Macron. Prendre son temps.

Photo de Linda H sur Unsplash

Le choix d’une équipe ne se fait pas en une semaine.

Connaissez-vous une institution, entreprise ou association, dont le président soit tenu de nommer un nouveau DG et l’équipe qui l’entoure en moins d’une semaine ? Aucun choix n’est plus délicat que celui des hommes, qui doit être associé à une mission précise. Il faut discerner les compétences et les caractères, éliminer les caractériels et les dangereux, pressentir les incompatibilités. Tous ceux qui ont exercé des responsabilités ont fait l’expérience de décisions hâtives et imprudentes qu’ils ont longtemps regrettées. Sauf catastrophe -toute l’équipe de direction se tue dans un accident d’avion- le processus prend plusieurs mois.

L’exception française

Non, vous n’en connaissez aucune. Eh bien, vous vous trompez. Il y en a une, dont on parle tous les jours, le gouvernement de la France. Un président de la République nouvellement élu, ou réélu, doit en quelques jours nommer un Premier -ou une Première- ministre et le gouvernement, qui détermineront et conduiront la politique de la Nation. L’explicitation du programme, qui sera présenté au Parlement, ne se fait qu’après la nomination des hommes.  Si le processus tarde, journalistes et commentateurs traitent le président d’indécis et de mou et même parlent de crise politique. Pour faire de la copie, ils avancent des noms souvent incongrus, en l’absence de toute information sérieuse.

C’est une exception française, la constitution de la majorité des gouvernements européens prenant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Certes, du fait d’élections à la proportionnelle, ce sont souvent des gouvernements de coalition et l’on commence par négocier un programme de gouvernement avant de choisir ceux qui seront chargés de le mettre en œuvre. Il se passe un long délai entre l’élection et la mise en place de la nouvelle équipe. Ces pays souffrent-ils de cette période de cette période de transition ? Non. Le temps « perdu » est rattrapé, car la nouvelle équipe disposant d’un programme est immédiatement opérationnelle.

Attendre les législatives

Il est d’ailleurs un argument, politique et technique, pour renvoyer la nomination d’un Premier Ministre et d’un gouvernement au lendemain des électons législatives : dans un régime mi-présidentiel mi parlementaire, où l’Assemblée peut voter la défiance, l’équilibre du gouvernement doit tenir compte du résultat des élections législatives. Dans le passé, Alain Juppé, nommé ministre d’Etat et ministre de l’Environnement et de l’Ecologie a dû démissionner au bout de quelques semaines, à la suite de son échec à l’élections législative de Bordeaux. D’autres démissions ont eu lieu dans des conditions similaires. De toute manière, les gouvernements sont « complétés » après les élections législatives.

Les tenants des pratiques actuelles objecteront : que faites-vous de la « dynamique » résultant de la victoire électorale, qui, faute de débouché, va rapidement retomber ? Nul n’empêche le président Macron de prendre des initiatives qui canalisent ce dynamisme avant d’avoir changé son gouvernement.
Par exemple, il a, entre les deux tours, indiqué l’importance nouvelle qu’il comptait donner à la planification écologique » sans en préciser le contenu. Une personnalité, « Monsieur Planification Ecologique » pourrait être chargée d’un premier débroussaillage et d’esquisser les structures gouvernementales permettant une mise en œuvre efficace. Ce ne serait nullement se substituer au futur Premier ministre mais apporter une aide à l’homme le plus surchargé dans nos institutions, qui ne disposera ni du temps ni de l’expertise nécessaire pour opérer des changements substantiels dans les structures gouvernementales.
Une autre initiative, immédiate et opportune, pourrait concerner l’inflation. Depuis le début de la campagne électorale, le paysage économique a changé. A un contexte de relance rapide qu’il fallait accompagner par une politique active d’investissements, d’emploi et de formation, succède une situation proche de la stagflation. On peut difficilement reprocher aux candidats et à l’élu de ne pas avoir prévu les conséquences d’une guerre durable en Ukraine. Un « Sage » ou deux pourraient réexaminer l’ensemble de notre politique économique et sociale et apprécier dans quelle mesure elle est adaptée à une augmentation des prix, à des tensions durables sur les approvisionnements, à une hausse probable des taux d’intérêt et quelles corrections sont nécessaires sur le plan social pour éviter de nouvelles inégalités. L’exercice est délicat, il peut être démobilisateur, dans la mesure où une France qui paie plus cher son énergie et ses matières premières s’appauvrit. Mais n’est-il pas souhaitable de préparer ce que le nouveau Premier ministre devra annoncer au pays ?
On pourrait trouver d’autres exemples, dans le domaine de la démocratie participative, notamment.

Le président prend-il assez de temps ?

Emmanuel Macron semble prendre son temps. Ce pourrait être le premier exemple de cette nouvelle « méthode » qu’il a annoncée, faisant une plus grande place à la concertation. La concertation est certes délicate lorsqu’il s’agit de choisir des hommes et que la confidentialité est nécessaire. Le président ne dispose pas d’un DRH mais il peut consulter quelques personnalités tenues à la discrétion (le Secrétaire général du gouvernement, le vice-président du Conseil d’Etat ou le président du Conseil Constitutionnel). Certaines erreurs- mais pas toutes- commises dans le passé pourraient être évitées, si les enquêtes préalables étaient plus longues et plus approfondies : le ministre caractériel qui lance ses dossiers sur ses collaborateurs, le gaffeur impénitent, le ministre qui fait trop souvent des escapades au bois de Boulogne, le détenteur de comptes à l’étranger. La procédure de nomination consistant à utiliser exclusivement le téléphone ou le mail, sans entretien préalable, pour choisir ministres ou secrétaires d’Etat serait bannie. On ne confondrait plus deux candidats portant le même nom patronymique mais ayant des prénoms différents.

Admettons qu’Emmanuel Macron consacre vraiment une grande part de son temps à la sélection de l’équipe qui l’accompagnera pendant cinq ans et à l’affinement du programme.  Réjouissons-en nous. Cela ne peut dissimiler une carence sur un point important : il aurait fallu qu’il annonce avant même d’être élu le changement de méthode ou tout au moins qu’il informe son actuel Premier ministre, Jean Castex, et obtienne son accord. Une pédagogie était indispensable pour expliquer le nouveau calendrier et qu’il ne soit pas interprété comme de l’indécision ou de la faiblesse.

Il est à craindre que le président n’aille pas jusqu’au bout et n’attende pas les législatives pour finaliser la mise en place de son équipe. Il aura pris un peu de temps mais pas assez…  Il ne se sera pas expliqué. Et pour la prochaine élection, il ne restera aucune trace. Tout sera à refaire. Et les journalistes spécialisés continueront de s’impatienter dès le troisième jour.

Les journalistes politiques aux champs ?

On pourrait leur suggérer soit de prendre leurs congés en mai (les journées sont déjà très longues) soit d’aller dans les régions et les métropoles pour enquêter sur la gouvernance décentralisée et faire des bilans qui pourraient être utiles dans le nouveau quinquennat.

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