La France apprend tout doucement l’art du compromis

ThuderozLa situation n’est pas désespérée. Les Français maîtrisent beaucoup moins que d’autres européens l’art du compromis, mais ils font tout doucement des progrès qu’il faut encourager. Si on devait résumer en deux lignes sa conclusion modérément optimiste c’est ce qu’on pourrait dire de « l’audition » de Christian Thuderoz par le Club des Vigilants, le 16 avril dans le cadre d’une de ses Matinales.

Sociologue, enseignant à l’INSA de Lyon, intervenant en formation continue à l’ESSEC-Irénée, chercheur au CNRS, l’intervenant est aussi co-directeur de la revue Négociations et il a publié cette année aux PUF un livre rare, un Petit traité du compromis (sous-titre : l’art de la concession). Livre rare car le sujet n’est que peu exploré en France, même si Thuderoz invoque dans sa conclusion Albert Camus et sa « pensée de midi ». Jérôme Cazes, ancien Président du Club, avait précisément pointé cette culture insuffisante du compromis comme un des handicaps de la France. Le Club en a fait un de ses thèmes de recherche.

L’aversion française au compromis s’explique notamment par le jacobinisme et par une certaine conception de l’autorité, estime Thuderoz. Les dirigeants ont peur de se montrer faibles. Un gouvernement engagé dans une réforme contestée « tient bon ». La négociation des compromis est d’autant plus difficile que les intérêts en jeu ne sont pas mis sur la table. Ils sont le plus souvent camouflés derrière l’invocation de « l’intérêt général ». D’ailleurs on comprend d’autant moins en France le mode de décision des institutions européennes que celles-ci avancent beaucoup par compromis successifs.

La définition même du compromis n’est souvent pas claire pour les Français. Il est souvent perçu comme « marchandage, renoncement, partage… ». Il est parfois confondu avec le consensus. Or on constate un consensus, éventuellement après négociation et compromis. Mais on bâtit un compromis. Le compromis c’est « la gestion méthodique des divergences ». Il suppose que les intérêts et les positions aient été clarifiés pour que commence le jeu des concessions. Les meilleurs sont souvent ceux qui sont facilités par un tiers, de type médiateur, estime Thuderoz.

En France cet art n’est pas enseigné, notamment dans les écoles qui forment les élites comme l‘ont constaté à la fois l’intervenant et l’assistance. On apprend éventuellement l’art de la persuasion, de la « négociation » au sens commercial du terme, pas celui du compromis. Au Québec, où Christian Thuderoz a eu l’occasion de passer six mois, on enseigne « l’accommodement raisonnable » dès l’école. Pour autant la France évolue doucement. Christian Thuderoz croit aux vertus des rendez-vous sociaux réguliers, grandes conférences ou autres, dont le principe a été acté sous des formes différentes par la Droite et la Gauche (voir la loi Larcher). Il note régulièrement dans son journal des tentatives de solution par compromis (il cite par exemple le conflit autour de l’avenir de l’Hôtel Dieu à Paris). Pour faire évoluer les mentalités il a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de « populariser  le récit» de ces compromis, de les mettre en valeur.

La solution est-elle politique ? Faut-il changer de Constitution, de système électoral ? Le tripartisme de fait, vers lequel nous allons, va-t-il modifier la donne ? Christian Thuderoz attend plus du « progrès incrémental » et des évolutions à la base par multiplication des micro-compromis que des « grands soirs » venus d’en haut. Il a bien conscience que, pour beaucoup de Français, c’est « un bon 1936, un bon 1944 ou un bon 1968 » qui ont permis de faire avancer les choses. Pas pour lui. Il n’attend rien d’une Sixième République et le tripartisme ne va « ni aggraver, ni améliorer » la situation en la matière.

Au cours de cette passionnante rencontre on a également creusé quelques figures et contraintes de l’art du compromis. L’intervenant a expliqué les « compromis par dépassement » qui permettent, en ayant bien compris la position de l’autre, de trouver la troisième voie qui est la meilleure solution pour tout le monde. Il a évoqué les « conflits valoriels » difficiles (Wallons contre Flamands ou Islam contre laïcité), parce qu’on « s’accorde plus facilement sur des intérêts que sur des valeurs ». Il a encore débattu de l’écoute et de la confiance : « tout dialogue n’est pas négociation et il est possible d’établir un compromis sans confiance préalable ». En revanche dans compromis il y a promesse de respect des termes du compromis. Pour autant il ne faut pas, comme on le fait beaucoup trop en France, signer des accords d’entreprise « pour l’éternité », sans mention de durée. Les situations changent et obligent à renégocier.

Plusieurs intervenants ont enrichi le débat par l’évocation de leurs expériences de terrain, notamment Alain Grangé-Cabane, médiateur agréé par la Chambre de Commerce de Paris et Daniel Lechanteux, manager de transition. Ils sont tous vivement encouragés à développer leurs interventions par écrit sur www.vigilants.com.

Enfin on ne saurait trop recommander à ceux que le sujet intéresse la lecture du Petit traité du compromis. Ils y trouveront, par exemple, entre de multiples notations trop longues à citer ici, des développements sur l’art du compromis comme signe de civilisation et sur l’art du compromis de la religion catholique.

Christian Thuderoz nous a recommandé au passage une autre lecture, un livre de 1716, qui reste pour lui le « meilleur traité de négociation en français » : De la manière de négocier avec les souverains par François de Callières, réédité en 2002 par la librairie Droz à Genève. On peut jeter un coup d’œil sur le PDF de l’édition originale sur Gallica. bnf.fr

 

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