Des blocages et des tests

Chère Tania,

L'élection présidentielle n'a apporté aucune surprise. En l'absence de projet politique venu de la Droite ou de la Gauche, une dynamique « sortez les sortants » s'est instaurée, attirant les trois quarts des votants au premier tour et imposant le succès facile du challenger au second. Rien n'est donc changé hormis les personnalités des dirigeants. La situation reste ce qu’elle était.

La France possède des atouts

- Elle est un Etat de droit. Les citoyens payent leurs impôts (sauf les très riches) ; les tribunaux rendent à peu près la justice ; la police y est à peu près maintenue dans ses devoirs ; les femmes jouissent d'une complète égalité civile.

- Le système de santé a été classé par l'OMS comme le premier du monde et reste encore un des meilleurs. La couverture médicale y est totale, l'espérance de vie une des plus élevée (85 ans pour les femmes, 79 ans pour les hommes). La natalité suffit presque au renouvellement des générations.

- La terre est assez fertile et le climat assez tempéré pour que la production agricole soit fortement excédentaire.

- Les conglomérats à direction française dans les transports aériens, l'atome, le spatial sont les premiers du monde.

- L'infrastructure (trains, routes, eau télécommunications) sont bien adaptés aux besoins.

- L'éducation de masse telle que pratiquée conduit à une cohésion nationale qui interdit l'apparition de grands problèmes d'identité.

La France montre des faiblesses qui vont s'aggravant

- Elle est mal gérée : alors que la charge fiscale est presque la plus lourde du monde, le budget de l'État présente un large déficit structurel depuis 1975. D’où une croissance de la dette publique qui amènera une crise ingérable à brève échéance.

- La balance des paiements est très déficitaire et ce déséquilibre tend à croître.

- La France n'a ni politique étrangère, ni politique européenne qu'elle remplace par une succession de postures.

- La France n'a pas de politique de défense. La Loi programme n'est jamais appliquée. L'affaire de Libye, assimilable à un caprice, a mis à nu le bas niveau des capacités lorsqu'il a fallu demander des munitions aux États-Unis (et bien d'autres aides).

- La France ne pratique pas le dialogue social apaisé. Le taux de syndicalisation est très bas (environ 8 %). Le corporatisme règne dans la fonction publique.

- La France ne sait comment s’y prendre avec ses Musulmans.

Bref, la France est non seulement mal gérée, mais simplement pas gouvernée. En dépit de fondamentaux favorables, tout ce qui touche au fonctionnement du pays vit dans le déni de la modernité. Ce défaut du citoyen se traduit dans les mœurs de la classe politique. Au cumul des mandats et à l'archaïsme idéologique s’ajoute la corruption portée à une échelle encore jamais vue, formant un système complet de « fromages », d’immunités et de malversations.

Que pourra faire le nouveau président ?

François Hollande ne pourra pas couper dans les dépenses inutiles aussi vite que nécessaire. Comme il faut du temps pour fonder la croissance sur une offre modernisée, on peut craindre que les promesses électorales se traduisent, au départ, par des dépenses nouvelles. Les investisseurs se méfient. La dette souveraine peut être rapidement chahutée.

De même, certaines réformes, qui seraient utiles à l’éducation (sélection à l’entrée de l’université, modulation de la gratuité, approfondissement des autonomies) sont trop contraires aux dogmes socialistes pour pouvoir être accomplies. Des progrès, en revanche, peuvent être espérés dans l’école primaire et la formation professionnelle.

Le principal atout dont dispose le nouveau président tient à sa personne. D’une part, il ne semble pas traîner la moindre « casserole ». D’autre part, il a eu l’intelligence de mettre une boussole entre les mains des citoyens. Ainsi, selon ses propres termes, ses réformes devront être jugées en fonction de seulement deux critères : elles devront être justes et servir la jeunesse. Ce qui me donne envie de poser deux questions.

François Hollande aura-t-il le courage de supprimer rapidement le cumul des mandats au risque de mécontenter beaucoup de ses amis ? A mon avis, ce sera un vrai test de sa capacité à agir car une telle suppression i) serait juste et ; ii) ferait de la place aux jeunes.

Autre test : aura-t-il le courage d’adopter une position de combat pour le droit des femmes dans les pays où ces droits sont bafoués ? C’est un domaine où l’injustice est flagrante et où les jeunes sont spécialement brimées.

Jacques Blamont

Conseiller du président du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales).

Membre de l’Académie des Sciences

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