut pour cela changer radicalement notre mode de penser l’innovation et les politiques qui en  découlent : passer d’une vision où la dépense de R&D est la principale préoccupation, à une vision systémique axée sur les résultats en termes de croissance et de compétitivité. »

« Il se crée trop peu d’entreprises industrielles en France »

Il se crée en France 550.000 entreprises par an, contre 180.000 il y a 15 ans. Seule une petite partie  de ces entreprises est dans le secteur industriel, et le rapport Beylat – Tambourin émet des propositions pour favoriser l’éclosion d’entreprises industrielles innovantes.

Plus que la création, c’est la croissance des entreprises qui pose problème en France. Sur leurs 7 premières années d’existence, l’effectif salarié des entreprises françaises croit en moyenne de 7% ; le chiffre est de 22% en Allemagne, 32% en Italie et 226% aux Etats-Unis. Sept ans après son démarrage, une entreprise française créée avec un capital de 100.000 euros dispose d’un capital social 5 fois moins élevé qu’une entreprise britannique et crée 4 fois moins d’emplois.

La France comptait en 2007 4.700 entreprises de taille intermédiaire (ETI), deux fois moins qu’au Royaume Uni et deux fois et demie moins qu’en Allemagne. Le « vivier » d’entreprises moyennes de 100 à 250 salariés qui pourraient devenir ETI est de 15.000 entreprises, employant 2,5 millions de personnes. Pourtant, l’effectif des ETI ne progresse pas et ne rattrape pas le ratio anglais ou allemand.

Or, l’émergence d’entreprises qui croissent vite au point d’atteindre une taille critique sur le marché mondial est un impératif de survie :

-          En Allemagne, le réseau d’entreprises industrielles de taille intermédiaire, le Mittelstand, est à la pointe de l’innovation technologique et de l’exportation

-          Les Etats Unis ont été capables de faire émerger et croître des entreprises High Tech parties de rien, qu’on pense à Google, Intel, Cisco ou Microsoft. Ce sont ces entreprises innovantes et à croissance élevée qui de PME deviennent ETI puis grandes entreprises et changent la donne sur leur marché en accédant à une position d’excellence

Les actions à mettre en œuvre pour permettre à des PME de devenir ETI sont multiples. Elles touchent les relations avec les grands groupes (favoriser l’essaimage, rééquilibrer la relation client / fournisseur), la propriété intellectuelle (inciter les salariés des entreprises à déposer des brevets en définissant d’avance leurs droits), le transfert de la recherche publique vers le secteur privé, le financement (en particulier dans la « vallée de la mort » au stade des prototypes, entre l’innovation et son application industrielle) et la fiscalité.

« Pour permettre aux PME de grandir, il faut réformer la fiscalité des plus-values »

Parmi les mesures décidées à la suite des Assises de l’Entrepreneuriat, le président de la République a annoncé une réforme de la fiscalité des plus-values. Il s’agit de supprimer les niches fiscales existantes et de créer deux régimes, l’un correspondant à l’investissement à long terme, avec un abattement de 65% pour un investissement conservé 8 ans et plus, et un régime plus avantageux encore (abattement de 75%) pour la création d’entreprise et la prise de risque élevé, notamment dans le cas de cession intrafamiliale.

On peut s’interroger sur la pertinence de ces mesures au regard de l’objectif de permettre à des entreprises existantes de se développer et de passer de la situation de PME à celle d’ETI. La comparaison avec d’autres pays européens (Italie, Allemagne, Royaume Uni) montre que les trajectoires de croissance sur 15 ou 20 ans requièrent une stabilité dans la propriété et le management des entreprises. Se polariser sur la fiscalité de la cession des entreprises peut inciter les jeunes entrepreneurs à céder leurs entreprises au terme du délai fiscal de huit ans. Or, les exemples abondent d’entreprises revendues par leurs fondateurs audacieux qui, une fois intégrées à un groupe plus grand, perdent leurs capacités d’innovation et de croissance. Elles perdent même le capital de savoir-faire accumulé dans les processus internes qui lient les acteurs salariés et managériaux.

Simplifier le régime des plus-values de cession est certainement souhaitable. Toutefois, on peut se demander si l’effort fiscal consenti ne serait pas mieux employé en consentant une plus grande déduction fiscale de l’investissement dans l’entreprise, ainsi que des pertes qui peuvent se manifester en cas d’échec.

« L’industrie en France, c’est fini »

La multiplicité des rapports présentés sur l’industrie française, la sévérité de leurs diagnostics, la modicité des mesures décidées eu égard aux enjeux peuvent incliner au pessimisme.

En réalité, on est frappé par la convergence des analyses et des conclusions. Toutes parlent de simplification administrative, de développement du capital risque, de fiscalité incitative.

La question du coût du travail est souvent évoquée. Mais la comparaison faciale de coûts salariaux sans qualification ou à qualification faible devient peu significative dans des industries modernisées qui ont massivement recours à l’automatisation des fabrications, à la numérisation de l’information dans l’entreprise et au processus d’amélioration de la qualité.

Tous les rapports insistent aussi sur la notion d’écosystème de l’entreprise industrielle innovatrice, associant entrepreneurs, financiers connaisseurs des secteurs d’activité, chercheurs, universitaires, puissance publique.

Cette notion d’écosystème est peu familière en France, où la tradition est plutôt celle d’une économie administrée par le haut. Le rapport Beylat – Tambourin cite le livre « Un paléoanthropologue dans l’entreprise – S’adapter et innover pour survivre » de Pascal Picq. L’auteur y dresse ainsi une éclairante comparaison entre une culture « darwinienne », propice à l’entrepreneuriat et à l’innovation, et une culture « lamarckienne », plus propice aux « grands projets programmés ».

Industrie

Changer la culture est la chose la plus compliquée qui soit. Mais l’internationalisation des écoles supérieures et des universités françaises (notamment par les programmes Erasmus) et la réalité de plus en plus multinationale des grands groupes français travaillent depuis des années la mentalité des élites.

La phase de croissance des entreprises basées sur le marché national et les contrats étatiques est certainement derrière nous. Mais d’autres entreprises, fonctionnant à l’échelle internationale tout en étant nourries d’écosystèmes locaux, sont en train de naître. Et l’arsenal des politiques publiques de nature à favoriser leur croissance est bien connu.

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Commentaires

Pour ma part je ne pense pas qu'une fiscalite qui "favorise" une detention longue des titres d'une entreprise soit prejudiciable aux entreprises. Au contraire cela favoriserai en Bourse un actionnariat plus stable et moins... speculatif a court voire a tres court terme.

La stabilite de l'actionnariat ainsi que des actionnaires qui savent couvrir le risque d'innovation et celui de croissance "voulue" sont plutot des caracteristiques du capitalisme "rhenan" que du capitalisme "anglo-saxon"...

On ne peut a la fois vouloir gagner de l'argent tres vite en bourse et oser financer les besoins en capitaux propres pour assumer l'innovation et ses risques !

Par contre, taxer fortement les "business angels" (bien trop peu nombreux en France) traduit une meconnaissance profonde du role positif pour l'economie du "vrai actionnaire accompagnateur" aupres des PME...

Le groupe de travail sur l'avenir de l'industrie en France a fait un excellent travail et il faut le féliciter de bousculer nombre d'idées reçues. Le chapitre de conclusion ʺ Changer la culture est la chose la plus compliquée qui soit ʺ résume à lui seul la complexité des défis auxquels doit faire face a ʺ notre pauvre pays étatisé en voie de paupérisation ʺ dixit Alexandre jardin. Notre pays a, certes, à faire face à un problème de culture (le groupe de travail a raison de mettre en avant le rôle fondamental du Mittelstand dans la réussite industrielle allemande et de faire remarquer qu'il n'y a pas de système allemand, au sens quasi-mathématique où on entend en France le mot système) dont une des facettes est le système éducatif français et son corollaire la structure de l'administration de l'Etat. Le monde politico-administratif est dirigé (de Paris) par des esprits brillants qui, autre spécificité française, sortent quasiment tous de la même école dont Wikipédia dit qu' ʺelle est une grande école française crée en 1945 pour ʺ démocratiser ʺ l'accès à la haute fonction publique de l'Etat ʺ. Ces brillants diplômés qui sont formatés dans la toute puissance de l'Etat et la condescendance pour l'industrie, raisonnent quasiment tous de la même façon, qu'ils aient des étiquettes de droite ou de gauche. C'est le triomphe du colbertisme dont beaucoup se félicitent du retour en force en 2013. Le système éducatif français, hyper centralisé et élitiste, n'a qu'un seul équivalent au Monde: le mandarinat instauré par les empereurs chinois (avec la sélection par des concours d'entrée ultra difficiles) et qui faisait l'admiration de Napoléon.
Si notre pays veut vraiment faire face à son inexorable déclin, attesté par sa chute dans tous les classements internationaux, il faut qu'il ouvre vraiment les yeux sur le Monde qui l'entoure et s'attaque à de véritables réformes qui ne se feront pas en un quinquennat mais en plusieurs décennies.

Il est vrai que l'innovation, en aval de la recherche, est, en France, la plus grande faiblesse mais il semble que la recherche fondamentale est de moins en moins un point fort, par exemple en pharmacie.

@marc
En France, il existe une confusion durable entre ces deux notions que sont la Recherche et l'Innovation.
La recherche est un effort, tandis que l'innovation est un résultat. La culture française reconnaît trop les mérites de l'effort, pas assez les mérites du résultat. Un grand nombre de dispositifs d'aides se consacrent à l'effort, sans vraiment sanctionner l'absence de résultats. Un vieux dicton, toujours d'actualité, dit "en France nous avons beaucoup de bons chercheurs, mais pas beaucoup de trouveurs". La recherche est budgétivore, elle occupe beaucoup d'emplois.
L'innovation, surtout l'innovation de rupture, peut détruire des emplois anciens et obsolètes. Or résister à l'innovation, comme on le voit beaucoup, ne fait que retarder la mutation inéluctable et le rend le plus souvent plus douloureuse.
La vision étatique française de "créer des emplois", souvent transposée en "protéger les emplois" est une politique de l'Autruche. Avoir le courage de la vision complète de l'avenir, et notamment des conséquences des innovations de rupture, voilà ce qui fait la réussite des peuples forts. Les français ne sont plus un peuple fort.
amicalement.

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