Neuropharmacologie : perspectives de modification des comportements

060821-cerveau.jpgLe cerveau est considéré, dans nos sociétés, comme le siège de la pensée. Depuis Descartes, la pensée est considérée par certains comme dissociée du corps. C’est pourquoi on a beaucoup de mal à voir dans le cerveau un organe comme les autres. On a encore plus de mal à admettre que le cerveau, comme tout autre organe, le foie ou le cœur par exemple, puisse être malade.

La pensée malade ? C’est une idée terrifiante. Pourtant si le cerveau est un organe comme les autres, on doit admettre qu’il puisse et devrait être soigné comme n’importe quel autre organe.

Certes, le cerveau est une machine complexe, peut-être la plus complexe de l’univers. Il comprend 100 milliards de cellules et 1000 à 10 000 connexions par cellule. C’est une machine qui se construit toute la vie et que chaque expérience modifie. Et c’est cette complexité, dont on commence, depuis une vingtaine d’années à peine, à soulever un coin du voile, qui en fait un organe à part.

Le cerveau fonctionne en réseau, réseau qui se forme par des communications entre les neurones grâce à des messages chimiques. Certains de ces messages sont connus du grand public. C’est le cas de l’adrénaline, de la dopamine ou de la sérotonine. D’autres le sont moins comme les enképhalines qui agissent sur les mêmes récepteurs que la morphine. Des centaines de messages chimiques sont ainsi secrétés par des réseaux de neurones, pour répondre par exemple aux sollicitations extérieures, messages qui, une fois libérés, doivent être reconnus par d’autres neurones ou groupes de neurones grâce à des molécules réceptrices appelées neurorécepteurs. Au nombre de 400 à 500, 250 d’entre eux sont bien connus. Les autres, dont le rôle n’est pas encore identifié, sont appelés récepteurs orphelins.

Or, et c’est une surprise, la plupart des neurorécepteurs, dont beaucoup ont été découverts au cours des 20 dernières années, ont une structure très semblable aux récepteurs chargés de décrypter les messages chimiques reçus dans des organes comme le cœur, le foie ou les poumons...

Ainsi, les récepteurs de la sérotonine, ont une structure très voisine de celle des récepteurs qui nous permettent d’identifier les photons sur la rétine et donc de voir. Cette similitude est probablement une conséquence de l’évolution : les récepteurs ancestraux se sont vraisemblablement diversifiés pour reconnaître les nombreux messages qu’ils soient d’origine externe, tels que la vue, l’odorat, le goût..., ou interne. Les récepteurs jouent un rôle très important dans la reconnaissance de tous les messages, dans le corps comme dans le cerveau.

Aujourd’hui, 60% des médicaments liés aux pathologies du corps mais aussi du cerveau agissent sur des récepteurs de ce type. On peut de ce fait imaginer que la neuropharmacologie des neurorécepteurs pourra faire avancer le traitement des maladies du cerveau, comme elle fait tous les jours avancer le traitement des pathologies du corps.

Une question redoutable va toutefois se poser : doit-on « normer » tous les cerveaux ? Que de souffrances engendrées par des cerveaux malades ! Mais aussi que de chefs d’œuvres !

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Commentaires

Merci à Monsieur le professeur Joël Bockaert pour la clarté de son exposé.

Il nous apprend que les récepteurs de la sérotonine, un neuromédiateur impliqué dans le mécanisme d'une maladie de plus en plus répandue, hélas, la dépression nerveuse, seraient assez semblables à ceux qui véhiculent vers le cerveau les messages lumineux issus de notre rétine.

Peut-on y voir un rapport avec la technique de photothérapie, en vogue actuellement ?

Oui, la progression de la connaissance du fonctionnement du cerveau, et donc la perspective d'actions possibles sur ce fonctionnement donne de plus en plus le vertige...

Des questions fort judicieuses comme "la pensée est elle malade ?" ou "doit on normer tous les cerveaux?" appellent bien évidemment une très grande prudence. De nombreux signaux montrent actuellement que la logique et la raison sont en échec devant les problèmes graves de notre société. Pour ma part j'ose dire que c'est d'abord cette logique et cette raison qu'il faut mettre en doute. Notre civilisation, notre culture occidentale ont érigé notre rationalisme en vertu suprême et incontournable.

Pourtant l'observation patiente et appronfondie du mode de raisonnement de notre cerveau montre que ce mode de raisonnement souffre de bien des lacunes et comporte beaucoup d'erreurs, erreurs qui peuvent être individuelles, collectives et parfois universelles (partagées par tout le monde).

Identifier avec humilité et méthode ces insuffisances de notre cerveau, qui sont la cause de nos multiples "déraillements", ne serait ce pas la première démarche à entreprendre ? Montrer à tout un chacun, et en particulier aux enfants au titre de l'éducation, les faiblesses et limites de son cerveau, tout en lui montrant bien sûr les fabuleuses possibilités de ce cerveau, ne serait ce pas prendre la question des problèmes de société par "le bon bout" ?

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