Contre les referendums

À la faveur des débats et manifestations contre la réforme des retraites en France voici mon « coming out » : bien que très attaché à la défense de la démocratie, des libertés et de l’État de droit je crois que le référendum est une fausse bonne idée. J’imagine ce que cette affirmation peut avoir de choquant pour tous ceux qui, logiquement, y voient une rare occasion d’expression démocratique directe du peuple. Comment tenter de justifier cette position dans laquelle entre, je dois l’avouer, une part d’intuition ?

Une partie non négligeable de la mission non dite ou peu dite de l’État, donc du politique, est d’imposer aux individus des contraintes dans l’intérêt de la communauté nationale, de « l’intérêt général » et aussi dans leur intérêt propre. Un exemple : les cotisations retraite sont une assurance obligatoire imposée aux citoyens « contre le risque de vivre vieux », comme je l’ai souvent entendu dire à Denis Kessler, économiste et assureur. Une bonne partie de la médiocrité des retraites des indépendants, agriculteurs, médecins, architectes etc., d’aujourd’hui s’explique par les revendications de leurs représentants d’hier pour cotiser le moins possible.

Que répondrait le peuple à la question « souhaitez-vous payer des cotisations retraite » ? Sans doute la même chose qu’à la question « souhaitez-vous payer des impôts ? » et à la question « souhaitez-vous travailler plus longtemps ? » ou « souhaitez-vous être confinés pour lutter contre une épidémie ? ». Les citoyens qui répondent non aux sondages sur la réforme des retraites n’ont-ils pas en même temps dans un coin de leur tête une part de résignation à ce que doivent faire « les responsables » ? En écrivant ceci j’ai conscience, en même temps, de tous les risques de dérive que contient cette légitimité de l’État à imposer des contraintes. Notamment aux mains d’une « démocrature » ou « démocratie illibérale » dont le fondement est que l’intérêt supérieur de la Nation (qui n’est pas la même chose que l’intérêt général) justifie tout.

Cette mission de l’État consistant à imposer des contraintes pas toujours agréables est une des fortes justifications de la démocratie indirecte : on élit pour un certain temps des politiques qui exercent un pouvoir en appliquant plus ou moins un programme.

Les défenseurs des référendums, dont certains sont certainement très sincères et sans arrière-pensée, ont en tête un référendum idéal posant une question limpide à laquelle le peuple répond avec toute la sagesse dont il est capable et dont la réponse est applicable sans   problème. Cette question idéale, ce référendum idéal n’existent pas. Je ne suis pas le premier à écrire que les électeurs font d’un référendum sur n’importe quelle question un référendum sur la personne qui pose la question. Aujourd’hui un référendum sur les retraites serait un référendum pour ou contre Emmanuel Macron. En 1969 le référendum sur les régions et la rénovation du Sénat était au mieux un va-tout de De Gaulle, plus vraisemblablement un suicide politique. Ce peut être pire encore quand on lance un référendum de confortation politique dont la réponse est supposée ne pas faire de doute. En 2005 les possibles conséquences d’un non, « inimaginé » par le pouvoir, au référendum sur la constitution européenne ont débouché sur « le déni de démocratie » que l’on sait. Que fallait-il faire au vu du résultat ? Sortir de l’Europe ? Imposer seuls l’abandon de la constitution à la très grande majorité des pays européens ?  L’erreur première était d’avoir organisé ce référendum sans analyser les conséquences possibles d’un non.

Derrière l’exigence de référendums en période de crise, y compris derrière les referendum d’initiative populaire, il y a une forme de populisme au sens où il existerait un peuple idéal et uni qui serait en permanence brimé par une élite, un pouvoir, auquel il s’agit de faire entendre raison. Ce sont des référendums contre.

Non, la démocratie directe n’existe pas. Oui la démocratie représentative est le moins mauvais des systèmes et consiste à déléguer ses pouvoirs pour une période limitée à des élus et notamment à un président de la République qui, tout pris en considération, nous a semblé le moins mauvais choix.

Ceci ne veut pas dire que nous n’avons pas un problème institutionnel en France. Oui le président de la République a trop de pouvoirs en France. C’est vrai. Exigeons l’indispensable réforme institutionnelle, toujours remise, qui devrait notamment les limiter. Pas des référendums.

Multiplier les consultations électorales, notamment en période de crise sociale, est le moyen le plus sûr d’entretenir les polarisations et les énervements dangereux, voire pire. La fin de la République de Weimar, juste avant l’arrivée au pouvoir de Hitler, se caractérise entre autres par une multitude de campagnes électorales : neuf entre novembre 1929 et novembre 1932 dont cinq rien qu’en 1932*.

Reste que ce débat est généré en France par une réforme des retraites plutôt mal étudiée, mal expliquée et mal défendue qui a exacerbé les tensions et les polarisations et donné une piètre image de l’Assemblée nationale autant que du gouvernement.

Qu’aurait-on pu faire en associant mieux les citoyens ? Commencer par confier cette question à une convention citoyenne composée de citoyens tirés au sort comme celles qui ont travaillé sur la menace climatique et sur la fin de vie. Éventuellement lui poser une question « encadrée » du type « comment assurer l’équilibre des retraites sans augmenter les prélèvements obligatoires » ? Les débats entre citoyens auraient au moins fait ressortir les points sensibles : la pénibilité, les carrières longues, le sort des femmes etc… Et qui sait, ils auraient pu déboucher sur un référendum à choix multiples : entre les différentes manières d’allonger la durée du travail :  préférez-vous la solution A, B ou C ?

 

*Pour plus de détails voir Comment meurent les démocraties, Jean-Claude Hazera, Ed Odile Jacob

 

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