Indépendance de la Nouvelle-Calédonie ?

Le référendum néo-calédonien, qui s’est conclu par un non à l’Indépendance, à moins de 60% des votants, donne une actualité nouvelle à un débat apparu au moment de la guerre d’Algérie. La seule forme de décolonisation possible est -elle l’indépendance ?

En 1956, une partie de la gauche - approximativement la majorité de la SFIO - soutenait que la décolonisation c’était la liberté et l’égalité accordée à tous, le respect des droits de l’homme et le développement économique. L’Etat indépendant, pas nécessairement respectueux des libertés et des droits des minorités, pouvait être escamoté ou au moins retardé en attendant un mûrissement des esprits. C’était évidemment une manière de s’opposer au FLN, aux prétentions jugées totalitaires, et de protéger la population française. Cela explique que, pour les nationalistes algériens, le pire ennemi était cette gauche réformiste dont les thèses pouvaient séduire une partie de la population algérienne, plus que la droite attachée à un statu-quo irréaliste et donc plus facile à combattre.
A terme, le rapport de forces était inégal. Avant d’avoir gagné la bataille politique, les nationalistes avaient remporté la bataille du nombre ; l’explosion du nombre des Algériens ôtait toute crédibilité à l’idées d’un développement économique et social rapprochant substantiellement l’Algérie de la France. Mais, en 1956, la démographie faisait partie des questions dont on ne discutait pas

La thèse consistant à retarder l’indépendance pour la préparer et créer les conditions de son succès était moins irréaliste, pourvu que des conditions strictes soient réunies. Il fallait des partenaires représentatifs susceptibles de s’engager et confiants dans un Etat colonial qui traditionnellement renie ses engagements. Il fallait avoir la capacité de résister aux pressions internationales et à un tiers-monde majoritaire à l’ONU. L’année 1954, c’était l’année de Bandoeng. Mais qui dans les partis de gouvernement accordait de l’importance à Bandoeng ?
Le retardement fut un leurre. L’autonomie interne imposée par Pierre Mendès-France pour régler le problème tunisien ne dura que deux ans. Et la communauté proclamée par le Général de Gaulle en 1958 avait disparu deux ans plus tard.

Ces thèses, elles, n’ont pas disparu. Elles ont inspiré le compromis néo-calédonien de 1988. Jean-Marie Tjibaou était prêt à négocier une interdépendance avec la France. Il était convaincu que les interdépendances étaient le lot commun… ajoutant que le seul humain complètement indépendant avait été Robinson Crusoé, et encore, avant l’arrivée de Vendredi… Mais une négociation avec la France ne pouvait être menée que par une Nouvelle-Calédonie indépendante. Seule l’indépendance pouvait laver l’humiliation de la colonisation, redonner leur dignité aux Kanak et l’autorité nécessaire à ses dirigeants pour engager durablement le territoire.

Le grand talent de Christian Blanc et de la mission du dialogue est d’avoir convaincu le leader kanak que l’indépendance ne saurait être un préalable. Il sut le faire parler d’un avenir à long terme, d’un territoire apaisé et ouvert sur le monde, scolarisé et respectueux des cultures, développant une économie fondée sur le nickel et le tourisme et lui a proposé une autre voie. Les « accords Matignon », partiellement corédigés par les deux parties en présence, détaillaient les moyens de réduire les inégalités, de donner un pouvoir réel aux deux communautés et d’accélérer le progrès économique.

Certes, une ambiguïté fondamentale subsistait. Pour Jean-Marie Tjibaou, il s’agissait de préparer l’indépendance qui demeurait l’objectif. Pour Christian Blanc, une application loyale des accords aurait pour effet qu’une partie des Kanak se désintéresserait de la question de l’indépendance, se consacrant en priorité au développement, qu’il soit individuel ou collectif. Michel Rocard exprimait une position plus nuancée. Certes il espérait que l’indépendance deviendrait progressivement une notion dépassée tout en reconnaissant la légitimité de l’exigence kanak.

Après  1968, il a semblé qu’un dépassement était possible et que les conceptions évoluaient. Un certain nombre d’aspirations kanak étaient satifaites, même si les progrès réalisés n’étaient pas suffisants (contrariés par la crise du nickel) : institutions nouvelles, large autonomie, scolarisation et culture, diversification économique.
Les résultats du référendum montrent que rien n’a changé, ni chez les Européens ni chez les autochtones. Les Kanak, dans leur très grande majorité, ont dit oui à l’indépendances. La revendication identitaire et ses symboles, le drapeau kanak, reste au cœur du problème calédonien, au grand malheur des Caldoches.

L’évolution à venir est difficile à dessiner. Certains pensaient qu’après un non massif les deux référendums prévus pourraient ne pas avoir lieu. Il n’en sera rien. De nouveau, s’ouvre une période d’incertitude. Le calme existant sur le territoire sera-t-il compromis ? Les deux communautés auraient à y perdre, mais elles sont divisées. Jean-Marie Tjibaou n’a pas été remplacé et les disputes entre partis européens sont permanentes. Des actions extrémistes sont possibles. Les pressions internationales sont contradictoires ; à l’ONU, la Nouvelle-Calédonie est pour beaucoup un territoire dépendant, qui doit accéder à la pleine souveraineté. En revanche, les Etats « blancs » du Pacifique, type Australie, considèrent qu’une présence française légère est un élément de stabilisation de la région.

Les Kanak peuvent-ils gagner la bataille du nombre, étant rappelé qu’il existe une communauté mélanésienne non négligeable ? De toute manière, les évolutions démographiques sont sans effet directs sur les élections puisque le corps électoral a été figé. Mais peut-on indéfiniment creuser l’écart entre corps électoral et population réelle ? Ce sera sûrement un des principaux débats politiques des prochaines années.

Et l’opinion en métropole ? Le désintérêt domine (rappelons la très faible participation au référendum organisé par Michel Rocard, pour rassurer Jean-Marie Tjibaou). Les Français ne sont pas prêts à affronter un dernier conflit colonial et ne seraient guère émus par une perte d’influence de la France aux antipodes. Restent les lobbys et surtout les intérêts de nos compatriotes qui ne peuvent laisser indifférent aucun gouvernement.

Comment trouver le chemin d’un nouveau compromis et donner une nouvelle fois du temps au temps ? Quelques mesures symboliques, comme l’usage du drapeau kanak, pourraient être opportunes. Facteur positif, il n’y a aucun Pons à l’horizon et le Premier Ministre a montré pour l’instant une capacité à écouter toutes les parties et à chercher la conciliation.

La démonstration que l’on peut décoloniser sans passer par l’indépendance reste à faire.

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