Julien Damon : Vouloir «zéro SDF» impliquerait d’être moins permissif.

Date de la venue de l'invité: 
Vendredi, 2 février, 2018
Julien Damon / Vouloir «zéro SDF» impliquerait d’être moins permissif (extraits)

C’est bien de se donner comme objectif d’avoir zéro Sans Domicile Fixe en France, but qui semble désormais faire consensus chez les politiques. C’est un « appel à réformer » les politiques menées dans ce domaine. En adoptant un tel objectif, l’État s’oblige à « vérifier si l’action est efficace » et à en mesurer les résultats. Mais, pour que la perspective ainsi tracée ait un sens, il faudrait une politique européenne de l’immigration (ou une fermeture des frontières), il faudrait être capable de mieux mesurer le nombre de SDF et il faudrait envisager « d’empêcher les gens de dormir dehors » - sous entendu « interdire » -en passant outre au « foutez-moi la paix » souvent entendu par les équipes de « maraude » qui tentent de leur venir en aide. 

Tel a été en substance le point de vue défendu le 2 février devant le Club des vigilants par Julien Damon, sociologue, spécialiste des politiques d’aides aux plus démunis et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet dont un très récemment paru*.

La France n’a pas à rougir des moyens qu’elle consacre à ces populations. On est passé d’un budget inexistant au début des années 80 à une dépense d’environ 3 milliards d’euros par an aujourd’hui. Le préfet d’Ile-de-France estime que 100 000 personnes sont hébergées dans la région tous les soirs. En termes de capacité d’accueil et de moyens, la France se compare très favorablement aux autres pays européens, estime Julien Damon. En revanche, malgré deux grandes études de l’INSEE, elle mesure mal cette population selon des critères reconnus par tous qui permettraient d’évaluer le progrès ou l’aggravation. D’où l’intérêt d’opérations comme "la Nuit de la Solidarité" qu’organise la mairie de Paris le 15 février au soir, en faisant appel à des volontaires, pour tenter une photographie de la situation. Julien Damon pense d’ailleurs que l’amélioration de la situation passe par une plus grande implication des collectivités locales. Cela dit, compter les SDF, qui ne sont pas toujours visibles sur l’espace public, c’est comme chercher une aiguille dans une meule de foin, explique-t-il. Le plus difficile étant d’être sûr d'être certain qu’il ne reste pas d’aiguille dans la meule...

Pour lui il ne fait aucun doute que la présence d’un grand nombre d’étrangers migrants parmi les SDF d’aujourd’hui est devenue une composante essentielle de la problématique. Calais n’a pas de solution sans coordination européenne. Sans même parler des demandeurs d’asiles ou migrants économiques extra européens, il y a aussi des déplacements de SDF européens à l’intérieur de l’Europe. Il cite les « Allemands », ces déboutés du droit d’asile en Allemagne que l’on retrouve dans le centre d’accueil créé à Paris, mais aussi des Polonais qui viennent en France bénéficier d’une attitude générale plus permissive à l’égard de ceux qui vivent dehors que dans leur pays.

Historiquement, on est passé en France de la politique répressive du vagabondage, totalement tombée en désuétude vers la fin des années 1970, à la permissivité actuelle qui fait qu’on ne réprime même pas, assure-t-il, l’utilisation des enfants pour la mendicité, alors qu’elle reste un délit dans le code pénal. Certains pays comme le Danemark pénalisent à nouveau la mendicité tandis que le Royaume-Uni interdit strictement tentes et campements dans la rue.
Julien Damon a parfaitement conscience du débat que soulèverait une politique plus coercitive, mais elle est, à son avis, le corollaire inévitable d’un objectif « zéro SDF », et permettrait estime-t-il de venir au moins en aide à ceux qui sont malades et/ou souffrent de graves problèmes psychologiques. C’est-à-dire un sur trois.

* Julien Damon, Exclusion : vers zéro SDF ? La Documentation française, 2017.

 

Julien Damon / Vouloir «zéro SDF» impliquerait d’être moins permissif (intégrale)
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