Guerre des vaccins : gouverner c'est agir !

Les premiers jours, cela pouvait s’interpréter comme des maladresses ou des erreurs de communication. Aujourd’hui, le doute n’est plus permis. La « guerre » des vaccins a commencé par une accumulation d’erreurs.

- Nomination d’un éminent professeur Nimbus comme coordonnateur en chef qui reconnaît naïvement que la logistique n’est pas son affaire. Le khâgneux Emmanuel n’a-t-il pas appris que la logistique est la variable décisive dans toute guerre ? La supériorité des armées napoléoniennes est due pour une grande part au fait que personnellement Napoléon s’occupait avant le lancement d’une bataille de l’approvisionnement des troupes en nourriture, en armements, en chevaux pour ne pas être immobilisé après un premier succès. La bataille de France en Juin 44 a été gagnée par une armée américaine, sous le commandement d’Eisenhower, maitrisant parfaitement les problèmes de logistique. A l’inverse, les échecs de l’armée française, en 1870 et 1940, s’expliquent dans une large mesure par une logistique obsolète. Dans une administration française si longtemps imprégnée de Saint-Simonisme, où sont passés les Organisateurs ? Les Jean Monnet, les Raoul Dautry, les Lefaucheux doivent se retourner dans leurs tombes.

- Addiction aux sondages. Le problème majeur serait que les Français sont hostiles aux sondages et que leur opposition croîtrait avec le temps. Il faudrait donc les traiter avec douceur et les endormir avec de grands mots comme transparence, illusoire dans les moments de crise aigüe. Clémenceau n’a pas choisi la voie homéopathique mais celle d’une action dynamique et ne serait pas soucié des sondages. Seule une telle action, obtenant des résultats rapides, est de nature à convaincre l’opinion, voire à la retourner. Ce sont les millions de vaccinés - le plus vite possible- en France et à l’étranger, enfin rassurés, qui entraineront leurs compatriotes actuellement réticents. Il est grand temps de distinguer le décideur et le commentateur. L’homme d’action décide et parle pour expliquer ses décisions. Il se concentre et ne s’éparpille pas dans de longs commentaires donnés à la presse, qui ne sont lus que par les journalistes et une poignée de citoyens. Le commentaire, il vient après la bataille.

- Dépendance à l’égard des lobbies. L’homme politique écoute les professionnels, échange avec les élus, lit les journaux mais in fine il prend seul la décision. Il ne s’aligne pas sur les lobbys des experts, professeurs et médecins, quelle que soit la légitimité de leurs objectifs. Les uns ont pour priorité exclusive le fonctionnement de l’hôpital. Les autres réclament une intervention directe du privé dans la vaccination. Les contraintes techniques actuelles, conservation à -80 degrés, distribution par lots, les excluent du jeu. Le gouvernant « invente » le dispositif adapté au problème actuel et urgent à résoudre - le temps lui étant compté- ce qui est compatible avec une déconcentration ou la collaboration avec le privé. Le recours à la précédente épidémie présente un intérêt limité, le Covid-19 ayant des caractéristiques très différentes.

- Dépendance à l’égard des opposants. Les opposants s’opposent, ce qui est légitime. Leurs critiques peuvent être pertinentes et il faut leur répondre. Ils sont en droit de voter la défiance. Cela dit, ne nous trompons pas d’époque. Nous sommes en guerre, la collectivité nationale est menacée. La priorité est de vaincre l’ennemi le plus rapidement possible et des dispositions exceptionnelles sont justifiées. Ceux qui crient aux atteintes aux libertés, qui seraient insupportables, se trompent. Il s’agit de dispositions provisoires qui doivent disparaitre dès la fin de la guerre et il faudra y veiller strictement. Ce n’est ni Clémenceau ni De Gaulle qui ont abattu la démocratie mais la Défaite. Donner des marges de liberté supplémentaire aux vaccinés par rapport aux rebelles qui font courir un risque à la collectivité et à eux-mêmes serait justifié.

Quant à la consultation de 35 citoyens tirés au sort, c’est une diversion puérile et une manière de ridiculiser la démocratie représentative. Comment des citoyennes et citoyens, dont la bonne volonté n’est pas en cause, pourront-ils se prononcer sur un processus aussi technique et complexe que la logistique de la vaccination ? Ils risquent plutôt d’amplifier les peurs et les craintes qui s’expriment autour d’eux. Dernier détail, un échantillon limité à 35 ne saurait être considéré comme représentatif.

On a reproché, à tort, au Président d’avoir parlé de "guerre". Le reproche qu’on peut lui faire est de ne pas en avoir tiré les conséquences. Qui dit guerre, dit chef de guerre, état-major réduit pour conduire la guerre et processus de décision raccourcis. Or, à part un conseil de défense élargi et réuni plus fréquemment, il a gouverné comme à l’ordinaire. Les bureaux ont continué à pondre circulaires et textes difficilement lisibles et applicables. Le dernier exemple est la circulaire de 45 pages pour expliquer comment vacciner dans les EHPAD, et dans les 45 pages, que les « chefs « n’ont pas dû relire, des erreurs se sont glissées sur l’essentiel (le diamètre des aiguilles et la nécessité d’une injection intra-musculaire et non sous-cutanée)

Certes, la guerre n’est pas finie. Des corrections sont déjà intervenues et les batailles à venir peuvent être des succès, sans que le temps perdu ne soit rattrapé. La bataille de l’opinion, elle, est perdue… après les masques et les respirateurs qui ont manqué, les tests qui ont tardé, le suivi qui a été insuffisant et l’isolement qui n’a jamais été pratiqué. Cela fait beaucoup. L’électeur pourrait s’en souvenir en 2022, à moins que la guerre des vaccins ne se solde en définitive par une victoire.

 

Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire général au Plan, publié le 7 janvier sur https://www.pierre-yves-cosse.com/

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