Syrie: la vraie leçon de Poutine aux Occidentaux

Il y a quelques jours Poutine a créé la surprise en annonçant le retrait du corps expéditionnaire russe en Syrie laissant les commentateurs perplexes et divisés. Les sceptiques ont vu une manœuvre pour déstabiliser davantage tandis que les admirateurs louaient la beauté du jeu russe. Depuis la Russie mène le bal diplomatique à Genève et ce weekend elle a pris part à la libération très médiatique de Palmyre. Doit-on se montrer sceptique ou enthousiaste face cette séquence syrienne de Moscou?

Ceux qui ont interprété l’intervention en Syrie comme un désir d’affronter l’Occident dans un épisode type « guerre froide » ont manqué d’observer que Moscou avait énoncé un but de guerre précis: que Assad et les Alaouites ne perdent pas la guerre. C’était la garantie de garder les installations militaires —que l’expédition a permis de renforcer — et une condition pour éviter qu’un effondrement du régime ne provoque une situation encore plus chaotique comme récemment en Lybie. Poutine n’a pas dit qu’Assad devait gagner la guerre, seulement ne pas la perdre. Cette attitude indique une vision lucide du rapport de force sur le terrain et la reconnaissance que le règlement se fera avec l’ensemble des parties responsables (hors EI et autres Djihadistes) tout en gardant l’allié syrien dans un état de dépendance. Par voie de conséquence, le sauvetage d’Assad signifie que l’option « changement de régime » des Occidentaux a échoué et Poutine peut maintenant pointer la faiblesse de ceux qui ne se sont pas donné les moyens de leur politique. A commencer par Obama dont la décision de l’été 2013 de ne pas réprimer l’utilisation d’armes chimiques par Damas a ruiné la crédibilité. La leçon ultime de Poutine à Obama semble donc être celle-ci : des résultats limités sont acceptables. C’est ce qu’on appelle dans la typologie des relations internationales le réalisme. Dans la pensée stratégique américaine le registre moral est souvent dominant, ce fut le cas récemment avec les néo conservateurs. Une politique moraliste conduit à des buts de guerre vagues (la guerre contre le mal ou contre la terreur) et, conséquence directe, à l’enlisement. En creux, l’intervention courte et le retrait rapide, une fois le but atteint, soulignent 15 années, peu fructueuses, des Etats-Unis en Afghanistan et en Irak. Avec Obama, les Etats-Unis ne sont pas dans une phase moraliste mais le contraste est frappant. Les Etats-Unis n’ont pas, aujourd’hui, d’autre stratégie que l’utilisation des drones et l’élimination des chefs djihadistes. Au-delà de la, remarquable, efficacité tactique il y a un vide de pensée et de volonté stratégique que Poutine ne fait que souligner. La complexité de l’explication du comportement russe se trouve dans la contradiction des intentions. Poutine veut de la stabilité et de l’agressivité. Il stabilise en Syrie mais continue d’avoir un agenda profondément hostile à l’Occident qu’il cherche à affaiblir par un travail de sape psychologique et des attaques limitées type Ukraine. L’axe fondamental de sa politique est la révision de l’ordre international issu de l’effondrement de 1991 : le leadership américain est réfuté et la Russie doit s’imposer comme un pôle de puissance, y compris par l’usage de la force. Nous pouvons à la fois reconnaître l’apport des Russes en Syrie et rester lucides sur leurs intentions à long terme.    

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