Notre-Dame de la gouvernance

© Crédit photo : Débat citoyen Notre-Dame-des-Landes

Dans le long feuilleton Notre-Dame-des-Landes, l’accueil réservé à la décision gouvernementale d’abandonner le projet n’est pas le moindre des enseignements : aux trois-quarts les Français l’ont plébiscitée ! Quelques points séparent les sondés de « droite » ou de « gauche » mais les clivages traditionnels (autorité/laxisme, économie/écologie) n’ont pas fonctionné comme lors du référendum local (55/45). Personne n’imagine pour autant que les Français ont adhéré en masse aux méthodes radicales du zadisme.

Plus profondément, la décision a conforté deux tendances de fond que les politiques devront apprendre à concilier : un désir de décisions claires, régaliennes, voire princières (celle-ci vient contre une expression du suffrage universel) et une volonté de pouvoir participatif, résurgence des résistances populaires et locales aux décisions de l’élite et des institutions centrales. Elles sont une trame, toujours vivace, de l’histoire de France dont Jean Nicolas, dans la Rébellion française, a analysé les permanences. La toute nouvelle édition du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF vient d’ailleurs rappeler la profondeur de la méfiance du peuple envers les élites.

Ce mix vertical/horizontal est inédit. Il est un nouveau signe du basculement de l’âge technocratique à celui de la foule d’internet. L’efficacité du premier fut remarquable mais son credo  - les problèmes sont trop complexes pour être discutés avec les intéressé- n’a plus cours démocratique. La foule a toujours pensé que son ancrage dans la réalité et le local valait mieux qu’une vue conceptuelle à distance, l’âge digital lui offre désormais les outils de son émancipation. Elle peut rêver que réseaux sociaux, civictechs et labs en tous genres ne laisseront aucune opinion personnelle ou locale ni aucune créativité ignorées. La puissance publique, bienveillante sous nos contrées, a commencé à s’y adapter : une Commission Nationale du Débat Public veille désormais à nous donner la parole lors de l’élaboration des grands projets d’aménagement. Aucune évaluation ne permet encore de dire la qualité de la participation et des contributions, ni même si les débats résistent à l’entrisme des intérêts sectoriels et des lobbys.

Raymond Aron enseignait que « la politique est action et que l’efficacité est la loi de l’action » : cette vérité traverse les âges. La foule n’imposera pas un pouvoir participatif total car il serait inefficace dans la décision mais sa pluralité de points de vues relativise constamment le travail des corps techniques et des institutions intermédiaires qui alimentent et légitiment la décision publique. A l’âge digital l’équilibre entre sachants et manants est rompu. Collectivement nous devons inventer une nouvelle gouvernance des décisions publiques, efficace et démocratique.

 

Philippe BOIS

Président du Club des Vigilants

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