Emmanuel Macron a de la chance, il en faut en politique. Mais quid de son programme? De son mouvement? De son futur gouvernement, s'il parvient à l'Elysée. Il doit d'ores et déjà répondre à ces interrogations. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan.
Quand on fait de la politique, il est nécessaire d'avoir de la chance, autrement il faut faire autre chose. Si l'adage de Raymond Aron est exact, Emmanuel Macron se doit de continuer en politique. Quelle accumulation en quelques semaines ! Retrait de François Hollande ; puisque César s'est mué en Cincinnatus, il n'y a plus de Brutus et le reproche de trahison s'estompe. Expulsion de Manuel Vals, le Brutus au petit pied, représentant de la gauche de gouvernement et concurrent direct. Enlisement de François Fillon, le candidat de la droite, qui avait acquis une forte légitimité après son triomphe aux Primaires.
Pourvu que cela dure...
Pourvu que cela dure doit murmurer chaque matin l'outsider en passe de devenir favori, qui peut compter sur des atouts moins fragiles. Le principal est ta capacité à établir un lien direct avec ses concitoyens et à susciter un espoir. L'adhésion en quelques mois de plus de cent mille volontaires et les foules qui se pressent à ses meetings sont des indices significatifs. Beaucoup, qui viennent pour la première fois à une réunion politique, repartent, pour une part conquis et pour la plupart convaincus. Ce sont le plus souvent des jeunes qui ne sentaient pas concernés par la politique et des winners de la mondialisation. N'oublie pas, Emmanuel, les absents, les losers, jeunes ou vieux. Pour être élu par plus de cinquante pour cent des Français, l'adhésion d'une partie d'entre eux est nécessaire.
Autre atout ta maîtrise des sujets alliant le sens du réel et l'aptitude à innover. L'Europe est un bon exemple de cette combinaison du réalisme et de l'ambition. Tu fais applaudir l'Europe dans tes meetings. Qui, en dehors de toi est capable de le faire ? Le peu que tu aies dit à Beyrouth sur le Moyen-Orient sonne juste. Tes propositions sur l'économie, sur l'emploi et les finances publiques intéressent : allègement de charges, « nationalisation » de l'UNEDIC et élargissement de l'aide à tous les actifs à la recherche d'un travail intéressent sans satisfaire vraiment, trop schématiques pour convaincre de leur faisabilité, y compris financière. Là commencent les doutes que tu dois dissiper et certains rapidement.
Pas de programme-catalogue
Premier doute, le programme. Tu as raison d'écarter un catalogue fourre-tout de mesures, dont la plupart ne pourraient être mises en œuvre, en dépit de la pression des innombrables groupes de pression et de la presse. Accord aussi sur la tactique de ne pas tout dire trop tôt pour avoir toujours quelque chose à dire. Mais attendre jusqu'au début mars t'affaiblit. Le technocrate entouré de 400 experts, dit-on, souvent connus pour leur compétence, serait incapable de fixer des priorités politiques claires et mobilisatrices, à moins qu'il préfère l'ambigüité ayant trop peur de décevoir. Les propositions de Jacques Attali méritent la considération.
En amont et autour du programme, il faut une vision de la France dans le futur, que tu puisses proposer et faire partager par nos concitoyens. Pour l'instant, elle est absente. La progression spectaculaire de Hamon dans les sondages n'est pas seulement l'effet mécanique des sondages mais elle résulte de sa capacité à faire rêver sur une autre société, moins obnubilée par la croissance, moins centrée sur le travail salarié, plus égalitaire et plus décontractée. Ne ricane pas trop vite Emmanuel. C'est ce qu'ont fait les apôtres et animateurs socialistes au 19è siècle et une partie de leurs rêves est devenue réalité...un siècle plus tard.
Es-tu capable d'esquisser le tableau d'une France recousue qui aurait trouvé sa place dans le monde du numérique et des nouveaux équilibres entre puissances, s'appuyant sur une Europe, acteur dynamique d'une mondialisation régulée et donnant ses chances à la majorité de nos concitoyens ? Un candidat de droite peut se contenter d'incarner l'ordre, la rigueur dans la gestion et la conservation des acquis. J'avais compris que tu n'étais pas un candidat de droite, même si tu cherches la bénédiction de quelques dirigeants retraités, qui ne te feront pas de cadeau. Cette esquisse, j'avais espéré la trouver dans « Révolution » Il te faut expliquer le monde, inciter les Français à regarder devant et autour d'eux, te situer dans plusieurs horizons, ce quinquennat et le suivant. Tâche complexe à la hauteur de tes talents.
Quelle structure, hors parti?
Deuxième doute : une structure collective visible. Tu ne veux pas de parti politique, qui serait une formule dépassée. D'ailleurs, tu n'as plus le temps d'en créer. Un de tes mentors, Michel Rocard considérait que pour mettre en place un parti avec une culture, des rites et un savoir-faire il faut plusieurs dizaines d'années.
Alors, invente un lieu et des procédures de délibération collective. Le fait que la plupart des adhérents d'En Marche n'aient aucune expérience politique accroit à cout terme tes marges de manœuvre mais est surtout un handicap. Ton entreprise pourrait n'être considérée que comme une aventure au seul service de ton ambition personnelle, ce qui à la fois déplait et fait peur. En 1981, le candidat Mitterrand avait fait placarder une affiche des photos de Mauroy, Deferre, Delors et d'autres (mais pas Rocard) son « équipe » celle avec qui il gouvernerait. Quelle que soit ta précocité, tu ne peux t'en souvenir. Fais- toi montrer l'affiche. Certes ton équipe est embryonnaire et des appuis de poids ne se découvriront qu'en Mars. Cela dit, il doit être possible de démarrer, à condition qu'elle ait une diversité suffisante et qu'elle inclue des femmes, des nouveaux et des jeunes et que des responsabilités précises soient confiées à chacun. Tu as grand besoin de collectif et de transparence.
Quel gouvernement?
Troisième doute : ta capacité à constituer une majorité de gouvernement après les élections législatives. Ce doute sera évidemment le dernier à être levé. Mais rappelle toi, Bayrou a baissé rapidement et substantiellement dans les sondages lorsqu'il n'a pas su répondre de manière convaincante à la question : avec qui allez-vous gouverner ?
Ton appel à candidature pour l'élection législative est un début de réponse mais la sélection des candidats sera délicate. Il te faut une combinaison de nouveaux et de sortants et la proportion adéquate sera difficile à déterminer. Il serait souhaitable que tu puisses l'afficher avant la fin des courses.
Bien sûr, le groupe parlementaire « en marche » sera minoritaire. Feras-tu une alliance entre des partis, même si le mot te choque ? Ou essaieras- tu des majorités tournantes comme le gouvernement Rocard -mais à l'époque la possibilité de recourir au 49.3 s'est rétrécie. L'hypothèse la pire serait que tu te trouves dans une situation de cohabitation dès le départ.
Les réponses n'apparaitront que progressivement. Mais au fur et à mesure que tu te consolideras dans une position de favori, les questions se multiplieront et deviendront plus pressantes. Il faut t'y préparer. En attendant, c'est de ton programme et de ta vision de la France dont il faut parler.
Article également paru sur latribune.fr
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