Donner du sens à la finance

Les lecteurs de Vigilances ont reçu en primeur le rapport du groupe de travail piloté par Jean-Claude Leconte. Leurs commentaires sont d’autant plus attendus que ce « Manifeste d’investisseurs responsables[1] » ne doit pas seulement être l’aboutissement d’une réflexion : il faut maintenant s’efforcer de changer les pratiques.

Une phrase qui figure dans le rapport et une autre, qui a été énoncée lors d’une discussion préalable, m’ont particulièrement frappées. La première est existentielle (« il est nécessaire de donner une perspective de long terme à nos raisonnements économiques. C’est une question de survie et non de morale »). La seconde est pratique (« Pour avoir de bons résultats cette année, un fonds de pension peut ne pas penser au CO² mais, s’il raisonnait à 20 ans, il devrait y penser !).

La juxtaposition de ces deux phrases montre à quel point le mal est devenu profond. Les personnalités qui ont rédigé le manifeste, exercent des responsabilités importantes dans des sociétés de gestion d’actifs et d’investisseurs institutionnels français qui, ensemble, gèrent environ la moitié de l’épargne de leurs concitoyens. Que de tels professionnels soient insatisfaits en dit long sur l’état de la finance et de la société. Qu’ils jugent utile de se réunir pour préciser les conditions nécessaires à un changement de trajectoire, est, en soi, un signal fort.

Selon leur manifeste, les praticiens de la gestion ont à assumer une double responsabilité. D’une part, ils doivent, tout en restant à leur place, aider les théoriciens de l’économie et les responsables politiques à mesurer les conséquences de leurs raisonnements et de leurs décisions sur la formation et l’usage de l’épargne. Ils doivent, d’autre part, tenter d’améliorer l’exercice de leur propre métier.

Sur ce qui ne dépend pas d’eux, les auteurs ne se contentent pas d’énumérer des têtes de chapitre (« sortir de la pensée économique dominante ; repenser la régulation, les normes et la réglementation ; introduire le long terme dans la fiscalité ; mieux encadrer le fonctionnement des marchés financiers, etc. »). Ils précisent les effets directs ou induits que peuvent avoir, sur les ordres qu’ils donnent ou s’abstiennent de donner, certaines normes comptables (IFRS, etc.) et certains instruments qui ont souvent pour effet d’accroître l’opacité des marchés (« flash trading », « prêt de titres », etc.).

Pour améliorer leur propre comportement, ils avancent sept préconisations et proposent notamment de négocier, le plus souvent possible, les relations entre investisseurs et gestionnaires.  « Les critères d’appréciation de la performance, disent-ils, se réfèrent souvent à des indices pondérés par les capitalisations boursières. Cela favorise les comportements « moutonniers » et encourage le « momentum ... une réflexion commune devrait aboutir à rendre les benchmarks cohérents avec les passifs et mieux prendre en compte les différents facteurs de risque ».

Et, pour bien marquer que, de leur point de vue, l’intérêt général prime les intérêts personnels, ils ajoutent : « Il serait souhaitable que les mandats de gestion prévoient un taux de rotation cible et que les commissions de mouvement, quand elles existent, ne s’appliquent plus au-delà de ce niveau ».

Est-ce sur ce point, apparemment de détail, que, pour commencer, il faudrait faire campagne ? Quelles sont, selon vous, les priorités ? Quelles démarches devraient être entreprises ? Qui pourrait faire quoi ? Vos avis seront précieux.

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Commentaires

Comme certainement beaucoup de lecteurs de "Vigilances", j'ai lu attentivement le "manifeste d'investisseurs responsables". Mon intention immédiate était d'y apporter mes commentaires et mes idées personnelles. Et pourtant, je ne l'ai pas fait.
Aujourd'hui, avec la "relance" de Marc Ullmann, j'hésite toujours. Pourquoi ? C'est cette hésitation qui a mon avis mérite le plus d'être commentée.
Le manifeste atteste sans aucun doute de la volonté des rédacteurs de sortir de l'ornière actuelle le monde de la finance. On ne peut que saluer cette initiative courageuse. Mais l'anonymat des rédacteurs crée un malaise. D'autre part le manifeste utilise des notions très techniques et n'invite pas les "non financiers" à entrer dans le débat. Ils redoutent que dans ce débat ils soient trop facilement"écrasés" par les experts. D'où leur réserve.

Pourtant l'analyse de ces experts est riche, et il est clair qu'on ne pourra pas réformer le système sans leur contribution.
Alors comment faire ? Je propose que soit créé un groupe de travail mixte formé d'experts issus du monde de la finance (à priori des membres du groupe animé par JC Leconte), et de non experts issus du monde extérieur à la finance: industrie, politique (des élus), journalistes, et épargnants. Ce groupe devait se "coopter", car il ne serait pas bon que l'un des membres de ce groupe sente qu'un autre membre a envie de "régler des comptes". Il faudrait aussi que les membres du groupe prennent l'engagement moral de ne rien divulguer à l'extérieur sans l'accord du groupe de travail. L'animateur du groupe devrait être non financier, et rompu au métier d'animateur de groupe de travail: ça n'est pas la tâche la plus facile et elle demande un vrai professionnalisme en plus d'une grande motivation.

Je suis candidat pour entrer dans ce groupe en qualité d'"industriel".
Ce serait dommage que le "manifeste d'investisseurs responsables" s'arrête là...

bien cordialement
Philippe Tixier

Je veux bien entrer dans ce groupe de travail avec plaisir en tant que personne lambda membre depuis deux ans, car je suis celui qui a un regard hors milieu professionnel convenu. Le manifeste est compréhensible, pas à tous les citoyens certes, mais des mots simples peuvent expliquer tout, seulement il faut sortir de la sémantique professionnel de chaque milieu que vous côtoyez, cordialement.

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