Immigration : la limiter par la Loi dans notre pays ?

Cette perspective déchaine les passions. Non pas auprès de nos 67 millions de concitoyens qui songent plutôt à leur pouvoir d’achat, à leur sécurité, à l’éducation de leurs enfants, voire à l’avenir de la planète ; mais au sein de notre personnel politique, excité par la perspective de se déchirer autour d’un projet qui divise mais devrait permettre de se différencier.

Mais ce n’est pas si sûr : le discours de Grenoble n’a pas servi à la réélection du président sortant en 2012 ; non plus que les positions catégoriques de deux candidats échouant à  obtenir le minimum de suffrages nécessaire pour obtenir le remboursement de leurs frais à l’élection présidentielle récente. Autour de nous, Georgia Meloni, qui avait été élue à la tête du gouvernement italien sur un programme de maîtrise des flux migratoires, a dû reconnaitre son impuissance devant l’arrivée de 10 000 habitants supplémentaires sur l’île de Lampeduzza. Quant au chef d’Etat hongrois opposé à tout compromis sur l’immigration, il s’est résolu à admettre qu’ un demi-million d’étrangers seraient nécessaires pour faire tourner son économie.

Nous-mêmes avons adopté 29 lois relatives à l’admission et au séjour des étrangers dans notre pays depuis 1980. C’est dire leur pertinence et leur efficacité. Nous sommes tenus par des engagements internationaux depuis trois quarts de siècle, avons inscrits certains d’entre eux dans notre Constitution, acceptons les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Entrés prochainement dans une nouvelle phase de règlementation européenne, nous devrons la transposer dans notre droit ; le Conseil d’Etat ne manquera  pas de rappeler, comme pour chaque nouveau projet dans ce domaine, que le recours au règlement et à l’action administrative suffirait pour accroître l’efficacité de l’action gouvernementale sans besoin d’une législation supplémentaire.

Est-ce à dire que nous ne devons rien faire pour calmer notre opinion publique qui  considère que nous sommes excessivement généreux à l’égard des étrangers et que nous tolérons beaucoup trop de refusés du droit d’asile et d’indésirables sur notre territoire ? Evidemment non !
Mais avant tout, il nous faut  reconnaître l’apport de l’étranger à notre société qu’il s’agisse de travailleurs salariés, d’artistes, de chercheurs.
D’autant que des dizaines de millions de Français ne rencontrent pas d’immigrés et moins encore de demandeurs d’asile, car cette population est agglomérée dans moins d’un quart de nos départements avec des  concentrations  bien connues comme à Calais ou à la Porte de La Villette. Ces localisations s’expliquent par le besoin de s’assembler de la part d’étrangers ne connaissant ni nos usages ni notre langue.

L’adoption d’une attitude commune positive correspond à notre intérêt. Nos gouvernants en ont pris conscience récemment. Deux évolutions sociales se conjuguent pour nous  conduire à accepter un apport de population : notre défaillance démographique et la réticence de nos actifs  à occuper certains emplois indispensables au bon fonctionnement de notre société.

Comme chez la plupart de nos voisins dans l’Union Européenne et notamment les plus proches et les plus peuplés, notre démographie naturelle est aujourd’hui déficitaire, le nombre des décès annuels l’emportant sur celui des naissances de plusieurs dizaines de milliers d’âmes chaque année. L’arrivée d’étrangers contribue à combler ce déficit,  à rajeunir notre population en âge de procréer et accessoirement à financer nos dépenses sociales et même notre régime de retraites par répartition ; il ne faut pas la tarir.

Notre immigration a crû dans les trois dernières années après s’être stabilisée autour de 300 000 par an au cours des trente années précédentes. Un tiers de cet afflux ne se fixait pas sur notre sol. Certains requérants demandeurs d’asile, déboutés, sont néanmoins restés dans notre pays. On évalue leur nombre entre 300 000 et 500 000, ce qui paraît beaucoup, mais doit être rapporté à une population totale de 67 Millions d’habitants.

Il est de la responsabilité de nos représentants politiques de s’inquiéter de la conservation de notre style de vie issu de notre histoire millénaire ou récente ; mais celui-ci n’est pas en danger du fait de la présence d’un nombre excessif d’étrangers sur notre sol. Il correspond en pourcentage de notre population totale à ce  que nous avons organisé, puis accepté, au siècle dernier. Ces immigrés deviendront majoritairement des Français de langue et de comportement progressivement ; mais volontairement et d’autant plus rapidement que nous les assimilerons par le mariage et notre tradition de tolérance et grâce à une politique de logement, de santé, d’éducation et de droits civiques adaptée et conforme à notre état de droit.

Ce n’est pas de mesures d’inspiration policière dont nous avons besoin, c’est d’un renforcement des moyens des préfectures pour éviter que les esprits développent rancœur ou découragement, faute de réponses rapides ou de procédures à la portée des requérants.

La France bénéficie d’un groupe de cinq cents chercheurs, démographes et sociologues qui ne cautionnent nullement la menace d’un grand remplacement de notre population actuelle par une population africaine débordante d’ici le demi-siècle. Leurs conclusions sont fondées sur l’observation, le calcul et la raison. Soyons rationnels, considérons la valeur de leurs travaux et rejetons les peurs artificiellement suscitées par des préoccupations d’intérêts à court terme.

Reportons-nous aux publications de François Héran, professeur au Collège de France, à ses écrits pour la Documentation Française ou aux analyses de l’OCDE ! Considérons aussi que les envois réguliers d’argent dans leur pays par les immigrés au travail contribuent tout autant au développement de leurs pays d’origine que les transferts de capitaux par des mécanismes internationaux d’aide au développement[i]. Enfin soyons réalistes : renvoyer les intrus dans leur pays d’origine n’est guère praticable non plus que dans des pays dont ils ignorent tout.

Enfin nos 700 000 bacheliers annuels ne sont pas concurrencés par les immigrés puisqu’ils  souhaitent occuper d’autres fonctions que les postes  en souffrance dans la restauration ou dans l’agriculture, voire dans les nouvelles industries que nous nous efforçons de recréer sur les sites autrefois fermés par notre imprévoyance.

Aujourd’hui adopter une politique de sélection voire d’exclusion à l’égard des immigrés ne serait fondé ni économiquement ni démographiquement. Ce serait l’abandon de toute ambition pour notre pays ; une véritable démission,  un grand déclassement.

 

Bernard Auberger, ancien avocat au Barreau de Paris, spécialiste du droit d’asile

 


[i] Une étude très récente de la banque mondiale révèle qu’en 2023 les transferts d’argent des migrants vers leur pays d’origine atteignent des niveaux record : 670 milliards de dollars (610 milliards d'euros). ‘ La Banque mondiale constate que les sommes ainsi déplacées dépassent de très loin les montants de l’aide publique au développement » souligne Emmanuel Cugny sur France Info le 20 décembre https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-eco/le-transfert-de-l-argent-des-migrants-atteint-des-niveaux-record_6244113.html

 

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