L’enfant grec

« Je veux, dit l’enfant grec, de la poudre et des balles ». Que veut-il aujourd’hui ? Victor Hugo est mort, l’armée turque ne menace pas Salonique ; l’ennemi est multiforme, anonyme, « systémique ».

L’enfant grec ne peut s’en prendre au Monsieur ou à la Dame pour qui un banquier a acheté des « produits alternatifs ». Cet « investisseur » ne sait même pas que, dans le lot, certains « CDS », au lieu d’assurer des transactions réelles, parient sur la faillite d’un Etat. Le gestionnaire n’est pas non plus une bonne cible. Il est payé pour faire gagner de l’argent à l’entreprise qui l’emploie et, si possible, à ses clients. Bref, il ne fait que son métier.

L’enfant grec oscille aujourd’hui entre abattement et révolte. En ce printemps 2010, il fait l’actualité mais, dans la plupart des pays d’Occident, nombre de « petits blancs » subissent le contrecoup d’évènements qui les dépassent. Les uns après les autres, ils peuvent se révolter contre leurs trop malignes « élites » et faire le lit de dictateurs nationaux et fascisants. Comment en est-on arrivé là et comment sortir de l’impasse ?

D’abord, il y a eu l’ubris puis la cupidité.

Lors de l’éruption du volcan Eyjafjöll, Jean d’Ormesson a rappelé, dans un très bel article, que « les Grecs anciens appelaient « ubris », l’orgueil qui envahit les Hommes ivres de leur génie et de leur puissance ». Ces orgueilleux se croyaient déjà capables d’asservir la Nature et rien ne devait leur résister. Depuis la Grèce antique, les avancées de la science ont amplifié le phénomène. L’atome a été brisé, l’ADN a été décrypté. Reste-t-il des tabous ?

La finance n’a pas été la dernière à succomber à l’ubris. Son inventivité a été sans limite et sa cupidité a dépassé les bornes. Voilà près de vingt ans que Félix Rohatyn, grand banquier américain de l’ancienne génération, a prévenu que le « greed » aurait des conséquences néfastes. De fait, les scandales se sont succédés avant que le comble ait été atteint dans l’affaire des « subprimes ». On a mélangé des créances douteuses et on les a titrisées. On s’est arrangé pour que les agences de notation servent de couverture. Celles-ci sont devenues complices au point qu’en 2007, avant que la bulle ait éclaté, cinq mille « véhicules financiers » étaient notés « AAA » aux Etats-Unis contre seulement cinq « vraies » entreprises. Sur ces « véhicules », plus de 90 % ont fait faillite.

Venus au secours des banques pour tenter de protéger les déposants et l’accès au crédit, les gouvernements ont repris, refinancé ou garanti les dettes privées via la sphère publique. Pour ce faire, ils se sont endettés et se trouvent aujourd’hui en compétition pour se refinancer simultanément sur les marchés. Les plus faibles et/ou les moins précautionneux sont les premiers menacés mais le sort de la Grèce pend, plus ou moins, au nez de tous les pays d’Occident.

Et maintenant ?

Les Etats, lorsqu’ils n’ont plus d’argent, peuvent devenir méchants. Philippe le Bel a brûlé les Templiers et des spoliations ont eu lieu dans tous les pays tout au long de l’Histoire. Si l’on exclut la brutalité – et ce ne sera pas forcément le cas ! -, deux options sont à craindre : l’inflation (qui est la mort des rentiers) ; et la récession (qui est la conséquence de tours de vis compétitifs).

Nous en sommes, pour l’instant, à l’heure des palliatifs.

La zone euro s’est provisoirement tirée d’affaire en mobilisant des centaines de milliards pour calmer les craintes immédiates des milieux financiers. A terme, sa fiabilité est loin d’être assurée. Les pays voisins, déjà fragiles, souffriraient de son effondrement. Les Etats-Unis ne seraient pas à l’abri. De même que l’Europe n’a pas été « découplée » pendant la crise des « subprimes », ils seraient contaminés par une crise amorcée sur le vieux continent.

Dans le monde d’aujourd’hui, les Etats-Unis et l’Europe ne sont pas de fringants coursiers en compétition, ce sont deux canassons qui traînent, alourdis par leurs dettes. Le pire, pour ces handicapés, est que le salut ne viendra pas de Chine. L’Europe et les Etats-Unis, malgré leur déclin relatif, représentent à eux deux plus de 50 % du PIB mondial. L’Empire du Milieu a beau grandir à toute allure, il ne pèse encore que moins de 10 %. Son marché intérieur ne servira pas de locomotive au monde entier.

La zone euro pour commencer, tout l’Occident ensuite seront donc contraints de faire équipe. Aucun pays ne s’en sortira tout seul et les « Policy mix » (économiques, budgétaires et fiscaux) devront être établis de concert pour que les excès sont bannis.

Rien ne prouve, cependant, que cette condition nécessaire se révèlera suffisante. On peut même en douter.

Une crise, née de l’ubris et de la cupidité, ne se solutionnera pas seulement par des moyens techniques. Un sursaut moral s’avèrera nécessaire. La recherche du bonheur devra prendre la forme de recherche du « bien » plutôt que recherche du « plus ». Et mieux vaudrait que ce changement de paradigme survienne avant une catastrophe plutôt qu’après.

Peut-être est-ce un rêve mais pourquoi ne pas rêver : la Grèce pourrait servir de tremplin. Au lieu de se satisfaire d’une mini chasse aux fraudeurs, elle pourrait lancer des « olympiades de générosité ». Rien ne dit, par exemple, que des obligations à taux zéro ne seraient pas souscrites si les bienfaiteurs étaient glorifiés.

A partir de là, tout deviendrait possible. Des compétitions pour le « bien » pourraient changer les mœurs. Artisans du bonheur par ci, champions de la croissance verte par là, le monde ne manque pas d’Hommes de bonne volonté. Il ne manque pas non plus de périls pressants. Partout, la colère gronde. Partout, les frustrations peuvent engendrer des dictatures. Un combat s’engagera. Pour le « mieux ». Contre le « pire ». Il ne faut pas que l’enfant grec devienne un adulte furieux.

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