Le rose et le noir

Qui a raison, l’Asiatique qui voit la vie en rose ou l’Européen qui voit l’avenir en noir ? L’Asiatique n’est pas certain que demain sera meilleur qu’aujourd’hui mais il a pu constater qu’aujourd’hui est meilleur qu’hier. Pour lui, le soleil se lève.

L’Européen n’est pas certain que demain sera pire qu’aujourd’hui mais il a pu constater qu’aujourd’hui n’est pas meilleur qu’hier. Pour lui, le soleil se couche.

Ainsi, deux personnalités éminentes expriment-elles en toute sincérité deux points de vue opposés :

-       Kishore Mahbubani, doyen du Département des Politiques Publiques à l’Université Nationale de Singapour, se souvient de la puanteur des toilettes de son enfance. Le seau restait plein jusqu’à l’arrivée des éboueurs. Le petit Kishore avait dix ans lors de l’installation d’une chasse d’eau. C’était à ses yeux le symbole non seulement du confort mais de la dignité. Des décennies plus tard, l’auteur respecté de nombreux ouvrages[1] estime que le monde progresse et que jamais les opportunités n’ont été aussi grandes.

-       Jacques Blamont, père de la recherche spatiale en France, membre de l’Académie des Sciences, est à l’autre bout du spectre. Auteur, lui aussi, de nombreux ouvrages[2], il estime que les ressources de la planète sont au bord de l’épuisement et que la course au progrès matériel risque de se terminer en catastrophe.

Deux visions du monde s’affrontent. Selon le Singapourien, l’expansion économique qui permet  l’amélioration des conditions de vie est un préalable : plus l’Homme sera libéré des servitudes avilissantes, meilleur il sera et la voie d’un progrès mondial sera ouverte. Selon le Français, 7 milliards de terriens sont arrivés à un point de bascule : nous vivons la fin du productivisme ; le préalable, désormais, est Moral. Il faut – d’urgence ! – un nouveau paradigme.

Un observateur qui ne serait ni asiatique, ni européen pourrait croire que l’optimisme de l’un n’est que griserie d’un pouvoir ascendant et que le pessimisme de l’autre n’est que déprime d’un pouvoir déclinant. Il y a, cependant, des réalités à prendre en compte. Certaines peuvent être différentes selon les régions du monde. D’autres (et sans doute les plus importantes) sont communes à tous les habitants de la planète. Affrontements et coopération seront conjointement à l’œuvre. Réduire les uns et renforcer l’autre, voilà la tâche immense des prochaines décennies.


[1] Voir, notamment, « The New Asian Hemisphere », traduit en français sous le titre « Le défi asiatique » et paru en 2008 aux éditions Fayard.

[2] Voir, notamment, « Introduction au siècle des menaces » paru aux Editions Odile Jacob en 2004 ; « Lève-toi et marche », paru également aux Editions Jacob en 2009 et, pour un groupe de travail du Club des Vigilants, « On n’a (presque ?) plus le temps », paru dans le N°115 de la revue Commentaire en 2006.

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