Lecture : "Eloge de la métamorphose" d'Alain de Vulpian

D’emblée, dans son avant-propos, Alain de Vulpian annonce l’ambition qui est la sienne, celle de partager sa conviction sur le futur d’une humanité qui se dirige vers une plus grande maturité, en dépit des crises et des soubresauts qu’elle traverse. Ce n’est pas seulement un espoir comme il arrive aux esprits brillants d’en formuler au soir de leur vie ; c’est l’aboutissement d’un long processus d’observation et de recherche entamé depuis les années 1950.

Sa démarche s’ancre dans le temps long de l’histoire humaine, qu’il fait remonter aux premiers temps de la présence des hominidés sur la planète et dont il retrace le parcours dans une fresque à la fois lumineuse et bienveillante, articulée en quelques grandes époques. Tout commence avec le chasseur-cueilleur, période marquée par des émergences successives comme celle du langage qui permet de coordonner les efforts dans les actes qui conditionnent la survie du groupe, mais aussi de communiquer des messages abstraits. Puis vient la transition progressive vers la sédentarisation, avec ce que cela implique d’occupation du territoire et de défense de cet espace et des ressources qu’il recèle. C’est dans ce contexte que naît l’ère des civilisations qui est aussi celle de l’urbain et qui remonte à la civilisation sumérienne. Enfin, la période actuelle, étonnamment courte par comparaison avec les précédentes, et dont l’apogée au XXe siècle a été marqué par des conflits mondiaux et la création d’un arsenal de destruction qui menace d’éteindre la vie humaine sur la Terre.

Aujourd’hui, notre socioculture est majoritairement issue de la civilisation occidentale dans laquelle la rationalité s’est imposée partout, donnant naissance à une organisation du monde avec les États-nations, les hiérarchies, les méthodes de gestion, celles de l’enseignement, la compétition, les conflits, etc. Et notre monde est en crise : il est l’objet du désenchantement vis-à-vis de l’incapacité de la science et de l’inefficacité des structures de gouvernance à résoudre les défis qui s’accumulent, que ce soit en matière d’environnement ou de modèle de développement, sans mentionner le piège démographique qui menace de se refermer sur notre humanité.

Pourtant, en ce début du XXIe siècle, Alain de Vulpian pressent une nouvelle période de transition qui annoncerait une métamorphose humaniste et il en relève de nombreux indices. En effet, depuis le milieu du XXe siècle, une évolution s’est manifestée ; les individus s’acceptent comme ils sont, des êtres sociaux capables de partager leurs émotions. Cette transformation a commencé avec la course à la consommation des années 1950, et plus généralement avec la recherche du bonheur liberté. Simultanément, les idéologies perdent de leur force et de « nouveaux animaux » apparaissent, ce sont des nouvelles formes d’organisation nées d’initiatives diverses, inclassables et qui souvent se positionnent au service de la communauté, mus par l’empathie, dépassant ainsi les schémas de la rationalité économique ou politique.

Au-delà, l’auteur en réfère aux neurosciences car la plasticité de notre cerveau peut générer une évolution des comportements. Or, il existe une relation forte entre les structures mentales des individus et les structures de l’organisation sociale. Non pas que l’une façonne l’autre directement. Mais les humains conduisent leur vie et ce faisant, ils alimentent les évolutions socioculturelles. Celles-ci conduisent à des écosystèmes qui s’auto-organisent par le jeu des interactions entre les variables qui les composent et dont les acteurs ne sont pas conscients ou qu’ils ne peuvent pas piloter.

Ainsi, des transformations profondes sont en cours et elles relèvent de l’une des caractéristiques fondamentales du vivant, sa capacité à évoluer et à se renouveler, au point que c’est la seule assurance de sa pérennité.

Bien des obstacles se dressent sur cette route. Ils tiennent aux structures financières, aux modes de production et à ceux de la gouvernance étatique. Pourtant, chacun de ces domaines connaît des mutations. La mondialisation de la planète se poursuit, la structure géopolitique se transforme, le tissu social mondial se développe et les réseaux de communications électroniques défient et bousculent les structures économiques, sociales ou politiques existantes. Et l’hégémonie américaine devra sans doute composer avec d’autres cultures et modèles d’organisation, dont ceux de la Chine.

Avec cet ouvrage, Alain de Vulpian délivre un message d’espoir foisonnant, érudit mais prudent, car s’il nous invite à accueillir la métamorphose, il nous met également en garde contre les bifurcations qui la guettent et les effets catastrophiques qui pourraient en résulter. Par définition, les caractéristiques du nouveau monde issu de ce processus nous sont encore indéchiffrables, l’intuition de l’auteur le porte à penser qu’il ne s’agira plus de domestiquer les hommes et la nature, mais de prendre soin de leurs développements. En cela, l’homme du futur se rapprocherait du chasseur-cueilleur, ce qui témoignerait aussi de la permanence des sentiments et des émotions d’Homo sapiens.

Jean-François Soupizet

 

Article publié sur le site de Futuribles, le 23 novembre 2016

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