Ukraine, réflexions et questions à chaud - VII

On se rapproche de l’utilisation de l’arme nucléaire dont la doctrine russe admet l’emploi sur le champ de bataille.

En bon tacticien Poutine voudra attendre la fin de l’élection présidentielle française pour ne pas donner au président sortant un avantage décisif. Nul doute qu’une telle transgression  provoquerait en France un réflexe légitimiste considérable réduisant à presque rien le score de Marine Le Pen, candidate qui même battue sera toujours utile. Et puis, pour Poutine, un pays polarisé et divisé politiquement vaut mieux, c’est un pays affaibli.

L’armée russe est incapable de dépasser sa tactique d’écrasement par la puissance de feu. Elle a un besoin désespéré de victoires. Sur certains théâtres, quotidiennement, elle déverse sur les positions ukrainiennes l’équivalent de 2 kilo tonnes d’explosifs, sans faire la différence. C’est dix fois les plus petites armes nucléaire tactiques. Militairement, le commandement russe doit y penser très fort. Sans compter qu’au rythme où l’on va, ces munitions risquent de devenir les seules disponibles (on estime le stock russe à 20000)…  

Les dirigeants russes pourraient aussi espérer de cette frappe un rétablissement de l’équilibre stratégique, à la fois militaire, géopolitique et symbolique, perdu au profit de l’Ukraine. Au passage, ils répondraient à l’humiliation de la perte du Moskva et de l’armée en général promise à sortir durablement déclassée de ce conflit.

Une récente note du Kremlin adressée aux autorités américaines avertit de conséquences imprévisibles si l’Occident persiste à fournir des armes. Il ne faut pas la prendre à la légère. Une traduction en langage non-diplomatique signifie en gros ceci : si la Russie est privée de sa victoire (sous-entendu par le soutien occidental aux forces ukrainiennes) elle montera aux extrêmes.

Notre rationalité, complétée par la morale et l’éthique, nous pousse à ne pas croire à une telle extrémité. Pourtant, il y a de quoi s’inquiéter si l’on suit les spécialistes universitaires du Poutinisme[1]. Le rapport de force seul charpente l’esprit de Poutine et du pouvoir vertical qu’il a construit, y compris une partie de l’armée. Il est convaincu que l’Occident est une civilisation faillite qui ne peut plus assumer les sacrifices nécessaires pour dépasser ses échecs et s’opposer au nouvel ordre qui supplantera la mondialisation libérale et son rules based order d’inspiration anglo-saxonne. La Weltanschauung du maitre du Kremlin est très construite. L’impérialisme et la nouvelle doctrine de l’eurasisme comportent des aspects territoriaux et économiques mais aussi politiques et civilisationnels. Cette vision de monde est renforcée par une indifférence, voire une attraction, face à l’isolement et aux dévastations des sanctions dont l’aspect rédempteur sur la population n’est jamais évacué. Elle trouve une ultime justification dans la certitude que la tragédie sera favorable au peuple russe, lui dont l’identité est forgée de sa résistance aux pires malheurs de l’histoire. Cette cohérence profonde encourage la détermination et la flexibilité sans tabou dans l’action.

Ce sombre tableau nous rappelle qu’il faut vaincre Poutine maintenant. Il est l’agresseur et le massacreur des civils ukrainiens. Amputer, détruire ou humilier la nation ukrainienne sont des objectifs que nous ne pouvons laisser atteindre sans mettre notre propre futur en danger. Laisser le conflit se geler, avec ou sans frappe nucléaire et quel que soit l’ampleur des « gains » obtenus permettra à Poutine de propagander sa victoire et de se renforcer.

A contrario, toute action ultérieure inversera la perception du rapport agresseur/agressé déjà peu favorable à l’Ukraine à l’échelle mondiale. Si elle veut demain reprendre les territoires perdus ou améliorer sa sécurité elle devra subir ou affronter une réalité autrement défavorable : des ennemis enhardis par la perspective d’une nouvelle guerre de conquête territoriale et symbolique, des pays neutres définitivement tournés vers leurs intérêts et des démocraties toujours mal à l’aise quand la situation n’est pas « blanc/noir » et que l’effort de conviction des citoyens/ électeurs parait hors de portée.

 


[1] On s’appuie ici sur Comprendre le poutinisme, Françoise Thom, Desclée de Brouwer, 2018

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