Robots, la bourse ou la vie ?

Il est communément admis qu’ « à long terme seules les actions » permettent de faire fructifier son capital, à tout le moins de le préserver, selon que l’on est optimiste ou … versé en histoire économique. De plus cela se produirait « sans risque » car « à long terme le risque disparaîtrait ».

Il est également communément plus ou moins admis que l’on serait fondé à payer un gérant professionnel qui grâce à sa capacité à sélectionner les titres vous permettrait de sur performer l’indice des actions, à long mais aussi moyen terme.

Pourtant, fin août 2011 que faut-il constater par exemple sur notre bon vieux Cac 40 ?

Qu’avec les dividendes nets réinvestis l’indice a réalisé une performance au terme de 5 ans de – 25,5 % et de -7,9 % au terme de 10 ans. Pour vous prémunir de l’inflation seulement il fallait réaliser respectivement au moins + 8 et + 19%... !

Même sur très long terme, les études démontrent que si les actions sur performent inflation ou obligations, il faut pour cela disposer d’un horizon très nettement supérieur à la durée de vie traditionnelle d’un portefeuille même institutionnel : trente ans minimum pour les USA davantage pour l’Europe. Encore cette performance est-elle générée davantage par les dividendes que par la progression de la valeur actionnariale de l’entreprise, et à la dimension « politique » qui frappe parfois durement les placements de taux (guerre, spoliation d’état, hyperinflation, démonétisation etc.), alors que la composition des indices actions est systématiquement ajustée de ces « accidents » (biais du survivant).

Notons au passage qu’en Europe nous connaissons des périodes de rentabilité cumulée négative des actions sur des périodes de 50 voire 70 années !! (Cf. Rapport du Conseil d’Analyse Economique 2009, Garnier Thesmar pp. 34 sq.).

Faut-il alors s’étonner que les institutionnels aient à peine plus de 12% de leurs actifs en actions, et que les 5% des Français les plus riches possèdent 80% des actions cotées ou non, détenues en direct ou via OPCVM, assurances etc. ?

Si l’action n’est plus un véritable instrument de financement de l’économie (l’émission d‘actions nette lève moins de 0 % en moyenne du PIB français sur la décennie…), elle demeure également un instrument marginal de gestion de son épargne, mais permet à des milliers de gens dans le monde de vivre (confortablement) de ces croyances, prélevant des sommes considérables sous forme d’une rente qui parfois va dépasser le surplus (hypothétique) de performance « active » espéré au-delà de l’indice, tandis qu’ils ne facturent pas les coûts réels sur les produits de taux qui représentent plus de 80% de leurs encours généralement.

Les porteurs de titres sont donc priés de « rester investis » pour satisfaire cet apostolat, de croire que cette accumulation de performances négatives serait le signal d’un retournement proche. Le mythe des « marchés d’actions » doit rester « nourricier », comme les Fonds à l’appellation bien cynique.

Pourtant, au-delà de l’évidente impossibilité pour l’analyste de découvrir le graal de la véritable valeur future dans des comptes opaques voire manipulés (d’ENRON ou PARMALAT à la Grèce et son poids réel dans les livres des banques), il paraît fort probable que le « gérant fondamental » dénichant le « bon titre », la « valeur de père de famille » que vous recherchez pour financer votre retraite ou votre succession, ce gérant-là n’est plus qu’un pourvoyeur … de robots particulièrement avides, au service d’une poignée de géants dont parfois vous ignorez tant le nom que l’existence, souvent les méthodes.

En effet sur ces périodes de sous performances systématiques qui détruisent les avoirs des épargnants, certaines maisons engrangent chaque mois, chaque année des profits colossaux. Peu importent les fondamentaux des titres, des marchés, le sens des mouvements : seul compte l’amplitude, la vitesse et la fréquence du mouvement relativement aux mouvements des « gérants fondamentaux et épargnants ».

Ces maisons sont une poignée au niveau mondial, elles constituent des prédateurs redoutables pour les gérants professionnels de vos avoirs, qui s’avèrent bien dépassés face à leurs moyens technologiques et financiers.

Qui figure parmi ce quarteron gagnant ? Citons Goldman Sachs ou Morgan certes mais encore Getco, Rentec ou Citadel. Derrière des fournisseurs informatiques géniaux, souvent des start up.

Car nous sommes ici dans l’algorythmique, et plus dans la gestion même « quantitative ». Quant à la « rumeur » récemment encore dénoncée, elle constitue un soupçon bien ingénu et vieillot …

D’ailleurs ces nouvelles pratiques ne se prévalent plus du terme désuet de « gestion », on parle de programmation d’achats/ventes à très haute fréquence (HFTP). Ceci en lien avec les « nouvelles places de marchés » privées et de plus en plus opaques au point de revendiquer l’appellation effrayante pour l’épargnant de dark pools.

Désormais les marchés officiels (NYSE, NASDAQ) ne représentent plus que 20% des transactions aux USA, et ces sociétés s’abattent sur les marchés européens pour assurer leur croissance ; près de 40% des transactions sur « nos » marchés s’effectuent déjà via cette machinerie à tuer « l’analyse fondamentale et humaine », à déconnecter les cours des titres et indices de toute réalité, de toute analyse, de toute vision de long terme.

Nous sommes dans de la pure informatique qui mêle capacités de traitements massifs et fulgurants à des passe-droits qui conduisent ces maisons, sous prétexte d’assurer une liquidité parfaite, à détecter et influencer les cours et tendances en « amont de la vague ». Jamais à manipuler les cours, cela s’appellerait du front running, ce n’est point envisageable à ce niveau de taille, d’influence, de succès.

Cela dit l’affaire Serge Aleynikov, ce programmeur arrêté en juillet 2009 par le FBI puis condamné à huit années de prison et trois de mise à l’épreuve, sur plainte de son employeur Goldman Sachs, a été révélatrice de crainte de manipulations massives de marchés.

Car Goldman Sachs a prétendu que les programmes connus de cet employé passant « chez un autre employeur » pourraient permettre de « manipuler les marchés » en détectant les donneurs d’ordres même cachés dans les dark pools, en distinguant les prix d’offres et demande derrière les carnets d’ordres des maisons traditionnelles (notamment avec des ordres flash massifs annulés dans la nanoseconde et qui permettent de mesurer ce que les automates des gérants traditionnels contiennent…), en empêchant les autres opérateurs de placer leurs ordres du fait de la vitesse et du volume de ces opérateurs totalement robotisés etc.

Que vous soyez « professionnel » ou amateur si vous prétendez rester « acteur » sur les marchés d’actions, vous devez vous accoutumer aux concepts de flash orders, dark pools, flash cracks, front running, quote stuffing. Et vous accoutumer à être confrontés à des capitaux « very hot money » qui compensent leur hyper court-termisme (des positions sur quelques secondes voire fractions de secondes parfois) par un levier colossal. Plus besoins de capitaux à gérer, il suffit de lignes de crédit et in fine seulement des capitaux réels pour payer les gains : ceux-ci sont apportés par les carnets des gérants d’actifs traditionnels et els écarts de cours qui leur sont défavorables…

Il est notable que l’AMF se soit saisie de la question. Il est étonnant que l’industrie de la gestion continue son bonhomme de chemin sur une voie peu sécurisante pour les avoirs de ses clients sans se poser de questions sur ces bouleversements.

Soyez en tous cas assurés que les volatilités autrefois réservées aux marchés émergents en devises exotiques que vous percevez depuis quelques mois sur vos portefeuilles resteront votre quotidien.

De pères de famille vous avez le privilège de devenir figurants d’un jeu vidéo du type « Terminator 3 le soulèvement des machines ». Cette adrénaline vaut bien de payer plus de 2% l’an en frais et courtages divers.

Bonne chance et si quelqu’un vous demande « mais pourquoi perdons-nous de l’argent chaque année ?» vous savez désormais quoi répondre : « tu ne peux pas comprendre ».

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