Du fonctionnement du cerveau à la prise de décision

Image-cerveau.jpgNous émergeons d’un siècle qui vénérait la pensée formelle et négligeait l’émotion. Un siècle où la raison était érigée en totem. C’est elle qui nous a permis de découvrir les propriétés fondamentales de la matière, de transplanter le cœur d’une poitrine vers une autre ou d’accéder à la Lune, muse préférée des poètes, et demain peut-être à Mars.

Cette « Raison » raide et froide de rigueur, tout le contraire de la raison du siècle des Lumières, indifférente à l’incertitude, nous a fait croire que le monde pouvait être soumis au calcul, que la guerre du Vietnam pouvait être gagnée par les ordinateurs du Pentagone et que ...l’homme était un décideur rationnel. Elle nous a fait croire que la décision était le produit du raisonnement. Qu’elle était le privilège de l’homme et de structures de son cerveau situées dans le lobe frontal, comme dans nos grandes entreprises les décideurs ont leur bureau tout en haut de gratte-ciel.

La domination des théories formalistes et l’hégémonie des linguistes dans les sciences de la cognition ont porté à croire que le raisonnement logique, appuyé sur le langage, constituait le fondement des processus de décision. Ceci était particulièrement prégnant chez les économistes pour qui les agents économiques sont des maximiseurs bayésiens de l’utilité subjective pleinement rationnels.

Nous assistons cependant, depuis peu, à un changement profond de paradigme avec un réancrage des fonctions cognitives les plus élevées dans le corps sensible, l’émotion... Aujourd’hui, les apports de l’imagerie cérébrale, de la physiologie et de la biologie modernes, des sciences cognitives, de la psychologie... et la collaboration entre neuropsychologues ont permis de reconsidérer profondément les processus de fonctionnement du cerveau humain. Ainsi, Antonio Damasio, spécialiste en neurosciences, a, avec une rare élégance, tenté de réintégrer l’émotion dans les processus de décision, puis, de réincarner la cognition. D’autres études récentes ont montré que l’avancée de l’esprit humain est toujours un changement de point de vue. J’avancerais, pour ma part, trois hypothèses.

La première est que la décision n’apparaît plus, à ce titre, comme seulement un processus rationnel, fondé sur des outils logiques, pas plus qu’une seule propriété du cerveau cognitif. Elle est une propriété fondamentale de tout le système nerveux. Prenons la fuite, une des principales réactions de survie qui fut déterminante au cours de l’évolution. Chez le poisson, par exemple, c’est un neurone géant, la cellule de Mauthner, qui, loin d’être un simple relais contrôlant un réflexe de fuite, est le siège d’intégrations multisensorielles d’une subtilité et d’une complexité extraordinaires. Il détecte les dangers et active la décision de fuir en fonction du contexte et de la configuration des signaux externes comme de l’état interne de l’animal. La réaction de fuite est, à ce titre, une première illustration de l’existence d’un processus de décision dans un élément de base du système nerveux central.

La deuxième est que la décision, au cours de l’évolution de trois millions d’années et parce qu’elle est une propriété fondamentale du cerveau, est en fait le résultat d’une hiérarchie de processus, du plus simple au plus complexe.

La décision doit enfin, à mon sens, être ancrée dans l’action et la perception et non enfermée, comme on avait tendance à le croire, dans des processus purement logiques. Il nous faut donc rapprocher raison et émotion et retrouver le rôle que joue cette dernière dans la prise de décision.

Une étape décisive fut franchie lorsqu’on accepta l’idée que l’émotion est préparation à agir et pas seulement réaction. A cet égard, les avancées de la physiologie et de la biologie modernes ont été d’un grand secours. Elles nous ont, d’une certaine manière, permis de refonder les processus de décision. Mais cette connaissance croissante du fonctionnement du cerveau n’est pas sans risque. A nous d’être vigilant face aux possibilités accrues de manipulation. Surtout pour les enfants. C’est entre 7 et 10 ans que l’enfant développe les capacités d’empathie, de tolérance, etc. Imaginons un instant les dégâts qu’ils peuvent subir entre les mains d’un système fanatisé.

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Commentaires

@ Alain Berthoz
L'histoire nous apprend que l'utilisation des enfants entre 7 et 10 ans a été et continue d'être faite par des adultes dont les desseins ne sont pas tous élevés !

En général tous les régimes totalitaires ou fortement dirigistes ont utilisé l'endoctrinement des enfants à l'age sensible pour en faire des êtres de foi au détriment de la raison. Les exemples sont nombreux même si celui du régime Nazi est le plus évident...

Pour ma part, j'aurais tendance à trouver une analogie entre les deux aspects de la décision ( raison et émotion ) avec ce que l'on appelle dans l'entreprise le domaine de l'opérationnel et celui du stratégique.

Pour bien "faire" ce que l'on doit faire (efficacité) et si possible le faire avec un objectif frugal d'économie de moyens (efficience), il faut faire appel à la "raison" principalemement: on est dans le domaine des opérations.

Pour bien "sentir" ce qu'il faut faire ( intuition ) et en imaginer des scénarios plausibles de réalisation, il nous faut un peu donc faire appel à notre "émotion" : on est dans le domaine de la stratégie et de la politique générale d'entreprise.

C'est l'intuition qui fait les grands inventeurs, les grands entrepreneurs, les grands découvreurs...

Une entreprise, selon moi, doit fonctionner avec l'ensemble des capacité de son cerveau, le droit comme le gauche.

Il n'y a en fait que la "politique" qui croit que les deux parties du cerveau peuvent vivre indépendemment l'une de l'autre !

donc le processus de décision vient à 50% de la raison et à 50%de l'émotion;
cqfd
comme celà on est certain de ne pas se tromper.
en plus on ratisse large.
on fait plaisir a tout le monde.
c'est la définition de la "langue de bois".
de quoi avez vous peur on ne taxe pas les gens qui ont le courrage de leurs opinions(pas encore).
on les interdit c'est mieux.

pour Alain Berthoz
Mon commentaire intervient bien tard après votre article; en fait je connais et pratique le blog des vigilants depuis peu de temps.
Merci pour votre analyse très approfondie du processus de décision.
De mon point de vue de profane,j e vois dans les processus complexes du cerveau une grande hiérarchie dans la perception des types de situations :
1) les cas d'"urgence", qui appellent action dans un délai déterminé, faute de quoi la situation va s'aggraver.
2)l es cas de "non urgence", où le temps qui passe n'aggrave pas la situation, mais laisse espérer une meilleure perception et sans doute un meilleur choix bien que plus lointain.
Notre conscience et notre inconscient sont imprégnés de cette "hiérarchie", et tous nos comportements se déterminent d'abord et souvent uniquement à l'aune de cette hiérarchie. La gravité d'une situation est souvent (et trop facilement) assimilée par notre cerveau à un risque vital pour notre personne, et donc d'une urgence de décision. C'est une sorte de réflexe, une espèce d'instinct, dont notre rationalité ne peut se défaire. Ceci perturbe énormément le fonctionnement de nos sociétés humaines.
La peur est un phénomène facile à propager, très contagieux; la maîtrise du risque est autrement difficile, mais c'est sans doute l'une des plus belles conquêtes des collectivités humaines. Le cerveau humain confronté seul à la maîtrise des risques ne saurait être plus performant que l'association de plusieurs cerveaux qui fonctionnent en confiance réciproque, pour autant que cette association ne se pose pas en "système tribal", c'est à dire traite à priori d'autres cerveaux ou d'autres associations de cerveaux en "exclus" et donc en "ennemis" potentiels.
Cette constatation devrait être le poin de départ de l'éducation de nos enfants, à tout âge, et pas seulement entre 7 et 10 ans (qui est cependant la période la plus cruciale).
Ce chantier est immense, notre responsabilité est essentielle, que nous soyons experts ou profanes.

L'actualité récente conduit à donner du relief au billet d'Alain Berthoz.

Que ce soit l'endoctrinement de certains jeunes dans nos "banlieux dites difficiles", facilité par le désoeuvrement où certains se trouvent en l'absence d'un réel encadrement.

Que ce soit dans le reste du Monde où un récent colloque a mis en exergue la propension naturelle de beaucoup de pays soumis à un pouvoir autoritaire à "enrôler et endoctriner" de jeunes enfants pour mieux les "convertir à la guerre" et les utiliser comme de la chair à canon.

Certains ont pu penser que les "jeunesse hitlériennes" ( pour ne citer qu'elles ) faisaient partie de l'histoire révolue...

Ne trouvez vous pas que l'actualité géopolitique actuelle s'éclaire autrement à la lecture de ces échanges ?

Il me semble que les décisions que nous prenons font appel à davantage que les 2 pôles de l'émotion/intuition et de la raison. A la lumière des intelligences multiples d'Howard Gardner (http://www.abannonces.com/conseils-modeles-cv/test-des-intelligences-mul...), j'imagine dans mon esprit (le mien est franchement visuel)un soleil avec plusieurs rayons de critères (la justice, la justesse/l'élégance par ex, qui sont des notions subjectives mais pas pour autant réductibles à la raison ou à l'intuition; la notoriété d'un expert et l'affinité intellectuelle ou humaniste que l'on a avec elle/lui me semble également importante). Un de mes collègues qui s'occupe de sécurité alimentaire me dessinait justement hier un "soleil de décision" qu'il aimerait voir appliquer désormais (auj le seul critère qu'on l'autorise à présenter sont tristement les €...).

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